Philippe Maystadt

« Jamais un président américain en exercice n’avait livré publiquement une opinion favorable à la torture »

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Le 3 février, Le Vif/L’Express publiait un éditorial de Gérald Papy sur le choc provoqué par les premières décisions et déclarations du nouveau président des Etats-Unis. Il concluait : « Passé l’incrédulité puis l’effarement, le discours postvérité ou les « faits alternatifs » revendiqués par Donald Trump et ses conseillers glacent d’effroi tant on pressent maintenant à quelles dérives ils sont susceptibles de mener. »

Le 7 février, Herman Van Rompuy, dans une interview au magazine Knack, dénonçait  » son langage incendiaire « , et Georges Ugeux, dans L’Echo, appelait à  » organiser la résistance contre Trump « , en relevant notamment les attaques contre le pouvoir judiciaire, les menaces contre la presse ainsi que le risque militaire :  » Trump, lors de son premier briefing de sécurité, a demandé pourquoi on n’utilisait pas l’arme nucléaire.  »

Je ne vais pas reprendre ici la longue liste des motifs d’inquiétude qui sont mentionnés dans ces articles ; je voudrais simplement attirer l’attention sur l’un d’eux qui me paraît particulièrement grave. Dans sa conférence de presse en compagnie de Theresa May, le 27 janvier dernier, Donald Trump, le président de la plus puissante démocratie du monde, a déclaré avec un air impavide, comme si c’était une déclaration anodine :  » La torture, je pense que ça marche.  » A ma connaissance, jamais un président américain en exercice n’avait livré publiquement une opinion favorable à la torture. George W. Bush en avait admis secrètement l’usage en autorisant le waterboarding (simulation de noyade). Donald Trump, lui, banalise le sujet ; il évacue toute connotation éthique ; il en fait un problème technique, une question d’analyse coûts/bénéfices.

C’est une rupture dramatique par rapport au mouvement lancé au lendemain des atrocités de la Seconde Guerre mondiale et à la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée en 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies et reprise depuis dans plusieurs traités. Je n’ignore pas que le caractère universel des droits de l’homme est parfois contesté. A juste titre, on peut critiquer l’identification des droits de l’homme à certaines formes d’organisations sociales, en particulier au libéralisme économique. Mais, en même temps, il faut affirmer avec force que, quels que soient le modèle social et le contexte culturel, il y a un droit à la liberté, à l’égalité et à la dignité de tous les êtres humains, donc des lignes rouges qu’aucun gouvernement au monde ne peut franchir. L’interdiction de la torture est une de ces lignes rouges ; elle fait partie de ce qu’on appelle communément le  » noyau dur  » des droits de l’homme, ceux qui ne peuvent connaître aucune dérogation. Il peut parfois y avoir débat sur les limites de certains droits, par exemple la liberté d’expression, lorsqu’ils se heurtent à d’autres droits. Mais, pour l’interdiction de la torture comme pour l’interdiction de la mise en prison pour délit d’opinion, il n’y a pas lieu à débat ; aucune dérogation n’est acceptable. Dès lors, en ouvrant une brèche, en déclarant que  » la torture, on peut en débattre ; il y a du pour et du contre « , le discours trumpien donne raison aux dictateurs du monde entier pour qui la torture fait partie du mode de gouvernement.

Dans Le Désespéré, Léon Bloy évoque  » la multitude infinie de ceux qui n’ont pas encore assez souffert pour déjà mourir « . Avec la bénédiction de Trump, cette multitude risque de s’étendre comme une mer noircie de sang…

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