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Jihadisme: l’Europe face à la stratégie des « mille entailles »

Le Vif

Des attaques comme celles de Barcelone et Cambrils, qui ont fait au moins 14 morts et une centaine de blessés, sont faciles à organiser, quasiment impossibles à empêcher et d’un rapport coût/efficacité extraordinaire pour les jihadistes, estiment experts et officiels.

Face à cette stratégie terroriste, qui vise toute l’Europe, il faut se préparer à une confrontation de longue haleine et miser sur la résilience des sociétés démocratiques, ajoutent-ils.

A l’heure où toutes les capitales et grandes villes touristiques du continent investissent dans des dispositifs fixes destinés à entraver la course d’éventuels véhicules-béliers, après des attaques de ce type à Nice, Berlin, Londres et Stockholm, rien hélas plus simple que de les contourner.

« C’est le principe des cibles molles », explique à l’AFP Frédéric Gallois, ancien chef du GIGN. « Tout rassemblement de civils en est une. Et des concentrations de foule, il y en a des milliers ».

« Les terroristes vont dans la mesure du possible viser des cibles molles ayant le maximum de connotation symbolique, comme les Champs Élysées, les Ramblas, mais si ces endroits font l’objet d’une protection, comme cela commence à être le cas, ils vont toujours trouver une rue adjacente à attaquer (…) A Rome, si vous ne pouvez pas approcher de la place Saint-Pierre mais que vous tuez une dizaine de personnes dans une rue proche, vous aurez attaqué Rome et le Vatican. La portée symbolique sera la même ».

Ces attaques, régulièrement qualifiées de « terrorisme low-cost », ont été théorisées et préconisées de longue date par les réseaux jihadistes. D’abord par Al Qaïda, qui a commencé à les évoquer dans sa propagande dès les années 2004/2005, puis par le groupe État islamique (EI), notamment par la voix de son porte-parole Abou Mohammed al-Adnani, avant sa mort en 2016.

‘Soyez réguliers’

Cette stratégie, dite des « mille entailles » qui vise à épuiser peu à peu l’ennemi faute de pouvoir l’affronter frontalement, met l’action terroriste à la portée de tous: agents dormants ou infiltrés, revenants aguerris en Syrie ou d’Irak, sympathisants auto-radicalisés ou même malades mentaux qu’un tel climat pousse parfois à l’action.

Le groupe « Etat islamique leur dit: +Utilisez ce que vous avez sous la main, une voiture, un couteau, un caillou+ », précise Frédéric Gallois. « Ça multiplie leurs capacités d’agir. Aucune formation n’est nécessaire, des cibles de proximité et d’opportunité, et voilà. D’un point de vue terroriste, le rapport coût/efficacité est imbattable. »

« Ils ne recherchent plus l’intensité de l’action, avec des moyens spectaculaires, mais la fréquence, pour tenter de déstabiliser la force visée. C’est cette régularité qui fait mal. Les consignes sont: +Inscrivez-vous dans le temps et soyez réguliers+. Actuellement, il y a entre quatre à six semaines entre chaque attentat en Europe. Au bout de ce laps de temps, on se dit tous: il va se passer quelque chose », ajoute-t-il.

Pour le chercheur Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris, le groupe EI, qui s’est hâté jeudi soir de revendiquer l’attentat sur les Ramblas, obéit à sa propre logique et vise des objectifs à long terme.

« C’est une question d’opportunité dans leur planification terroriste », assurait-il vendredi matin sur France Inter. « Ils veulent montrer qu’ils sont toujours aussi efficaces malgré les reculs sur le terrain. Mais ce n’est pas parce qu’il y a des reculs en Irak et en Syrie qu’ils frappent ».

Face à cette menace, qui sera impossible à entraver complètement dans un futur proche et qui même s’accroît avec le retour de Syrie et d’Irak de centaines de jihadistes aguerris, le rôle des responsables politiques doit être de préparer les démocraties européennes à résister.

« Il faut éviter la démagogie », confiait récemment à l’AFP la sénatrice française Nathalie Goulet, co-présidente de la commission d’enquête sur la lutte contre les réseaux jihadistes, « tout le renseignement du monde n’empêchera pas ce genre d’attaque ».

« Il faut regarder la réalité en face. Faire croire aux gens qu’en bannissant les musulmans (…) ou en fermant les mosquées, on règlera le problème est un mensonge. Au contraire, cela nourrirait l’argumentaire du (groupe) État islamique », ajoute-t-elle.

« Un type qui prend sa voiture, fonce sur des gens… Il faut malheureusement que l’on apprenne à vivre avec ça et que chaque citoyen s’occupe de la vigilance, conclut-elle.

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