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Il y a vingt ans, Kinshasa s’offrait au rebelle Kabila

Le Vif

« Ils étaient très jeunes, sales, affamés, croulant sous le poids de leurs armes; sans réfléchir, nous leur avons offert boissons et nourriture », se souvient Chantal Kikalulu. Ce 17 mai 1997, fatiguée par trop de dictature, Kinshasa s’offre sans combat aux forces de Laurent-Désiré Kabila.

Partis de l’Est en octobre 1996, soutenus et armés par le Rwanda et l’Ouganda, Laurent-Désiré Kabila et son Alliance des Forces démocratiques de libération du Congo (AFDL) vont se rendre maîtres en moins de sept mois de ce qui s’appelait alors le Zaïre, immense pays usé par près de 32 ans de règne du maréchal Mobutu.

Kabila bénéficie d’un contexte régional et international particulièrement favorable. En plus du Rwanda et de l’Ouganda, il est soutenu par une coalition – incluant aussi l’Angola et le Burundi – bien décidée à chasser Mobutu au moment où celui-ci est lâché par les Occidentaux qui l’avaient soutenu depuis sa prise du pouvoir en 1965, jusqu’à l’éclatement de l’Union soviétique.

« Dès l’aube du 17 mai 1997, des Kinois enthousiastes accouraient vers nous avec du pain, des sachets d’eau, voire des seaux d’eau pour nous laver », se rappelle Cédric Kabeya, alias Zimbabwe, fantassin ayant participé à cette épopée l’année de ses 16 ans.

Pendant la conquête, les troupes de l’AFDL, qui avait recruté à tour des bras des enfants et des adolescents, semblent avoir été précédées d’une réputation de discipline contrastant avec les Forces armées zaïroises (FAZ).

« Nous nous accrochions plus avec des mercenaires blancs qu’avec des militaires ex-FAZ », raconte Zimbabwe, devenu électricien après sa démobilisation, en 1999.

« La majorité des villes tombaient entre nos mains sans résistance de la part des hommes de Mobutu démoralisés et vomis par la population », se rappelle le général-major Jean-Claude Kifwa, aujourd’hui commandant de la deuxième zone de défense.

La population collaborait d’autant plus facilement qu’elle en avait « marre de se faire humilier, piller et gratuitement tuer par les ex-FAZ indisciplinés », dit cet ancien commandant de la garde rapprochée de Laurent-Désiré Kabila. Au plus haut niveau des FAZ aussi on en avait assez du mobutisme, ajoute-t-il, et la rébellion disposait d' »informations stratégiques » qui lui parvenaient du sein même de l’état-major.

– Libérateurs –

Selon un ancien officier supérieur des FAZ, les derniers « véritables accrochages avec l’ennemi » ont eu lieu à Kenge, à plus de 200 km à l’est de Kinshasa. Cette ville tombée, « la défense de Kinshasa n’avait plus de raison d’être, sauf à vouloir un bain de sang » dans une mégapole, qui compte déjà plusieurs millions d’habitants.

Le 16 mai, l’AFDL est aux portes de Kinshasa. Mobutu fuit vers son repaire de Gbadolite, à la frontière avec la Centrafrique. Le général Donatien Mahele Lieko, chef d’état-major, décide de livrer la ville sans combattre. Il est assassiné dans la nuit par des hommes de la Division spéciale présidentielle (DSP), le dernier carré des fidèles du « Léopard ».

Mais l’Histoire est déjà écrite. Le 17, les troupes de l’AFDL et de nombreux militaires rwandais entrent dans Kinshasa. La population en liesse les accueille aux cris de « Libérateurs ! » et « Kabila nous t’attendons ! » Le « Mzee » est alors à Lubumbashi, dans le Sud-Est, où il se proclame président de la République démocratique du Congo. Il arrivera le 20.

La mise au pas de l’opposition, la présence encombrante des soldats ougandais et rwandais et la dérive rapide du pouvoir vers l’autoritarisme font vite oublier aux Kinois leur enthousiasme.

– ‘Désillusion totale’ –

« C’était la désillusion la plus totale », regrette Adolphe Muzito, ancien Premier ministre de Kabila fils, « le peuple s’est vite rendu compte que Laurent-Désiré Kabila avait était porté au pouvoir par des chars rwandais et qu’il était temps de le libérer de [ces] étrangers dont le rôle prépondérant apparaissait clairement ».

« Ceux qui nous avaient accueillis comme des princes sont subitement devenus hostiles, nous taxant de Rwandais », témoigne Zimbabwe.

« [On nous a accusé] de nous comporter comme dans un pays conquis », raconte Armel Matabaro, ex-kadogo sans-emploi, comprenant le changement d’attitude de la population : « Nos commandants rwandais ont commencé à piller les biens des [mobutistes], ils maltraitaient de paisibles passants sans raison valable exactement comme les militaires de Mobutu ».

Fin juillet 1998, Kabila renvoie les militaires rwandais et ougandais. Quelques jours plus tard, le Rwanda envahit la RDC. La deuxième guerre du Congo vient de commencer. Elle durera cinq ans. Au total, des centaines de milliers de personnes ont péri dans la violence au Zaïre puis en RDC entre 1996 et 2003.

Kabila est assassiné par un kadogo en janvier 2001. Son fils Joseph, 29 ans, lui succède. Élu président en 2006, lors des premières élections libres du pays depuis son indépendance en 1960, M. Kabila, à qui la Constitution interdit de se représenter, reste à la tête du pays alors que son mandat est échu depuis décembre.

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