Margrethe Vestager © Franky Verdickt

« Je peux difficilement m’imaginer un monde sans paradis fiscaux »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Deux semaines après la publication des Panama Papers, Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, se prononce pour la première fois sur les constructions offshore. Entretien avec nos confrères de Knack.

« La Belgique n’est absolument pas un failed state », déclare la commissaire européenne à la concurrence, la Danoise sociale-libérale Margrethe Vestager. Elle a dû mal à cacher son exaspération quand on lui rappelle les propos de Donald Trump qui décrit Bruxelles comme un « hellhole » rempli de terroristes. « J’habite à Bruxelles depuis un an et demi et j’aime beaucoup la ville. Même après ces terribles attentats tout près d’ici. Bruxelles est une belle ville verte et animée, ni trop grande, ni trop petite. J’aime traverser la ville en tram. Parfois, elle ressemble même un tout petit peu à New York. »

« La Belgique a une structure très particulière », dit Vestager en riant, « c’est indéniable. Ces discussions pour décider quels ministres de l’Environnement on envoie à la conférence sur le climat à Paris – c’est difficile à comprendre. J’ai également cessé de compter vos parlements. Mais le système a ses bons côtés, vraiment : la Belgique est un pays où tous les citoyens peuvent se sentir représentés ».

Margrethe Vestager est donc celle qui exige que le ministre des Finances belge Johan Van Overtveldt (NV-A) réclame 750 millions d’euros d’avantages fiscaux à 35 multinationales établies dans notre pays. Mais avant d’aborder ce sujet, on lui demande si les Panama Papers, les révélations sur les paradis fiscaux, l’ont surprise.

Margrethe Vestager: Oui et non. Nous soupçonnions depuis longtemps qu’il y a beaucoup d’argent qui ne peut voir la lumière du jour et qui est transféré d’un paradis fiscal à l’autre. Cependant, l’ampleur du circuit nous a étonnés. Nous avons peut-être trop laxistes. Il y a trente, quarante ans, c’était risqué de fonder une entreprise offshore. Dans le monde d’aujourd’hui, il est très facile d’envoyer de l’argent et de l’info par voie numérique. Monter des constructions dans des paradis fiscaux est devenu un jeu d’enfant. On aurait peut-être dû anticiper plus rapidement.

Autrefois, les Belges qui voulaient éviter les impôts mettaient leur fortune au Luxembourg. Aujourd’hui, ils sont au Panama et dans d’autres lieux exotiques.

Cela prouve que la lutte contre la fraude fiscale est payante et que nous devons encore l’intensifier. Il y a an et demi, les états membres ont convenu d’échanger automatiquement toutes les données sur les intérêts, les dividendes et d’autres revenus financiers. C’était une étape très importante dans la lutte contre la fraude fiscale, car il est devenu plus difficile de transférer de l’argent placé sur un compte offshore vers un compte dans son pays. Et plus il est difficile de récupérer son argent placé dans les paradis fiscaux, moins les gens seront enthousiastes à l’idée de transférer leur fortune là-bas.

En Belgique, la banque Dexia a aidé des clients à monter des constructions offshore, même après avoir été sauvée par l’état avec de l’argent du contribuable lors de la crise bancaire de 2008. C’est inimaginable, non, une banque d »État qui aide ses clients à escroquer les finances de l’état. ?

C’est difficile à comprendre, et encore moins à accepter. Après la crise financière, les gouvernements européens ont donné 690 milliards euros de soutien et de garanties aux banques en difficultés. En échange, les banques ont dû dégraisser, vendre des filiales à l’étranger et améliorer leur assise financière. Elles ont également dû diminuer leurs activités trop risquées et retourner au banking old school, vers les affaires bancaires plus monotones, plus traditionnelles. Pour moi, le montage de constructions offshore n’en fait pas partie.

L’Union européenne possède-t-elle suffisamment de pouvoir pour mettre fin aux paradis fiscaux comme au Panama?

On verra. L’accord sur l’échange automatique d’avoirs financiers a été signé par 96 pays, mais le Panama n’en fait pas partie. Savez-vous qu’aujourd’hui il n’y a que huit états membres où le Panama figure sur la liste noire de paradis fiscaux ? Il est urgent d’établir une liste de paradis fiscaux valables pour toute l’UE. Et ensuite, nous devons élaborer une approche coordonnée. L’Europe a encore du pain sur la planche en ce qui concerne les paradis fiscaux.

Pourront-ils être éradiqués un jour ?

Je peux difficilement m’imaginer un monde sans paradis fiscaux. Je crains qu’il y ait toujours des gens qui veulent faire le moins possible pour la société et qui préfèrent ne pas payer d’impôts du tout.

Entre-temps, vous êtes en conflit avec le gouvernement belge. Depuis 2005, la Belgique a accordé des avantages fiscaux à 35 multinationales. À cause de ces excess profit rulings, une partie de leurs bénéfices n’a pas été imposée. La Commission européenne a interdit ce système et exige que la Belgique réclame les 750 millions d’euros d’avantages fiscaux aux entreprises en question. Pourquoi ?

Ces accords particuliers entre le fisc belge et certaines entreprises sont une forme d’aide de l’État illégale. Grâce à ces rulings, certaines multinationales doivent payer moins d’impôts, mais les entreprises plus petites ne bénéficient pas de ces avantages. La Commission européenne a déjà mis à fin à ce genre d’accord, notamment entre la chaîne de café Starbucks et le fisc néerlandais.

L’état belge va en appel contre votre décision. Qu’en pensez-vous ?

Nous verrons ce que décide le juge. Mais je maintiens ma position.

Le ministre Van Overtveldt dit qu’il y a eu des accords formels avec ces entreprises et que pour cette raison il est difficile de réclamer cet argent : cela nuirait à la confiance.

Une entreprise et un pays ne doivent pas seulement respecter la législation nationale, mais aussi la législation européenne. Je comprends que la Belgique se sente mal à l’aise de réclamer cet argent, mais c’est justement le but. Cela permettra d’éviter ce genre d’accords à l’avenir. Et si vous voulez vraiment être sûr qu’un ruling fiscal soit légal, il suffit de le soumettre à la Commission européenne.

Entre-temps, les entreprises continuent à s’organiser pour payer le moins possible d’impôts. Cette situation prendra-t-elle fin un jour ?

Même le Conseil d’administration le plus cynique doit réaliser qu’il prend un grand risque en cherchant des façons de payer le moins d’impôts possible. Les gens ne l’acceptent plus. Les entreprises qui ne paient pas de contribution fiscale juste jettent leur image en pâture.

Y croyez-vous vraiment?

Oui, l’opinion publique n’accepte plus que les plus riches ne paient pas une partie de leurs impôts. Nous devons mettre ce moment à profit pour intensifier encore la lutte contre la fraude fiscale.

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