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Israël: des tatouages éphémères pour ancrer la mémoire de la Shoah

Le Vif

À l’occasion du Jour de la Shoah ce lundi, les jeunes Israéliens et certains étudiants étrangers sont invités à se faire tatouer, de manière temporaire, le numéro de matricule d’un Juif déporté dans un camp de la mort. Une opération qui fait débat.

Présenté l’été dernier au Festival du film de Jérusalem, Numbered, un documentaire israélien réalisé par Dana Doron et Uriel Sinai, a été le premier à révéler le phénomène: ces dernières années, des dizaines de jeunes Israéliens se font tatouer (définitivement) le numéro que leurs grands-parents, revenus d’Auschwitz, portaient sur le bras gauche. Ce phénomène a inspiré l’agence de publicité israélienne Baumann Ber Rivnay (BBR). À l’occasion du Jour de la Shoah, commémoré en Israël ce lundi 8 avril, l’agence, filiale du groupe Publicis, lance une campagne qui fait débat.

Intitulée People. Not numbers (Des gens. Pas des numéros), l’opération invite de jeunes Israéliens à s’apposer, au moyen d’un tatouage éphémère, le numéro d’un rescapé des camps de la mort nazis. Auschwitz-Birkenau est le seul camp de concentration à avoir instauré le tatouage des déportés, juifs et non juifs: leur identité officielle était réduite à ce matricule. En Israël, où vivent actuellement 192 000 rescapés de la Shoah, le nombre de porteurs de matricules encore en vie est estimé à moins de 2500.

Conçue avec le consentement de dizaines de survivants des camps nazis ou de leur famille, People. Not Numbers vise les jeunes Israéliens ainsi que des étudiants internationaux venus suivre sur place des cours sur l’Holocauste.

Derrière les numéros, de « véritables personnes »

Des milliers de cartes postales assorties de tatouages éphémères doivent être distribués, accompagnés d’un flash-code, lisible avec un téléphone portable. Celui-ci permet de découvrir l’histoire du survivant porteur du numéro sur un site Internet spécifique. Pour l’agence, cette opération à but non lucratif relève du devoir de mémoire: « Derrière ces ‘numéros’ se cachent de véritables personnes avec d’authentiques histoires à raconter », souligne Gali Starkman, en charge du projet. « En moyenne, 37 survivants de la Shoah disparaissent chaque jour, » ajoute-t-il.
Parmi les défenseurs de la campagne figure Avraham Goldstein, bientôt 90 ans, originaire de Lodz (Pologne), qui porte depuis 1944 le matricule B6596. Afin de promouvoir l’opération, il a accepté de poser avec sa petite-fille, Odelia: « Cette idée est fantastique pour les jeunes, confie ce résident de Ramat-Gan, une banlieue proche de Tel Aviv. Le message va leur rentrer dans la tête. C’est très important à une époque où certains n’hésitent pas à nier l’existence de la Shoah ».

Créateur de sites Internet, Arik Diamant, 33 ans, voit lui aussi d’un bon oeil cette initiative. Petit-fils d’un rescapé d’Auschwitz qui s’est éteint voilà deux ans, il s’est fait tatouer, en 2008, le matricule de son aïeul, Yosef Diamant, sur l’avant-bras. « J’ai accompli ce geste afin d’établir un lien indéfectible avec mon grand-père, explique-t-il. Et il en a été très ému ». La campagne de tatouages éphémères est un bon moyen pour aider les jeunes générations à s’approprier l’histoire d’un déporté, ajoute-t-il: « C’est difficile d’appréhender l’évènement à l’échelle de 6 millions de victimes ».

Tranformer la barbarie en « gimmick »

Pour autant, l’opération est loin de faire l’unanimité. Il y a un mois, de hauts responsables des mouvements de jeunesse israéliens ont écrit à l’agence BBR pour lui de demander de renoncer au projet, faisant valoir que le symbole de la barbarie nazie et de la souffrance des victimes ne devait pas être transformé en « gimmick ». Relayées par certains rescapés de la Shoah, ces critiques ont été reprises dans la classe politique, par la voix de la députée Zahava Gal-On, chef de file du parti Meretz (gauche radicale), et de l’ex-parlementaire Colette Avital, présidente de la principale organisation israélienne des survivants du génocide juif.
Pour le photojournaliste Uriel Sinai, co-auteur de « Numbered », le film documentaire, la campagne de BBR « dévalue un peu » l’histoire du tatouage volontaire des descendants des rescapés de la Shoah. Mais sa coréalisatrice, Dana Doron, confiait hier au quotidien Haaretzun autre point de vue. « On fait valoir qu’il y a là quelque chose de méprisant pour la Shoah, souligne cette jeune médecin, fille de l’écrivain Lizzie Doron, dont la mère a connu les atrocités nazies. Mais ce mépris s’illustre plutôt dans la façon dont l’Etat d’Israël traite ses derniers survivants, pas dans la nouvelle vie que ces numéros ont reçue « . Parmi les rescapés des camps de la mort qui vivent en Israël, 1 sur 4 vivrait sous le seuil de pauvreté.

Par Nathalie Hamou (en Israël)

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