Jon Jonsson, footballeur hargneux côté pile. Ici, en Europa League, en 2013, où il affronte le KRC Genk de Jelle Vossen. © BRUNO FAHY/belgaimage

Jon Jonsson, footballeur professionnel islandais… et chanteur-star dans son pays

L’Islande dispute cet été la première Coupe du monde de son histoire. Sur l’île, le football côtoie depuis peu la musique au rang de passion nationale. A la fois au top des charts et footballeur de D1, Jon Jonsson incarne parfaitement cette frénésie d’une nation qui balance entre art de la scène et art de la pelouse.

Le tennis a Yannick Noah, le surf Jack Johnson. N’en déplaise à Julio Iglesias, Jean-Pierre François ou même Enzo Scifo, les footballeurs sont en revanche beaucoup moins inspirés dès qu’il s’agit de pousser la chansonnette. En Islande, patrie de Björk et de Eidur Gudjohnsen (ex-Chelsea et Barcelone), musique et football font partie intégrante du quotidien des insulaires. Pour Jon Jonsson, la combinaison des deux est même devenue son métier. Ce natif de Reykjavik découvre le foot à 4 ans à FH, club de Hafnarfjördur, une bourgade de 20 000 âmes au sud de la capitale. Un an plus tard, il débute les cours de guitare à l’école de musique locale. Les deux virus ne tardent pas à s’implanter et pérennisent. La trentaine tout juste entamée, Jon tape toujours le cuir et gratte sans relâche l’instrument. Le tout devant des milliers de personnes. Avec quatre chansons pop placées au top des charts de l’île, le beau blond fait partie des musiciens les plus célèbres du pays. Et sa popularité ne décroît pas sur les terrains de foot où il règne sur l’Islande avec trois championnats et une coupe nationale remportés avec FH. Bon en tout, mauvais en rien.

Planning, clapping et singing

Indispensable à son club, pour son côté metteur d'ambiance.
Indispensable à son club, pour son côté metteur d’ambiance.© DR

 » Faire partie d’une équipe de foot vous oblige à vous plier à des contraintes d’assiduité et d’implication. Et puis, tout est décidé pour vous : entraînements, matchs, stages à l’étranger… on est loin de la flexibilité de la musique.  » Dans la salle de réception du FH, Jon Jonsson assume autant le col roulé que les différences entre les deux mondes qui le passionnent depuis l’enfance.  » Je ne change pas ma manière d’être sur scène ou dans le vestiaire. Je reste un plaisantin, sociable sans me prendre la tête. Les gens qui achètent une place pour me voir veulent prendre du plaisir… ou profiter de mes mauvaises blagues.  » Dans la vie, les deux passions de ce fan de John Mayer et Stevie Wonder se chevauchent, se relaient et s’entremêlent. Le plus souvent, c’est le quatrième art qui s’adapte au planning du sport et vient se greffer là où il reste de la place. Il arrive que Jon demande donc en octobre l’heure de l’entraînement du 30 mai suivant.  » L’Islande est tellement petite que je peux enchaîner foot et concert en deux heures de temps « , affirme néanmoins le chanteur.  » Un jour, un match a traîné jusqu’aux prolongations. Mon père s’est garé à la sortie du stade avec tout mon matériel et dès le coup de sifflet final, j’ai filé sous la douche, sauté dans la voiture, me suis habillé à l’intérieur et suis directement monté sur la scène pour un concert !  »

Gefðu allt sem þú átt ( » Donne tout ce que tu as ! « ) est une composition rythmiquement connectée au sport favori de l’artiste.  » Quand je la joue en direct, je demande au public de répéter les paroles et de lever les bras au ciel. Ça fait un peu ambiance de stade de foot.  » Sans le citer, Jon fait allusion au clapping, cet applaudissement collectif, rythmique et puissant qui a permis aux Islandais d’impressionner au dernier Euro. Lors des longs hivers islandais, Jonsson troque sa voiture pour le vestiaire de FH afin d’y entreposer sa guitare pendant les entraînements.  » Ça lui arrive de la gratter après la séance « , sourit Jonathan Hendrickx, son coéquipier entre 2014 et 2017.  » Du coup, tout le monde reste une demi-heure en plus et chante avec lui. Il a un côté indispensable pour la bonne atmosphère du groupe. C’est le mec qui parvient à mettre tout le monde de bonne humeur dès qu’il se ramène le matin avec ses lunettes de soleil et son sourire. On a senti un vrai vide quand il a arrêté…  »

Garage, comédies musicales et tactique

Une fois, Jon a en effet remisé ses crampons. C’était en 2016. Il voulait découvrir si ce gain de temps libre pourrait l’aider à s’améliorer en tant que musicien. Pourtant, devenir une pop star n’a jamais été le plan ultime du blondinet. Pas plus que celui de son petit frère, Fridrik, chanteur lui aussi et représentant de l’Islande à l’Eurovision 2015.  » On a chacun sorti notre première chanson pour le fun, se souvient le cadet. Quand on a vu que les gens aimaient, on a eu cette envie de continuer, de faire mieux. Un peu comme au foot : tu veux t’entraîner pour devenir meilleur.  » C’est dans le garage familial que les frangins ont gratouillé, à l’adolescence, leurs premiers morceaux. L’un à la guitare, l’autre à la batterie.  » On n’a jamais voulu faire de reprises, il fallait toujours créer « , certifie Fridrik.

