Une pancarte "100 ans de déni" lors d'une manifestation à Jérusalem ce 24 avril pour commémorer les 100 ans du génocide arménien. © BELGAIMAGE/Gali Tibbon

Hommage international au génocide arménien

Des centaines de milliers d’Arméniens commémoraient vendredi les massacres perpétrés par les Turcs ottomans à partir de 1915, avec notamment à Erevan un hommage solennel en présence de Vladimir Poutine et François Hollande, qui a appelé la Turquie à reconnaître ce génocide.

Après une cérémonie solennelle qui a réuni des délégations de près de 60 pays à Erevan, une foule émue d’Arméniens venus du monde entier est allée en procession se recueillir au Mémorial du génocide, déposant près de la flamme éternelle des monceaux de fleurs et des bougies.

« Je suis ici pour montrer que les Arméniens n’oublieront jamais ce qui s’est passé il y a un siècle. Nous voulons que la Turquie reconnaisse sa culpabilité et s’excuse », a déclaré Sevan Gedelekian, Arménien de la diaspora venu spécialement du Liban. « Nous prions pour ceux qui ont été tués lors du génocide. Certains de mes ancêtres ont disparu en 1915 et leur sort reste inconnu à ce jour », a ajouté Sousanna Tangian, habitante de Erevan.

Plus tôt dans la journée, François Hollande, chef du premier grand Etat européen à avoir reconnu le génocide arménien en 2001, a appelé la Turquie à enfin reconnaître le caractère génocidaire des massacres. « Il y a en Turquie des mots, et des mots importants, qui ont déjà été prononcés mais d’autres sont encore attendus pour que le partage du chagrin puisse devenir le partage d’un destin », a affirmé le président français.

Pour Vladimir Poutine, « rien ne peut justifier des massacres de masse ». Il a assuré que le peuple russe « se recueillait au côté du peuple arménien », avant de dénoncer la montée des « nationalismes radicaux », en référence à l’Ukraine.

Auparavant, le président arménien Serge Sarkissian avait « remercié » les dirigeants étrangers présents, promettant que « rien ne sera oublié ».

Des cérémonies ont également été organisées par la diaspora arménienne de Los Angeles à Stockholm, en passant par Paris, Beyrouth, Téhéran ou Jérusalem.

A Istanbul, une centaine de personnes se sont réunies devant l’ancienne prison où furent détenus les premiers Arméniens arrêtés le 24 avril 1915, lors de la rafle qui a marqué le coup d’envoi des massacres qui ont duré deux ans.

Un ministre turc à une messe d’hommage, pour la première fois

Pour la première fois, un ministre turc a participé à une messe d’hommage célébrée au patriarcat arménien de l’ancienne Constantinople. « Nous respectons les souffrances vécues par nos frères arméniens. Nous sommes conscients de leur épreuve. C’est pour cette raison que nous sommes venus assister à cette cérémonie », a déclaré le ministre des Affaires européennes, Volkan Bozkir, à l’issue de l’office.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a pour sa part renouvelé ses « condoléances » aux victimes. « J’affirme que nos coeurs sont ouverts aux descendants des Arméniens ottomans de par le monde », a écrit l’homme fort du pays dans son message.

Néanmoins, Ankara avait décidé de célébrer ce jour-là le 100e anniversaire de la bataille de Gallipoli, épisode meurtrier de la Première guerre mondiale. Les combats avaient en fait débuté un 25 avril, soit samedi. Mais les autorités ont avancé les cérémonies, et certains chefs d’État ou de gouvernement ont choisi Gallipoli plutôt que Erevan.

Les Arméniens et des historiens estiment que 1,5 million de personnes ont été tuées de manière systématique entre 1915 et 1917, pendant les dernières années de l’Empire ottoman.

Une vingtaine de pays ont reconnu le génocide.

La Turquie récuse ce terme, arguant d’une guerre civile en Anatolie, doublée d’une famine, dans laquelle 300.000 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs sont morts.

Jeudi, l’Église apostolique arménienne a canonisé les 1,5 million de morts, lors de la plus importante canonisation en nombre jamais décidée dans la chrétienté.

Le président allemand Joachim Gauck a le même jour reconnu le génocide, soulignant la « coresponsabilité » de l’Allemagne avec son allié ottoman à l’époque.

Son homologue américain Barack Obama ne s’est de son côté risqué qu’à évoquer un « terrible carnage » dans un communiqué aux mots pesés, évitant d’employer le mot « génocide ».

Auparavant, Ankara s’était irrité des déclarations du pape François, qui a prononcé pour la première fois le mot de « génocide » pour les Arméniens, et par le Parlement européen qui a demandé à la Turquie de le reconnaître.

