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Israël va-t-il attaquer l’Iran ?

Les relations entre l’Iran et Israël, très tendues depuis l’automne dernier, se sont brusquement dégradées ces derniers jours. A l’approche de l’élection présidentielle américaine, Tel Aviv hausse le ton, à la recherche d’un soutien ferme de Washington.

Ces dernières semaines, les médias israéliens se sont largement fait l’écho d’informations selon lesquelles une action militaire israélienne contre le programme nucléaire iranien, soupçonné de visées militaires, serait imminente. L’Etat hébreu pourrait frapper dès cet automne. Bluff ou menace sérieuse ?

Pourquoi Israël hausse le ton contre l’Iran ?

La principale raison, selon de nombreux observateurs, reste la réaffirmation du soutien américain à Israël. « Le chantage est le suivant, explique Dominique Vidal, spécialiste du Proche-Orient. Si Obama refuse de s’engager plus fermement sur le dossier iranien, Tel Aviv appuiera son rival Mitt Romney. »

Le contexte est sans aucun doute tendu : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a fait vendredi, une nouvelle provocation dont il est coutumier, affirmant que la « tumeur cancéreuse » d’Israël allait bientôt disparaître. La menace semble prise au sérieux: le gouvernement israélien a nommé un faucon au poste de ministre de la Défense civile, Avi Dichter (Kadima), ancien patron du Shin Beth, le service de renseignements intérieurs.

« Depuis des années, Israël a la certitude que l’Iran développe l’arme nucléaire, or celle-ci représente une menace existentielle pour l’Etat hébreu », explique Charles Enderlin, correspondant à Jérusalem de France 2. La question qui se pose est la suivante : faut-il intervenir seul ou laisser agir les sanctions internationales, comme le voudraient les Etats-Unis ?

La presse israélienne, dans son ensemble, donne l’impression que des frappes israéliennes contre l’Iran sont imminentes. Les journaux israéliens se font régulièrement l’écho, grâce à des  » fuites  » (orchestrées) des services de sécurité, de l’intention d’Israël de mener des frappes  » préventives  » contre les sites iraniens d’enrichissement en uranium. Le Time estime que l’emballement médiatique peut faire partie d’un « bluff visant à altérer le comportement des Iraniens ou des Occidentaux. »

« D’autres raisons intérieures et extérieures expliquent le ton israélien, analyse encore Dominique Vidal. D’abord, le gouvernement est confronté depuis un an à un puissant mouvement social, susceptible de reprendre à tout moment. Il s’agit donc de détourner l’attention de l’opinion. Ensuite, cette ‘fuite en avant’ tient aussi à l’isolement sans précédent d’Israël sur la question palestinienne: lors de sa visite en France, en juin, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, avait exposé sa volonté de demander le statut d’Etat non-membre lors de la prochaine assemblée générale des Nations Unies, où il est presque assuré d’obtenir gain de cause, le droit de veto ne s’appliquant pas. »

Israël peut-il frapper l’Iran sans l’appui des Etats-Unis ?

L’administration Obama n’a eu de cesse, depuis l’automne dernier, de calmer les déclarations bellicistes d’une partie de l’administration israélienne, en premier lieu du Premier ministre Benyamin Netanyahu et du ministre de la Défense Ehud Barak.
Washington soutient, en dépit des pressions de Tel Aviv, la voie des négociations. Le marché est le suivant : si Téhéran accepte de limiter l’enrichissement de son uranium, et d’échanger son stock de combustible enrichi à 20%, les sanctions internationales seront allégées.

Le Pentagone craint en effet que des frappes israéliennes n’embrasent la région. En mars dernier, les stratèges américains étaient parvenus à la conclusion, au terme de simulations (war games), que l’Iran riposterait à une initiative israélienne, ce qui nuirait aux intérêts américains dans la région.

Enfin, la question des moyens techniques de l’armée israélienne se pose. « Pour atteindre les sites d’enrichissement en uranium iraniens, il faudrait que l’aviation israélienne vise des centaines de cibles dans un pays trop éloigné pour pouvoir se passer des avions ravitailleurs américains », juge Dominique Vidal.

L’option de frappes contre les installations nucléaires iraniennes fait-elle l’unanimité au sein de l’administration Netanyahu ?

Deux hommes portent le projet des frappes dites « préventives » à bout de bras : le premier ministre, Benyamin Netanyahu, et le ministre de la Défense, Ehud Barak (ce dernier collectionne les déclarations menaçantes).

