Abnousse Shalmani © Grasset

« Il faut se débarrasser des qualités dites féminines »

Le Vif

De son « cul nu » de petite fille dans la cour de son école iranienne à une liberté de parole dont elle use sans tabou, Abnousse Shalmani, jeune Française née à Téhéran auteure de Khomeiny, Sade et moi (Grasset), emploie toutes les armes en sa possession pour mener son combat. Contre l’obscurantisme sous toutes ses formes, contre les barbus et les corbeaux – les femmes couvertes d’un tchador -, et contre les inégalités entre l’homme et la femme.

Propos recueillis par Sophie Mignon

Le Vif/L’Express : Née en Iran, vous refusez, petite fille, le voile-cagoule mais aussi la robe et le pantalon réglementaires. Vous vous déshabillez et courez nue dans l’école, tandis que les « corbeaux », les femmes couvertes d’un tchador, tentent de vous rattraper. Quel sentiment éprouve-t-on quand on est « emmurée dans ses tissus » ?

Abnousse Shalmani : Ce que j’en garde, ce sont des souvenirs et des réactions d’enfants : c’est laid, ça gratte. Le premier sentiment, c’est l’étouffement. Et donc le besoin de l’enlever. Je ne voulais pas le mettre. J’avais l’impression de ressembler à tout le monde. Le tchador est une dépersonnalisation totale de la femme. On m’a expliqué que ce corps était dangereux. Mais je ne voyais absolument pas quel rapport il y avait entre mon corps et celui des autres femmes. Il n’y avait pas de seins, pas de fesses, pas de poils. Tout d’un coup, en recouvrant ce corps de petite fille, on le sexualisait. Cet étouffement du corps allait de pair avec l’étouffement de la parole. Et ce n’est pas le propre de l’islam. Thomas d’Aquin écrit dans son commentaire sur la Genèse que les femmes n’ont pas le droit de prendre la parole dans n’importe quelle assemblée. Le fait de convaincre n’est réservé qu’aux supérieurs et les femmes sont des sujets. Ensuite, elles n’ont pas accès au savoir et risquent de ne dire que des conneries. Notre plus grande victoire, à nous les femmes aujourd’hui, c’est l’accès à la parole, c’est celle-là qu’on doit exercer. Toutes les religions ont cadenassé la parole et le corps de la femme. Le corps qui va avec les mots.

Quelles sont les armes dont disposent les femmes ?

Le cerveau. Notre cerveau. Le fait de faire des études. Et d’aller vers des métiers où on ne les attend pas, plutôt que vers des métiers où les femmes sont cantonnées depuis toujours, là où les qualités d’écoute, de générosité, de douceur, de service sont mises en avant. Il faut se débarrasser des qualités dites féminines. Je n’ai pas envie d’être douce, moi. Et si j’ai envie d’être absolument égoïste et égocentrique et que j’ai envie d’être brutale, ça ne fait pas moins de moi une femme. Tout est une question de tempérament et de choix. Il n’y a pas de décence féminine. Il faut « dés-essentialiser » les notions d’homme et de femme.

Le corps lui-même est aussi une arme.

Quand la démarche est politique, la nudité devient politique. L’actrice iranienne Golshifteh Farahani est nue en couverture du magazine Egoïste. Elle est sublime. Il n’y a rien de provoquant, ni d’érotique dans cette magnifique photo noir et blanc. En tant que femme d’origine iranienne, cette nudité-là devient un pied-de-nez magnifique à tous ceux qui veulent recouvrir ce corps parce qu’il est sale et tabou. Les femmes doivent réclamer leur deuxième corps. Car les hommes ont droit à deux corps. Ils ont un corps intime qui est celui de la sexualité et du désir. Et un corps public qui est le corps citoyen. Le problème, c’est que le corps féminin est sans cesse renvoyé à l’intime, au désir et à la sexualité. Eh bien non, moi aussi, en tant que femme, comme les hommes, j’ai droit à un deuxième corps, citoyen.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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