Comme Mobutu, Kabila fils, à la tête du Congo depuis seize ans, soit la moitié du règne de l'ancien dictateur, fait reposer son pouvoir sur l'armée, les services de sécurité et un cercle restreint de "faucons". © Photomontage Le Vif/L'Express - Photo News - Tim Dirven/Reporters

Kabila marche-t-il sur les traces du « Léopard » Mobutu ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Renversé il y a vingt ans, Mobutu reste la caricature du dictateur pillard. L’actuel président du Congo, Joseph Kabila, qui s’accroche au pouvoir, débauche ses opposants et s’est constitué un empire économique, marche-t-il dans les pas du maréchal ?

 » Vive les libérateurs ! Kabila oyé !  » Ce samedi-là, 17 mai 1997, une foule de jeunes, bandeau blanc noué autour de la tête, se masse le long du boulevard du 30-Juin pour voir de près l’entrée triomphale à Kinshasa des troupes de Laurent-Désiré Kabila, qui a chassé Mobutu du pouvoir. Kalachnikovs ou lance-roquettes au bras, ces  » kadogos « , petits soldats chaussés de bottes en caoutchouc venus des marches orientales du pays, semblent surpris de se retrouver ainsi au coeur de Kinshasa, acclamés en héros. Leurs officiers donnent des ordres en swahili. Beaucoup portent l’uniforme du Front patriotique rwandais (FPR). Frédéric, un gendarme katangais exilé depuis un quart de siècle en Angola, questionne les habitants sur la direction à prendre pour atteindre le  » Beach « , le port fluvial.  » J’ai quitté Lubumbashi il y a trois semaines, nous raconte ce colonel dans un français hésitant. Notre offensive a été freinée non par l’armée zaïroise, mais par les rebelles angolais de Jonas Savimbi. Nous avons mis fin à trente-deux ans de régime dictatorial. Je ne repartirai plus d’ici !  »

Le lendemain matin, devant le camp Tshatshi, ultime bastion de l’ancien pouvoir, nous assistons à la capitulation de la garde prétorienne du  » vieux léopard « . Les militaires sortent de l’enceinte mains sur la tête. D’autres soldats zaïrois ont pris la fuite après avoir saccagé la résidence du maréchal, qui a passé ici ses dernières semaines de règne. Les combattants de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) peuvent enfin souffler. Sur ce mont Ngaliema qui domine le fleuve Congo, ils sont au bout du chemin. Assis sur un muret, deux d’entre eux confient qu’ils sont Zaïrois du Kivu et disent leur espoir dans la démocratisation et le développement du pays. Un officier longiligne, chicote à la main, s’approche et éloigne ses hommes : pas question de parler aux journalistes étrangers. Pendant ce temps, les habitants du quartier pillent les logements des officiers de la Division spéciale présidentielle (DSP). Ils emportent tout : canapés, fauteuils, frigos, éviers, tubes néon. Dans le quartier populaire de Kitambo, aux chemins défoncés, notre véhicule est encerclé par des habitants surexcités, qui frappent le capot en criant  » Liberté, liberté !  » Petits et grands font le V de la victoire et brandissent le drapeau bleu aux étoiles d’or du Congo d’antan. Le Zaïre n’est plus…

Les 17 et 18 mai 1997, les troupes rebelles qui ont renversé le régime de Mobutu font une entrée triomphale à Kinshasa.
Les 17 et 18 mai 1997, les troupes rebelles qui ont renversé le régime de Mobutu font une entrée triomphale à Kinshasa.© Pascal Guyot/Belgaimage

