Huang Nubo. © Belga

Huang Nubo, le milliardaire chinois hanté par ses souvenirs de « garde rouge »

Le Vif

Son père, estampillé « contre-révolutionnaire », s’est suicidé en prison. A la Révolution culturelle, le fils rejoindra pourtant avec enthousiasme les jeunes « gardes rouges », frappant et humiliant ses victimes: c’est ainsi que lui-même et sa génération ont fait l’apprentissage de la vie, raconte le milliardaire Huang Nubo –redoutant une répétition du passé.

C’est l’un des hommes les plus riches de Chine. Alpiniste, il se détend en montagne et a gravi trois fois l’Everest. Huang est connu à l’étranger pour sa tentative avortée d’acheter un gros morceau de l’Islande.

Mais sous le pseudonyme de Luo Ying, il a également publié deux volumes de poèmes où il décrit son expérience durant la Révolution culturelle, lancée par Mao Tsé-toung il y a 50 ans ce lundi.

Colonel dans les rangs communistes durant la guerre civile, son père Huang Junfu s’est ensuite retrouvé étiqueté « contre-révolutionnaire ». Emprisonné, maltraité, il s’est suicidé dans sa cellule. Son fils avait trois ans.

« Quand ils l’ont enterré dans les dunes, ses yeux étaient encore grand ouverts », raconte Huang dans un poème. « Un ennemi n’a pas de pierre tombale, alors il a pourri comme un chien sans nom ».

Rudoyé dans son enfance par les villageois du Ningxia (nord), il deviendra un très jeune et ardent « garde rouge » au début de la Révolution culturelle. Avant d’être renvoyé par Mao se faire « rééduquer » par les paysans, comme 20 millions d’autres écoliers et étudiants.

‘Nous sommes tous des démons’

Voisins contre voisins, collègues de travail s’attaquant dans des « sessions de lutte », enfants dénonçant leurs parents: la tourmente de la Révolution culturelle n’a épargné personne. Et chacun s’est retrouvé bourreau, victime ou complice à tour de rôle.

« Je suis une victime, un participant et un exécutant; j’ai dénoncé et j’ai été dénoncé », confie Huang lors d’un entretien avec l’AFP.

Il conclut ainsi son deuxième volume –interdit en Chine: « Ceux qui ont vécu la Révolution culturelle savent qui est un homme et qui est un démon ».

« Nous somme tous des démons. Moi compris », souligne-t-il, à l’Université de Pékin où il a fondé un centre de recherches poétiques.

L’essor économique de la Chine –grâce à la répudiation des idées de Mao et l’introduction des forces du marché– s’enracine aussi dans l’héritage le plus destructeur de ces années, estime Huang.

« La Révolution culturelle a enseigné à ma génération que vous devez vous comporter comme un loup pour survivre », remplaçant les valeurs anciennes par la croyance que « le gagnant rafle tout: si vous battez quelqu’un, vous êtes un héros, et si vous êtes riche, vous êtes dans le vrai ».

Sa vie a suivi le chemin du parti unique. Il a quitté son emploi au département de la propagande pour « emprunter la voie capitaliste » et fonder son conglomérat, Zhongkun, dans le tourisme et l’immobilier.

A 60 ans aujourd’hui, sa fortune est estimée à 1,3 milliard de dollars.

En 1981, la Révolution culturelle a été officiellement qualifiée de « grave » erreur de Mao qui a « semé le chaos dans le pays et amené une catastrophe pour le Parti, l’État et le peuple entier ». Chapitre clos pour les autorités.

Une autre Révolution culturelle ?

Le premier livre de Huang est disponible en Chine: « Journal d’un jeune envoyé à la campagne ». Le second, « Souvenirs de la Révolution culturelle », reste interdit: il raconte les cadavres éventrés et remplis de briques, les corps de femmes flottants dans une rivière, bâtons plantés dans les vagins, ou l’exécution d’une femme âgée pour s’être trompée dans les paroles d’un chant patriotique.

A mesure que s’effacent les horreurs de ces années, une nostalgie insidieuse se glisse dans certaines productions télévisuelles romançant la vie des « jeunes rééduqués ».

Six des sept membres de l’actuel comité permanent du Bureau politique du PC chinois –son organe suprême– ont eux-mêmes goûté à la « rééducation » à la campagne », dont le président Xi Jinping.

« Si on continue comme ça et qu’on ne se penche pas sur le passé, il y aura une autre Révolution culturelle », dit Huang, car « si l’impression qu’elle laisse, c’est le romantisme (…) les gens ne craindront pas de recourir à nouveau à la violence ».

En attendant, « quand vous vous retournez sur ces années, depuis votre position actuelle dans la société, vous vous demandez si le cauchemar que vous avez vécu s’est vraiment passé », ajoute-t-il.

« Mais une vie ne suffit pas à effacer le mal fait dans votre coeur ».

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