Carte blanche

Immigration : la Commission européenne à l’heure allemande… et dans l’intérêt général ?

Brutalement attaquée par la CSU menacée par les élections régionales en Bavière, Mme Merkel promet de trouver en 15 jours des solutions européennes sur l’immigration (qu’on recherche en vain depuis trois ans…).

Angela Merkel invite en catastrophe à Berlin quelques chefs de gouvernement pour discuter de l’immigration. Cela vise à conclure des accords bilatéraux qui réduiront les transferts secondaires de demandeurs d’asile vers l’Allemagne. Plusieurs chefs de gouvernement refusent l’invitation. Jusque-là, rien que de très normal.

La suite, en revanche, l’est beaucoup moins. La Commission Juncker se substitue à la chancelière allemande et invite les mêmes gouvernements. Elle le fait moins d’une semaine avant un Conseil européen difficile, ce qui perturbe les débats. En plus, sous la plume de l’inévitable Selmayr (qui continue à cumuler en fait les fonctions de chef de cabinet du président, de secrétaire général, et de contrôleur stalinien de la communication), elle présente des projets de conclusions. Celles-ci divergent des projets du Conseil européen, ce qui complique toute la préparation du Conseil européen. Pour couronner le tout, ces conclusions reprennent les priorités du gouvernement allemand (ce que l’Italie ne manquera pas, à juste titre, de souligner).

Dans l’agitation générale, il convient de rappeler les principes. Les institutions européennes ont pour mission de défendre l’intérêt général, et non celui d’un État spécifique, et encore moins celui d’un parti spécifique dans un État spécifique. Il n’existe pas de précédent identifié dans l’histoire de la Commission, où elle aurait organisé elle-même un sommet en catastrophe pour sauver un chef de gouvernement. Non seulement cela ne rentre pas dans ses missions, mais ses dirigeants, en plus, ont ici agi maladroitement et provoqué une série de complications inutiles. Par ailleurs, la Commission doit respecter les attributions du Conseil européen.

Il est pittoresque, enfin, de voir ce bricolage justifié par la nécessité de sauver les solutions européennes. Qui, en effet, les a sabordées, sinon Mme Merkel elle-même ? Rappelons-nous les origines de la crise en 2015. Face à la montée des réfugiés de Syrie, il aurait été possible de rechercher une stratégie européenne. C’est Mme Merkel qui l’a torpillée en décidant unilatéralement d’ouvrir les frontières allemandes. Et avec la circonstance aggravante que cela nuisait davantage à certains de ses partenaires qu’à elle-même (à commencer par la Grèce, la Bulgarie et la Hongrie). Par la suite, l’affaire tournant mal, Mme Merkel a été négocier seule avec la Turquie pour bloquer là les réfugiés, en torpillant cette fois les négociations déjà menées par M. Tusk. Ce faisant, elle apportait en plus un soutien financier inespéré à M. Erdogan juste avant une élection cruciale. En comptant que, par surcroît, ceci a entraîné une crispation générale des opinions publiques, cette stratégie n’apparaît pas vraiment comme un grand succès européen. De façon générale, si Mme Merkel apparaît sérieuse et pondérée (ce qui n’est déjà pas mal vu les standards actuels), c’est aussi la chancelière allemande le plus unilatérale depuis 1945. Cela ressort de ses décisions non seulement sur les réfugiés, mais aussi sur l’euro et sur l’énergie.

On peut comprendre que le secrétaire général Selmayr de la Commission cherche à se faire des amis (spécialement à Berlin) avant le départ de son patron M. Juncker en 2019. Cela, toutefois, ne sert pas du tout son institution. Celle-ci apparaît instrumentalisée par un État membre, et sa crédibilité générale en souffre. Cela ne sert pas davantage l’Allemagne qui apparaît, une fois de plus, comme un État privilégié dans l’Union européenne. Des dirigeants plus subtils, comme Helmut Schmidt ou Helmut Kohl, avaient toujours veillé à éviter de créer cette impression.

Enfin, de tels incidents dégradent l’image de l’Union européenne elle-même. Les commissaires européens semblent trouver normal d’organiser en catastrophe un sommet européen pour sauver l’un de leurs collègues en difficulté (qui sait, ils décideront peut-être plus tard de subsidier par le programme Media une version filmée « il faut sauver le soldat Merkel »). Il faut bien constater que les milliers de réfugiés noyés en Méditerranée n’ont pas bénéficié de la même sollicitude. Bienvenue, chers visiteurs étrangers, dans la véritable Europe des valeurs.

Franklin Dehousse, professeur à l’Université de Liège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’Union européenne.

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