Crimes, corruption, pillage

Vingt ans après la chute de Mobutu, accueilli en exil au Maroc le 23 mai 1997 et décédé d’un cancer trois mois et demi plus tard, à l’âge de 66 ans, l’histoire porte sur le potentat et son régime un verdict accablant. Et pour cause : il a instauré une dictature féroce, alliant crimes de sang, corruption et pillage éhonté des richesses nationales.  » L’homme à la toque de léopard n’était pourtant pas un vulgaire tyran « , assure Jean-Pierre Langellier, ancien journaliste au Monde, qui vient de publier une biographie du personnage (Mobutu, éd. Perrin, 432 p.).  » Cet ami de l’Occident a joué, pendant la guerre froide, un rôle stratégique de premier plan… Arrivé au pouvoir dans le sillage d’une guerre civile impitoyable, il a maintenu l’unité, souvent menacée, du Congo-Zaïre, immense puzzle ethnique aux quelque quatre cents tribus. Plus, il a doté son peuple d’une conscience nationale en exaltant son identité, ses racines et des traditions.  » Mais ce recours à l' » authenticité  » s’est accompagné d’une glorification à l’extrême du  » guide suprême  » et la gestion catastrophique de l’Etat a plongé le peuple dans la misère. Pressé par les pays occidentaux de démocratiser son régime, Mobutu finit par accepter la réunion d’une conférence nationale et légalise, en 1991, les partis d’opposition. Mais les turbulences politiques et sociales et l’afflux, à partir de la fin 1994, de 1,5 million de réfugiés rwandais hutus fuyant la prise du pouvoir par le FPR à Kigali contribuent à aggraver les désordres internes.

 » S’il s’était effacé dès 1990, Mobutu aurait sans doute laissé l’image d’un homme d’Etat enfin gagné par la « sagesse » et préparant sa succession en douceur, à l’instar d’autres présidents africains, comme l’Ivoirien Houphouët- Boigny ou le Sénégalais Senghor, estime Langellier. Son règne donne le sentiment d’un immense gâchis. Ses deux ressorts, la violence et l’argent, ont terrorisé et corrompu deux générations de Zaïrois.  » Pour le cinéaste belge Thierry Michel, auteur du documentaire Mobutu, roi du Zaïre (1999), le monarque zaïrois est un prince machiavélien :  » Redoutable parce que toujours redouté, il n’a cessé de poser la tragique équation « moi ou le chaos ». Pour distribuer faveurs et disgrâces, il a pratiqué la prédation systématique des ressources d’un pays qu’il mènera à la ruine.  »

La culture du pardon

Pour autant, l’évocation de ce règne suscite aujourd’hui soupirs et regrets chez bon nombre de citoyens congolais. Oublié, deux décennies après la disparition du tyran, l’archétype de la mal gouvernance à l’africaine. Oubliés, le chaos sécuritaire, les innombrables disparitions, l’asphyxie économique et le fameux  » article 15  » (la débrouille). Les Congolais ont la nostalgie d’un orgueil perdu : au cours des décennies 1970 et 1980, époque du boom du cuivre, leur chef était courtisé par les grandes puissances.  » Dans un pays où l’Eglise encourage la culture du pardon, ce pardon que Mobutu n’a jamais eu l’humilité de demander à son peuple après l’avoir tant fait souffrir, la mémoire collective et magnanime ne veut se souvenir que des éclats de gloire et des années de grandeur « , constate Langellier.

Sans doute est-ce dû en partie au fait que les successeurs du maréchal, Kabila père et fils, sans posséder ni son style, ni son talent, ne se sont pas révélés beaucoup plus démocrates que lui. Comme le Zaïre de Joseph-Désiré Mobutu, le Congo de Joseph Kabila est miné par la corruption et la violence. Comme l’ancien dictateur, le président actuel, à la tête du pays depuis seize ans, soit la moitié du règne de Mobutu, fait reposer son pouvoir sur l’armée, les services de sécurité et un cercle restreint de  » faucons « . Comme le maréchal, le  » raïs  » multiplie les manoeuvres pour se maintenir au pouvoir, hypothéquant la perspective d’une alternance démocratique et pacifique. A son arrivée à la tête du pays, Kabila, comme Mobutu, s’est montré conciliant et a eu le soutien de la communauté internationale pour stabiliser et réunifier le pays. Puis, son régime s’est radicalisé et s’est isolé. La répression et les atteintes aux droits de l’homme se sont accentuées depuis que le président Kabila, dont le second et dernier mandat s’est achevé le 19 décembre 2016, joue les prolongations au-delà des délais constitutionnels. Faute d’accord politique, le pouvoir central s’affaiblit, tandis que les massacres de civils se sont multipliés ces derniers mois au Kasaï, au Nord-Kivu et dans le nord du Katanga.