Dans un pays où environ 80 % des enfants apprennent à jouer d’un instrument de musique, Jon ne dénote pas. Mais il se distingue : à l’école, il tient les premiers rôles dans les comédies musicales de fin d’année, ce qui lui permet de faire la connaissance du théâtre de Reykjavik. De son propre aveu, la musique lui inculque l’organisation, la concentration et l’envie d’aller au bout de ce qu’il entreprend.  » Mais Jon reste un vrai malade de foot « , renvoie Fridrik.  » Contrairement à moi qui préfère ce qui entoure ce sport, il s’intéresse à tous les aspects du jeu, à la tactique, aux performances.  » Du coup, l’aîné de la famille n’a jamais pu se résoudre à se passer d’une de ces deux activités. En 2016, après sept mois de  » retraite « , c’est cette même fascination pour le ballon qui rapatrie Jonsson à FH.

Le chanteur pop, côté face, des tubes mainstream qui tranchent avec les standards islandais.
Le chanteur pop, côté face, des tubes mainstream qui tranchent avec les standards islandais.© Dukagjin Idrizi

Au nom du père ?

Formé exclusivement à Hafnarfjördur, il y intègre l’équipe première au milieu de la décennie 2000.  » Il n’est pas le plus talentueux. Il ne va pas changer complètement la face d’un match à lui tout seul, analyse Jonathan Hendrickx. Mais sa hargne est remarquable. Pendant les matchs, c’est une furie. Il court des kilomètres le long du terrain, il devient tout rouge, il hurle sur l’arbitre… Puis il fait la fête, s’amuse et danse quand on a gagné.  » Dans les bureaux de la Fédération islandaise de football, certains estiment que Jon ne jouerait pas en D1 s’il n’était pas le fils du président de FH, ancien  » roi du sel  » quia prospéré dans l’industrie du poisson tout en investissant dans le foot.  » J’ai été remplaçant pendant un nombre incalculable de rencontres, réplique Jon. Et quand je suis titulaire, c’est uniquement grâce à mes capacités sportives.  » Fin 2017, son compteur affichait 107 rencontres avec FH.

Même sur le banc, le défenseur entend régulièrement des  » Jon Jonsson, Jon Jonsson, Jon Jonsson ! « , scandés des tribunes.  » Il est l’exemple parfait de ce qu’énormément d’Islandais voudraient devenir « , avance même Sindri Astmarsson, le manager du chanteur. Il a fière allure, il a une belle voix et joue bien au foot, il va dans les homes saluer les personnes âgées, il a étudié l’économie à Boston et l’enseigne à des gosses… Difficile de ne pas l’aimer !  » Loin des caprices de rock star, Jonsson est plutôt du genre soft. Et ça plaît, surtout dans un pays qui a mis en place, il y a une vingtaine d’années, un plan de lutte contre l’alcoolisme des jeunes en développant des dizaines de pôles sportifs.

Sur scène, il parvient à convaincre un public réputé hostile aux standards de la mode.  » La musique islandaise a toujours été grave, limite noire « , place Sindri Astmarsson.  » On dit même que les artistes cherchent à faire de la musique que les gens n’aiment pas (rires). Du coup, Jon est unique parce qu’il fait de la pop mainstream.  » En Islande, où l’expression à travers les arts, cette forme de transcendance de la nature, est toujours profondément ancrée, Jon Jonsson fait figure de modèle. Pas pour l’Islandais typique, plutôt l’Islandais parfait.  » Les gens d’ici ne sont pas à ce point ouverts « , estime Fridrik.  » Les hommes insistent sur leur masculinité, ne parlent pas de leurs sentiments et veulent paraître forts. Jon est rempli d’optimisme, d’énergie et de passion pour les autres. Il est authentique dans tout ce qu’il fait. C’est la clé de son succès.  »

Futur européen

 » Je lui ai déjà dit que malgré tout mon respect, quand je vois son talent musical, Jon n’a rien à faire sur un terrain de foot « , s’amuse Jonathan Hendrickx.  » Surtout qu’il doit parfois refuser des concerts… par amour du football.  » L’obstination de l’Islandais a pourtant de nombreux avantages : en mariant foot et musique, Jonsson a notamment trouvé le meilleur moyen de dégager un salaire de ses grandes passions. Conscient que sa carrière de sportif est plus proche de la fin que du début, il profite de ses  » dernières forces physiques  » avant, qui sait, d’exporter sa musique en dehors de l’Islande où, de son propre aveu,  » personne ne va me dire que je fais de la m… !  »  » Ça va être difficile d’organiser des concerts à l’étranger tant qu’il joue encore au foot « , concède Sindri Astmarsson.  » Mais on n’est pas pressé. Je suis très satisfait du travail qu’il fait maintenant, de l’orientation qu’il donne à sa musique. Je suis persuadé que ça pourrait coller avec le marché européen… dans quelques années.  » En attendant, Jon guette le mois de juin avec impatience. Pour enchaîner festivals de musique et matchs de foot sur écran géant. Et trouver une nouvelle excuse pour un bon clapping.

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