Cependant, plusieurs voix se sont élevées contre le puissant duo partisan d’une ligne dure sur le dossier iranien. Dans l’opposition, d’abord. Shaul Mofaz, leader du parti Kadima -qui a récemment mis fin à une coalition avec le Likoud de Netanyahu, a ainsi demandé des « clarifications » sur l’intention de ce dernier d’ « entraîner Israël en guerre contre l’Iran ». Dans une lettre envoyée au Premier ministre, il accuse le gouvernement de « franchir les lignes rouges » en manquant de transparence, en intervenant « sans légitimité dans les affaires de politique intérieure des Etats-Unis « , et en  » perdant le contrôle de [son] cabinet », rapporte le quotidien israélien Haaretz.

Ce dernier point fait référence aux déclarations du président Shimon Pérès qui a déclaré, vendredi, que l’Etat hébreu ne pouvait attaquer l’Iran sans les Etats-Unis, s’attirant les foudres de l’entourage du Premier ministre. « Mais il existe une opposition politique au sein même du Cabinet de sécurité de Benyamin Netanyahu », affirme Charles Enderlin. « L’Etat-major et les services de renseignements sont également contre des frappes israéliennes unilatérales. »

« L’armée et les services de renseignements savent que le pays n’a pas les moyens de se défendre contre une riposte massive de l’Iran et du Hezbollah, qui disposent de nombreux missiles à longue portée, explique Dominique Vidal. L’Iron Dome [bouclier anti-missile] n’est efficace que contre les missiles à courte portée, type roquettes, dont il détecte la chaleur. En outre, il n’y a pas de système d’abris massif. L’annonce de l’aménagement de parkings souterrains en abris permet de mesurer le degré d’improvisation », poursuit-il.

Si Matan Vilnaï, ministre sortant de la Défense civile, a affirmé qu’une guerre « pourrait durer 30 jours sur plusieurs fronts simultanés » et faire  » 500 morts « , de nombreux observateurs annoncent des pertes plus lourdes, « des milliers, voire des dizaines de milliers de victimes côté israélien », ajoute Dominique Vidal.

Comment réagit l’opinion publique israélienne ?

Près de 100 000 masques à gaz ont été distribués par l’armée à la population entre avril et juin. « 4,6 millions de masques » devraient, à terme, équiper les Israéliens, selon un porte-parole de l’armée, ce qui représenterait 58% de la population.

Outre la distribution de masques à gaz, les services de sécurité ont testé la semaine dernière un dispositif d’alerte aux missiles par SMS, et se sont engagés à aménager des abris supplémentaires. La préparation de l’arrière est donc bien en cours.

Cependant, plusieurs sondages montrent que l’option militaire prônée par le Premier ministre et son ministre de la Défense ne fait pas l’unanimité au sein de la population. L’un d’eux, cité par Le Monde (€), évalue à 40% la proportion d’Israéliens qui « jugent nécessaire une attaque israélienne ». « Dans son écrasante majorité, l’opinion publique reste contre une intervention sans le soutien des Etats-Unis », confirme pour sa part Charles Enderlin.

Quelles seraient les conséquences de telles frappes pour la région ?

« Les conséquences régionales seraient catastrophiques. Le Hezbollah pourrait tirer des milliers de missiles, et l’attitude de nombreux pays serait imprévisible », estime Charles Enderlin. Le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a ainsi prévenu que son organisation transformerait en « enfer » la vie de « centaines de milliers » d’Israéliens en cas d’attaques contre ses bases ou contre les installations nucléaires iraniennes.

Le gouvernement israélien, s’appuyant sur le soi-disant ‘fossé entre sunnites et chiites’, estime qu’il recevra le soutien d’une partie du monde arabo-musulman en cas de frappes contre l’Iran, explique Dominique Vidal. Cependant, rien n’est moins assuré : les divisions entre sunnites et chiites ne sont pas définitives et les alliances sont conjoncturelles. Ces dernières semaines, certains pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite, ont semblé montrer des signes d’ouverture (l’Iran a été convié mercredi dernier au sommet islamique de La Mecque). Autre signe, le président égyptien a annoncé qu’il se rendra au sommet des non-alignés à Téhéran, les 30 et 31 août prochains », ajoute le spécialiste.

« Jamais une guerre d’Israël n’a été précédée d’une si forte opposition, rappelle-t-il. Mais l’Etat hébreu n’a aussi jamais annoncé une guerre sans la faire. Or, dans l’état de déstabilisation générale en cours au Moyen-Orient -la situation en Syrie, le dossier nucléaire iranien, les divisions croissantes entre puissances occidentales et émergentes au Conseil de Sécurité, on ne sait pas où pourraient mener des frappes israéliennes. »

Gokan Gunes, L’Express.fr

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