Le 20 décembre 2016, de jeunes Kinois manifestent contre le président Joseph Kabila, dont le second et dernier mandat s'est achevé la veille, et qui refuse de céder le pouvoir.
Le 20 décembre 2016, de jeunes Kinois manifestent contre le président Joseph Kabila, dont le second et dernier mandat s’est achevé la veille, et qui refuse de céder le pouvoir.© Eduardo Soteras/Belgaimage

Débauchage d’opposants

A l’instar du  » vieux léopard « , Joseph Kabila ne rate pas une occasion de semer la discorde au sein d’une opposition fragile, fragmentée et achetable. Les offres de dialogue politique du chef de l’Etat se traduisent presque toujours par le débauchage d’opposants, méthode qui a fait ses preuves sous Mobutu. Ainsi, le Katangais Raphaël Katebe Katoto, cofondateur du Rassemblement, la coalition anti-Kabila, et demi-frère de Moïse Katumbi, le principal adversaire du président, a rejoint récemment le camp présidentiel. De même, Vital Kamerhe, ex-bras droit de Kabila passé à l’opposition en 2010, a accepté de dialoguer avec le président, espérant devenir le Premier ministre de la transition. Peine perdue : le 19 décembre dernier, Kabila a jeté son dévolu sur Samy Badibanga, ex-conseiller politique d’Etienne Tshisekedi, le chef emblématique de l’UDPS et du Rassemblement.

Les fractures au sein de l’opposition se sont encore aggravées après le décès du  » sphinx de Limete « , le 1er février, à Bruxelles. Son fils, Félix Tshisekedi, a alors été désigné président du Rassemblement, et Pierre Lumbi, ex-conseiller spécial de Kabila devenu la tête pensante de l’opposition, a pris la tête du  » conseil des sages « . Mais cette nouvelle direction bicéphale a été contestée par deux autres membres de la plate-forme d’opposition, Joseph Olenghankoy (Fonus) et Bruno Tshibala (UDPS), ancien porte-parole d’Etienne Tshisekedi. Résultat : fin avril, Kabila a nommé Tshibala Premier ministre à la place de Badibanga. La décision a été considérée par l’épiscopat congolais et par le chef de la diplomatie belge, Didier Reynders, comme une  » entorse  » à l’accord du 31 décembre dernier, qui organise la cogestion du pays jusqu’aux élections, prévues pour la fin de cette année, mais dont la tenue sera sans doute reportée.

Kabila plus riche que Mobutu ?

Si Joseph-Désiré Mobutu était classé parmi les présidents africains les plus riches, Joseph Kabila et son clan auraient amassé une fortune plus considérable encore. Alors que, selon l’ONU, près de 90 % des habitants du Congo survivent avec moins de 1,25 dollar par jour, la famille Kabila contrôlerait, d’après une enquête publiée par Bloomberg News en décembre 2016, plus de 120 permis d’extraction d’or, de diamant, de cuivre, de cobalt et autres minerais.

L’empire des Kabila s’étendrait aussi aux secteurs de la banque, de l’agriculture, de la distribution de carburant, du transport aérien, de la construction de routes, de la fourniture de produits pharmaceutiques, de l’hôtellerie, des agences de voyage, des boîtes de nuit. Les entreprises concernées par ce business seraient installées non seulement au Congo, mais aussi aux Etats-Unis, à Panama, en Tanzanie et dans des paradis fiscaux du Pacifique. Pour Human Rights Watch, l’ampleur de ces participations aide à comprendre pourquoi le président congolais ignore les appels des Etats-Unis et de l’Union européenne à céder le pouvoir.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire