© Amnesty International

Inquiète pour la démocratie turque, Merkel avertit Erdogan sur les visas

La chancelière allemande Angela Merkel a adressé un message de fermeté lundi au président turc Recep Tayyip Erdogan, lequel s’est vu signifier un refus d’exemption de visas européens à un tarif avantageux, assorti d’une leçon de démocratie.

La chancelière allemande, qui était à Istanbul à l’occasion du premier Sommet humanitaire mondial, a estimé improbable une libéralisation d’ici au 1er juillet du régime des visas pour les citoyens turcs voulant se rendre dans l’espace Schengen, que demande la Turquie, laquelle refuse toutefois de remplir l’une des conditions posées.

Mme Merkel, qui rencontrait le chef de l’Etat turc en marge de ce sommet, a également fait part de sa « profonde préoccupation » au sujet de la levée de l’immunité de députés turcs, dont de nombreux élus prokurdes, qui y voient une manoeuvre du gouvernement pour les évincer.

« Bien sûr que la levée de l’immunité d’un quart des députés est une source de profonde préoccupation, que j’ai exprimée au président turc », a déclaré la chancelière pendant un point presse au consulat allemand d’Istanbul, ajoutant avoir dit à M. Erdogan qu’une démocratie avait besoin d' »une justice indépendante, (d’)une presse indépendante et (d’)un Parlement fort ».

Les remarques abruptes de la chancelière allemande illustrent l’état des relations entre la Turquie et l’Union européenne, qui se sont dégradées ces dernières semaines après le refus de M. Erdogan d’assouplir la loi antiterroriste turque, l’une des 72 conditions posées par Bruxelles pour libéraliser le régime des visas.

Ankara a fait de cet accord une condition indispensable pour continuer d’appliquer le pacte controversé sur les migrants qui a permis de réduire drastiquement le flux des passages clandestins vers la Grèce.

« J’ai clairement dit que la voie vers l’exemption de visa passe par 72 points », a souligné la chancelière allemande. « Nous avons besoin de la mise en oeuvre de ces points pour accorder l’exemption de visa », a-t-elle insisté.

‘Décisions radicales’

« Nous devons tout faire pour continuer de discuter car il est prévisible que jusqu’au 1er juillet certaines choses ne seront pas mises en oeuvre, c’est-à-dire l’exemption de visa, car les conditions ne seront pas encore remplies », a déclaré Mme Merkel.

Mais M. Erdogan refuse de toucher à la loi antiterroriste, la Turquie ayant été secouée cette année par une série d’attentats liés au conflit kurde ou attribués au groupe Etat islamique (EI).

L’UE redoute pour sa part que la législation turque dans ce domaine, qui recourt notamment à une définition de la « propagande terroriste » jugée trop large, soit utilisée pour poursuivre des opposants en pleines opérations militaires contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). De nombreux journalistes et universitaires ont été déjà poursuivis pour « propagande terroriste ».

La décision vendredi du Parlement turc de lever l’immunité de dizaines d’élus du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) accusés de soutenir le PKK, ce qu’ils démentent, a renforcé cette inquiétude. A ce jour, 138 députés, de tous les partis représentés au Parlement, sont exposés à des poursuites judiciaires sans leur immunité, dont 50 élus (sur 59) du HDP.

Un affaiblissement du HDP pourrait renforcer le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, en plein débat sur une nouvelle Constitution pour instaurer le régime présidentiel voulu par M. Erdogan, accusé par ses détracteurs de dérive autoritaire.

Les pays européens ont en outre été déstabilisés par la soudaine démission de l’ex-Premier ministre Ahmet Davutoglu, artisan côté turc du pacte sur les migrants et perçu comme un interlocuteur fiable par Bruxelles.

En revanche, son successeur, Binali Yildirim, fidèle de M. Erdogan, a exigé que l’UE mette « un terme à la confusion sur une adhésion à part entière de la Turquie ».

Signes des tensions croissantes entre Ankara et Bruxelles, un influent conseiller de M. Erdogan a averti lundi l’UE que la Turquie pourrait suspendre les accords en vigueur si les 28 continuaient de « ne pas tenir les promesses faites aux citoyens turcs ».

« Ils doivent savoir que s’ils maintiennent leur attitude, la Turquie prendra très bientôt des décisions radicales », a-t-il mis en garde.

Contenu partenaire