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Irak : l’horreur du vide

Regain de violence, impasse politique : le retrait des troupes américaines fait monter à Bagdad une peur grandissante du chaos.

Un angoissant vertige. Fût-il en trompe-l’£il, le retrait américain livre l’Irak à la peur du vide. D’autant que l’occupant, obsédé par le respect des échéances, se désengage de l’ancienne Mésopotamie sans lui avoir légué l’antidote à ce cocktail toxique : violence confessionnelle, impasse politique, vulnérabilité régionale.

Le 1er septembre, Washington aura achevé le repli de ses troupes de combat. Il restera alors in situ 50 000 hommes, censés quitter le territoire irakien avant la fin de 2011. Au-delà de cette date butoir, les Etats-Unis contrôleront l’espace aérien, tandis que des centaines de conseillers prolongeront un bail qu’on s’emploiera à »civiliser ». Leur mandat : enseigner le maniement des tanks, chasseurs-bombardiers ou frégates made in USA acquis par Bagdad, sécuriser les sites pétroliers promis aux majors d’outre-Atlantique, épauler les unités antiterroristes et les services de renseignement locaux. Suffisant ? Non, objecte le général Babakir Zebari. A en croire son chef d’état-major, l’armée irakienne ne sera pas en mesure d’assumer ses missions avant 2020.

Sinistre point d’orgue d’un été de sang, l’attentat-suicide commis le 17 août sur le seuil d’un centre de recrutement bagdadi – une soixantaine de morts – tend à accréditer cette thèse. Juillet aura d’ailleurs été le mois le plus meurtrier des deux années écoulées. Et dans les provinces de Diyala, Ninawa et Bagdad (nord), les tueurs d’Al-Qaeda persistent à semer la terreur, à coups d’embuscades et de raids contre les Sahwa, ces milices sunnites « retournées »à grands frais par la puissance occupante.

Le sabordage du pouvoir civil a de quoi décupler les ardeurs djihadistes. Près de six mois après le scrutin législatif du 7 mars, l’Irak est toujours dépourvu de gouvernement. La rupture, le 16 août, des tractations entre le Premier ministre sortant Nouri al-Maliki et son rival Iyad Allawi, chiite laïque soutenu par la minorité sunnite, n’est que le énième épisode d’un navrant feuilleton. Devancé de deux sièges – 89 contre 91 – Maliki avait auparavant tenté de pactiser avec ses « frères » chiites de l’Alliance nationale (70 députés). Las ! ceux-ci récusent sa reconduction à la tête du futur cabinetà En quête d’un ersatz d’exécutif stable, le mentor américain s’échine à bricoler un partage du pouvoir, donc de l’impuissance. Le dernier montage en date concéderait la primature à Maliki, tout en confiant à Allawi un Conseil national de sécurité doté d’amples prérogatives. Au mieux, les palabres de coulisses accoucheront d’une coalition vouée à l’échec.

Autant dire que les palinodies d’un personnel politique sectaire et corrompu suscitent l’exaspération croissante de l’Irakien de la rue. Lequel, en ce ramadan torride, se voit chaque jour exposé aux coupures d’eau ou d’électricité et à la faillite des services publics. Symptôme d’un profond désarroi, le spectre du coup d’Etat militaire flotte entre Tigre et Euphrate.

La géopolitique ayant horreur du vide, une telle béance aiguise les appétits des voisins, à commencer par l’Iran. Si Téhéran n’a pas la capacité de dicter le casting gouvernemental de son choix, il a celle d’entraver tout arrangement contraire à ses intérêts. Et d’imposer à l’équipe Obama les termes d’un coûteux marchandage.

Sept ans après l’éviction de Saddam Hussein, Washington ne peut ni rester vraiment, ni partir tout à fait. Le dilemme est ici l’autre nom de l’échec.

Vincent Hugeux

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