Après deux décennies à refuser les maroquins, Nicolas Hulot a sauté le pas. © L. Zabulon/Abaca

Hulot : de l’injonction à l’action

Le Vif

Il est la plus belle prise de guerre du président Macron. Mais les désaccords avec ses collègues font redouter un passage éclair.

Jeudi 4 mai, au lendemain du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle, Nicolas Hulot est l’invité de L’Emission politique, sur France 2. Dans une vibrante diatribe, il appelle la société civile à se mobiliser pour  » une économie qui partage plutôt que d’épuiser « . Alors qu’il échange avec la polémiste Natacha Polony sur la répartition des richesses et l’évasion fiscale – ses nouveaux dadas -, la poche de son costume se met à vibrer : c’est un SMS de son ami Pascal Durand, eurodéputé Vert.  » C’est bien joli tout ça, mais tu le sais, la balle est dans ton camp. A un moment, il va falloir que tu te jettes à l’eau.  »

Et pour cause. On ne peut pas être éternellement celui qui dit non. Se désespérer de la myopie des politiques et renoncer systématiquement aux portes du pouvoir. Depuis presque deux décennies, l’ex-animateur d’Ushuaïa, métamorphosé en Cyrano du climat, a refusé tous les maroquins. Non à Chirac en 2002. Non à Sarkozy en 2007, qui lui propose un vaste ministère englobant l’écologie, le développement et l’aménagement durable. Certes, en décembre 2012, il accepte le poste d’envoyé spécial du président pour la protection de la planète dans le cadre des négociations de la COP 21, mais le job est surtout honorifique et ne lui donne aucune marge de manoeuvre réelle. Il repousse à nouveau les avances de Hollande quand ce dernier lui offre d’entrer dans un gouvernement remanié en janvier 2016. Craint-il de se lier les mains ou de constater sa propre incapacité à agir ? L’homme est torturé. Rongé par ses hésitations. Au printemps 2016, poussé par sa garde rapprochée et une opinion publique qui le plébiscite, Nicolas Hulot songe à se présenter à l’élection présidentielle. Une task force est même créée. Mais il jette encore l’éponge à l’orée de l’été.  » J’ai appris la nouvelle alors que j’étais en train de déposer les statuts du parti à la préfecture « , raconte aujourd’hui son ami Gérard Feldzer, le propriétaire de la fameuse péniche QG du clan Hulot. Alors, comme d’habitude, il se  » bunkérise  » dans sa fondation et évacue sa colère sur son kitesurf, volant au-dessus des eaux grises et glacées de Saint-Lunaire, son havre breton.

Pourquoi a-t-il aujourd’hui sauté le pas ?  » Le contexte international, l’élection de Trump et les nuages menaçant l’accord de Paris sur le climat ont joué « , reconnaît l’ex-porte-parole de la fondation, Matthieu Orphelin. Et puis, le discours ni gauche ni droite, la volonté de casser les codes du président En marche ! l’ont séduit.

Emmanuel Macron et Nicolas Hulot ne sont pas amis. Et le second n’a pas voté pour le premier au premier tour. Mais Macron le séducteur sait y faire. En cadeau de bienvenue, il lui offre un titre de ministre d’Etat qui va permettre à Nicolas Hulot de mettre son grain de sel dans tous les dossiers, et pas seulement dans ceux afférents à son portefeuille. Et à l’issue de négociations serrées, Hulot obtiendra la main-mise sur les transports et l’engagement de remettre à plat deux dossiers brûlants. Celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes, d’abord.  » La nomination d’un médiateur chargé d’évaluer les conséquences économiques et écologiques de toutes les alternatives est une première. « , se réjouit Pascal Canfin, directeur général du WWF. Le dossier du Ceta (l’accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada tant contesté par la Région wallonne au début de l’année), ensuite. Nicolas Hulot a soutenu la démarche de la centaine de députés qui ont saisi le Conseil constitutionnel en février. Avec sa fondation, il a même déposé, début mars, auprès des sages ce que les juristes appellent une  » porte étroite « , c’est-à-dire une note pour dénoncer l’incompatibilité du Ceta avec la Constitution. L’engagement d’Emmanuel Macron de faire évaluer par des experts indépendants les enjeux sur l’environnement et la santé du Ceta l’a forcément satisfait.

