Gérald Papy

« Il faut se préparer à la mutation de Daech »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La progression des Forces démocratiques syriennes sur Raqqa et plus encore celle de l’armée irakienne dans Mossoul autorisent enfin à envisager la reconquête des bastions djihadistes syrien et irakien perdus en 2013 et en 2014 et, donc à terme, la défaite militaire de l’Etat islamique.

Ces succès ont été longs à se dessiner mais ont le précieux avantage d’être portés principalement par des troupes locales. Modifiant la nature du conflit, ils vont poser des nouveaux défis aux vainqueurs : administration des municipalités  » libérées  » sujettes à de tenaces convoitises communautaires, lutte contre une activité terroriste plus ou moins  » résiduelle  » au Levant et en Mésopotamie, réponse au déplacement prévisible du foyer djihadiste vers d’autres terres arabes, gestion des returnees, femmes et enfants compris, en Europe…

Les experts sont unanimes pour décréter que la chute du califat de Daech ne signe pas sa disparition. Le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, le Belge Gilles de Kerchove, a donc raison d’alerter les Européens sur la nécessité de prolonger le combat et de renouveler le dispositif de prévention contre un  » califat virtuel  » en fonction des enjeux de la nouvelle donne terroriste. Le problème est que la stratégie européenne et occidentale en la matière n’a pas gagné en clarté alors que la conjoncture au Moyen-Orient s’est singulièrement complexifiée et envenimée.

u0022La tension entre Riyad et Téhéran pourrait aboutir à un conflit bien plus dévastateur que ceux d’Irak et de Syrieu0022

La rivalité entre sunnites et chiites grevait déjà l’unité du monde musulman. Son pan sunnite se déchire aujourd’hui entre pro et anticonfrérie islamiste des Frères musulmans, entre défenseurs et détracteurs d’un dialogue avec l’Iran. Aiguillée par un président américain dont la politique internationale n’est pas la compétence la plus aboutie, l’Arabie saoudite a sommé son bouillant petit voisin du Qatar de rentrer dans le rang de la doxa arabe sunnite : on ne transige pas avec l’ennemi iranien, on ne mine pas l’autorité des pouvoirs autoritaires en place (via la liberté de parole laissée aux opposants sur la chaîne Al-Jazeera), on ne soutient pas les ambitions politiques des Frères musulmans… Sans doute pourrait-on se réjouir du halte-là enfin opposé à l’entrisme de ce mouvement fondateur de l’islam politique. Mais, en même temps, la suspicion, évidente, naît du donneur d’ordres, cette Arabie saoudite qui à travers le wahhabisme, la doctrine qui régit le royaume depuis sa création, inonde le monde musulman de préceptes rigoristes, inspirateurs du salafisme et du djihadisme…

Même si le nouveau prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, désormais homme fort de Riyad à 31 ans, nous est présenté comme désireux de réduire l’emprise du wahhabisme, donner les clés de la moralisation du monde arabe à l’Arabie saoudite, c’est un peu comme confier chez nous les rênes de la déradicalisation aux successeurs de Sharia4Belgium. La question, en outre, ne relève pas seulement de l’éthique et de l’efficacité de la lutte antiterroriste. Depuis que l’Arabie saoudite, épaulée par les Emirats arabes unis, a mis le Qatar au pied du mur, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont appuyé les efforts de médiation du Koweït. Les Européens n’ignorent pas, eux, qu’une montée de la tension entre Riyad et Téhéran pourrait aboutir à un conflit bien plus dévastateur que ceux que l’on connaît en Irak et en Syrie et que l’Etat islamique y trouverait une opportunité inespérée de se refaire une santé.

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