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Jaroslaw Kaczynski prendra-t-il la relève de son frère?

L’ancien Premier ministre polonais apparaît comme le candidat naturel du parti de son frère, Lech Kaczynski, à l’élection présidentielle du 20 juin prochain. Mais se présentera-t-il?

« En Pologne, la politique est morte », assénait Eryk Mistewicz, conseiller en communication politique, peu après le crash de l’avion présidentiel près de Smolensk. « Le président Lech Kaczynski est mort, 18 élus de différents partis sont morts, le maréchal de la Diète et celui du Sénat aussi », énumérait-il, sous le choc comme une grande partie des Polonais.

Pourtant, au-delà de l’émotion et du deuil, la vie politique du pays se poursuit, le processus constitutionnel est en marche: l’élection présidentielle anticipée a été fixée au dimanche 20 juin prochain. Les partis disposent de peu de temps: leurs candidats doivent se manifester avant lundi prochain.

Le parti Droit et Justice (PiS), que le président défunt devait représenter, « panique pour lui trouver un remplaçant », d’après Anna Nowak, correspondante du quotidien Gazeta Wyborcza en France. Les options possibles, « un chercheur inconnu ou un ministre de l’Intérieur impopulaire », résume-t-elle, ne satisfont visiblement pas l’état-major du PiS… dont le président n’est autre que Jaroslaw Kaczynski, frère jumeau et double politique de Lech. Dès lors, « Jaroslaw apparaît comme le candidat naturel du parti », selon la journaliste, « d’autant qu’il pourrait bénéficier politiquement de la vague de compassion suscitée par la perte de son frère ».

Le cerveau saura-t-il se lancer dans la bataille?

Avis partagé par l’ancien président polonais, Aleksander Kwasniewski, qui s’exprimait dans les colonnes du Monde la semaine passée: « Après la mort du président, Jaroslaw Kaczynski est prédestiné pour exploiter les émotions exprimées ». Selon lui, l’ancien Premier ministre « se trouve sous une forte pression de ses collaborateurs » pour franchir le pas et reprendre les rênes. Des rênes qu’il a souvent préféré voir entre les mains de Lech.

Une fois lancés dans la politique, Lech, plus charismatique, est resté dans la lumière, comme le visage du tandem. Poussé par Jaroslaw, le cerveau du couple, dans l’ombre le plus souvent, il a gravi les échelons: président de la Chambre suprême de contrôle, ministre de la Justice, maire de Varsovie, et enfin président de la Pologne en 2005, rejoint au sommet de l’Etat par Jaroslaw devenu Premier ministre de 2006 à 2007.

C’est Jaroslaw, le stratège, qui a soufflé à son frère de résister à l’Union européen sur le traité de Lisbonne. C’est lui qui a défini le programme du PiS, le faisant glisser progressivement « vers le nationalisme, la xénophobie, le traditionalisme, le sentiment anti-Russie et anti-UE ». Des traits qui, aux yeux d’Anna Nowak, correspondent à son « caractère agressif et son langage brutal ».

Mais aura-t-il la force de se présenter? Pour l’heure, ses proches affirment qu’il n’a « pas la tête à la politique ». Entouré de sa nièce orpheline et de sa mère malade, déboussolée, il semble incapable de dire un mot alors que tous attendent qu’il s’exprime sur le sujet. « Il donne l’impression d’être anéanti par la douleur », estime Marek Gladysz, correspondant de la radio RMF à Paris, qui n’exclut aucune hypothèse.

La compassion comme stratégie politique?

Autre question: s’il se présentait, cette stratégie serait-elle payante pour le PiS? D’autant que le président de la Diète, devenu chef de l’Etat par intérim, Bronislaw Komorowski, est le favori du scrutin. Candidat du parti libéral Plate-forme civique (PO, au pouvoir), il frôle la barre des 50% des intentions de vote, selon plusieurs sondages publiés cette semaine.

Comme son frère, Jaroslaw Kaczynski divise profondément l’opinion polonaise. « Les Polonais n’ont pas oublié que, à l’exception d’une coalition disparate avec les populistes du syndicat paysan l’Autodéfense qui avait transformé le pays en cirque horrible pendant quelques mois en 2006, il est incapable du moindre compromis ».

La population n’a pas oublié non plus « la chasse aux sorcières déclenchée par sa loi de décommunisation » en 2006-2007, rappelle Anna Nowak. Son obsession du communisme l’avait déjà conduit en 1993 à couper les ponts avec Lech Walesa et Solidarnosc, auquel les Kaczynski collaboraient, en l’accusant de collaborer avec l’URSS…

S’appuyer sur l’émotion de la population pourrait aujourd’hui s’avérer contre-productif. Les Polonais ont fait la queue pour rendre hommage au couple présidentiel à Varsovie… mais ont protesté contre le choix du lieu de sépulture voulu par Jaroslaw Kaczynski: le Wawel de Cracovie, où reposent les rois de Pologne, les poètes nationaux, le héros de l’indépendance… Selon Eryk Mistewicz, le choix de ce lieu aux accents patriotiques « contribue à la création d’un mythe Kaczynski ».

Mais la mort tragique de Lech Kaczynski n’en a pas fait un héros, ont souligné les voix discordantes au cours de la semaine de deuil national. Partant de cette réaction contrastée, pas sûr que la compassion seule suffise à asseoir le capital politique du controversé Jaroslaw Kaczynski.

Marie Simon

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