Malgré les sourires, Nicolas Hulot et Edouard Philippe ne partagent pas grand-chose

Pour autant, sa tâche s’annonce dé- sormais très ardue.  » Il est isolé au sein de ce gouvernement « , reconnaît l’ex- ministre de l’Ecologie Corinne Lepage, qui a rejoint l’équipe Macron pendant la campagne. Malgré les sourires de circonstance lors de leur premier déplacement conjoint, Nicolas Hulot et le Premier ministre français, Edouard Philippe, ne partagent pas grand-chose. Le député et maire du Havre – un temps lobbyiste en chef d’Areva, le géant français du nucléaire – n’a voté ni la loi de transition énergétique ni celle sur la biodiversité. Il s’est opposé à la fermeture au Havre d’une des plus vieilles centrales électriques tournant au charbon (180 emplois étaient en jeu), faisant sien l’argument d’EDF selon lequel cette vieille usine servait de pilote pour la recherche sur la captation des rejets de CO2. Une défense qui fait hurler les ONG.

Les points de friction, voire de conflit, avec ses nouveaux collègues ne manquent pas. Avec Bruno Le Maire, nouveau ministre de l’Economie, les choses sérieuses vont débuter dès l’automne, saison du projet de loi de Finances 2018. Montée en puissance de la taxe carbone et relèvement de la fiscalité sur le diesel : deux sujets défendus par Nicolas Hulot, qui ne font guère bondir de joie le patron du ministère de l’Economie. Avec Jacques Mézard, nouveau ministre de l’Agriculture, certains dossiers devraient aussi apporter leurs lots de fâcheries. Le sénateur du Cantal n’a pas voté la loi sur la biodiversité et s’est opposé à l’obligation de porter à 20 % la quantité de produits bio au menu des cantines. Or, le sujet épineux des néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles, va revenir sur le devant de la scène. La loi les interdit à compter de septembre 2018, mais une dérogation pourrait être admise jusqu’en 2020 si les ministres de l’Ecologie, de l’Agriculture et de la Santé accordent leurs violons.

Nicolas Hulot a obtenu la remise à plat du dossier de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes.
Nicolas Hulot a obtenu la remise à plat du dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes.© S. mahé/Reuters

Six mois pour claquer la porte

Même avec le président de la République, certains dossiers pourraient provoquer un clash. Ainsi de  » la bombe guyanaise  » : l’exploitation d’une gigantesque mine d’or (une fosse de 2,5 kilomètres de long, 500 mètres de large et 400 m de profondeur) sur le site de la Montagne d’or, dans l’ouest de la Guyane. Les autorités de Cayenne et Emmanuel Macron défendent mordicus le projet de la compagnie russe Nordgold. Or, Nicolas Hulot et des dizaines d’ONG s’y opposent férocement depuis des mois.  » Ça sera un test très intéressant « , remarque Pascal Canfin.

Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise, lui a donné six mois pour claquer la porte… Partira-t-il à la première prise de bec, au premier arbitrage présidentiel en sa défaveur ? Les paris sont déjà ouverts. L’homme est sanguin et peu enclin aux petits arrangements.  » S’il obtient une ou deux grandes victoires politiques, les compromis seront plus faciles à accepter sur le reste « , espère Alain Grandjean, économiste et membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot. Il faut dire que, depuis sa défaite à la primaire écologiste en 2007 face à Eva Joly, Hulot a gagné en épaisseur et en habileté politique. Parmi les grands succès de ces dernières années, on lui doit bien sûr la réussite de la COP 21, pour laquelle il avait été missionné par François Hollande.  » Nicolas, qui est toujours en quête d’approfondissement, a beaucoup travaillé ses dossiers, de façon à être toujours plus percutant « , raconte l’ancien député européen écolo Jean-Paul Besset. Exemple de la méthode Hulot : en 2011, alors qu’il commence à percevoir le lien indissociable entre l’écologie et le social, il prend rendez-vous avec Michel Rocard, l’ancienne figure socialiste, pour un petit cours sur l’histoire de France des relations sociales.  » Pendant un après-midi entier, il l’a écouté religieusement en prenant des notes « , se souvient un proche présent. Sa force ? Une crédibilité et une sincérité que plus personne ne lui conteste.  » Hulot a fait le tour du monde, il s’est formé auprès des plus grands esprits de la planète. Cela lui confère une aura indiscutable qui pèsera dans les négociations « , estime Pascal Durand.  » Motivé par la seule défense de l’intérêt général, Nicolas saura construire des ponts plutôt que de creuser des fossés « , abonde son ex-porte-parole Matthieu Orphelin.

Reste que la frontière entre la défense de l’intérêt général et la compromission est parfois ténue. Jusqu’à présent, l’homme qui chuchote à l’oreille des chefs d’Etat n’a jamais eu à ferrailler avec les lobbys industriels et financiers. Même s’il n’est pas un fervent adversaire du nucléaire – il n’affiche une opposition nette à l’atome que depuis la catastrophe de Fukushima en 2011 -, la bataille avec EDF sera sans doute la plus difficile à mener.  » S’il veut tenir les objectifs de la loi de transition énergétique, il devra fermer de 15 à 20 réacteurs d’ici à 2025. EDF ne le laissera jamais faire « , redoute Corinne Lepage.  » Hulot aura en face de lui l’un des lobbys les plus puissants de France : le corps des Mines, qui a pris l’habitude de dicter la politique énergétique de la France « , ajoute l’ancien député Europe Ecologie Les Verts Noël Mamère, selon qui le choix de sa directrice de cabinet, Michèle Pappalardo, ancienne présidente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), n’est pas anodin. Elle est notamment l’auteure du rapport de la Cour des comptes de 2012 sur le vrai coût du nucléaire en France… De quoi donner quelques sueurs froides à EDF, dont le titre s’est effondré de 7 % en Bourse le jour de la nomination de Nicolas Hulot. Dès le lendemain, Jean-Bernard Lévy, puissant patron de l’électricien, montait au créneau en affirmant que le nucléaire était  » indispensable  » pour assurer l’indépendance énergétique de la France,  » pas seulement aujourd’hui, mais encore pour des décennies « .

Tenir l’ensemble des promesses d’Emmanuel Macron en matière d’écologie sera un sacré défi pour  » M. Ushuaïa « . Ses premiers pas au sein du gouvernement Philippe vont être scrutés par ceux qui, comme Jean-Luc Mélenchon ou Cécile Duflot, estiment que cette nomination est une  » prise de guerre  » d’Emmanuel Macron uniquement destinée à remporter les législatives. Mais aussi par tous ceux, bien plus nombreux, qui placent beaucoup – trop ? – d’espoir en lui.  » La première déclaration de Christophe Castaner (NDLR : le porte-parole du gouvernement) à la sortie du Conseil des ministres n’est pas très rassurante, puisqu’il a rappelé qu’Hulot aurait une feuille de route comme les autres. Or, le programme d’En marche ! est très en deçà de nos attentes « , regrette déjà Jean-François Julliard, président de Greenpeace France. Et puis Nicolas Hulot saura-t-il passer du statut de lanceur d’alerte à celui d’homme d’action ? Comme le rappelle Julien Bayou, porte-parole d’EELV, l’ancien présentateur télé a beau avoir été un formidable VRP de la cause environnementale, ses messages ont rarement été traduits de manière coercitive dans les textes. Et le candidat aux législatives de conclure :  » Espérons que le Grenelle de l’alimentation qui lui tient tant à coeur ne se clôturera pas par une incitation à faire du sport…  »

Par Julie De la Brosse et Béatrice Mathieu.

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