L’Arménie, ex-république soviétique, et sa nombreuse diaspora luttent depuis des décennies pour que les massacres, perpétrés dans la partie aujourd’hui turque du pays, soient reconnus comme un génocide.

Le pape François n’a pas voulu « créer plus d’animosité »

Le pape François, en qualifiant au Vatican le massacre des Arméniens de 1915 de « premier génocide du XXe siècle », n’a « pas voulu susciter plus d’animosité », mais inviter les parties -les Turcs et les Arméniens – à « se rapprocher », a souligné vendredi le Premier ministre du pape, le cardinal Pietro Parolin.

« Ce que nous devions faire, nous l’avons fait, le pape a parlé de manière très claire et en même temps très discrète de ce thème », a estimé le secrétaire d’Etat, le jour de la commémoration à Erevan des massacres.

Il s’exprimait en marge d’une conférence à Padoue après que les propos du pape, le 11 avril dans la basilique Saint-Pierre, avaient suscité la fureur des autorités turques.

Le Vatican était représenté vendredi dans la capitale arménienne par le cardinal suisse Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.

« François a parlé comme toujours en termes de réconciliation comme il l’avait déjà expliqué dans l’avion du retour de Turquie (en novembre dernier). Si nous rappelons de tels évènements, ce n’est pas pour susciter plus d’animosité mais pour inviter toutes les parties (…) à se rapprocher, à donner une interprétation commune de l’Histoire, à trouver les motifs d’entente », a expliqué Mgr Parolin.

Largement commentées par des historiens ces dernières semaines, des archives inédites du Vatican ont révélé les efforts du Saint-Siège et du pape Benoît XV auprès du Sultan pendant la Première guerre mondiale en faveur des Arméniens. Il avait envoyé deux lettres au Sultan et une autre au président américain Woodrow Wilson. Le nonce à Istanbul avait multiplié les démarches humanitaires pour empêcher les massacres. Ceux-ci n’ont fait que redoubler.

Une minute de silence à la Chambre pour le génocide arménien

La vice-présidente de la Chambre, Françoise Schepmans (MR), s’est prononcée vendredi en faveur d’une minute de silence à la mémoire des victimes du génocide arménien lors de la prochaine séance plénière de l’assemblée.

« Je pense que ce serait une initiative tout à fait positive que les groupes politiques et le président du parlement demandent cette minute de silence », a déclaré Mme Schepmans sur le plateau de Télé-Bruxelles.

Le chef de groupe MR, Denis Ducarme, a soutenu la prise de position de sa collègue. Il estime qu’il « s’agit d’une requête tout à fait légitime dans le débat sur cette question », a indiqué la porte-parole du groupe à l’Agence Belga.

La commémoration du génocide arménien n’a pas suscité d’attitude unanime du monde politique belge. Le parlement bruxellois s’est divisé sur l’opportunité d’une minute de silence avant de trouver un compromis. Le PS a été montré du doigt. Quant au ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR), il s’est vu reprocher jeudi par le FDF, l’absence d’un membre du gouvernement belge aux cérémonies qui ont lieu à Erevan et sa prudence face à l’utilisation du terme « génocide ».

Jeudi, le président allemand, Joachim Gauck, a reconnu le « génocide » arménien et sa souligné la coresponsabilié allemande dans ce crime, appelant son pays à faire un travail de mémoire.

Le président de l’assemblée des représentants de la communauté arménienne de Belgique, Grégoire Jakhian, a salué ce geste.

« Je demande aux hommes politiques belges de répondre à cette attente de dignité, cette exigence d’humanisme et de morale dans un souci d’éducation et de prévention », a-t-il ajouté sur les ondes de La Première.

M. Jakhian a jugé les atermoiements belges « bien en deçà des critères exigeants de la morale ».

Plus de 3.000 personnes ont marché à Bruxelles

Plus de 3.000 personnes, selon la police, ont marché vendredi après-midi à Bruxelles pour la commémoration du 100ème anniversaire du début du génocide arménien et pour sa reconnaissance par tous les Etats et plus particulièrement la Belgique.

Cette journée de commémoration a été initiée dès 10h00 par une messe à l’Église apostolique arménienne d’Ixelles située rue Kindermans. Cet hommage a été suivi de 12h00 à 13h30 par un dépôt de fleurs square Henri Michaux, devant le monument dressé pour les victimes du génocide arménien. Les manifestants ont ensuite marché à partir de 14h00 de la gare Centrale jusqu’au Parlement européen, en passant devant l’ambassade de Turquie où un arrêt a été marqué pour demander la reconnaissance du génocide arménien par l’Etat turc. Le rassemblement final place du Luxembourg s’est terminé à 18h00.

Les manifestants ont rappelé que le 24 avril 1915, le dernier gouvernement de l’empire Ottoman a donné l’ordre d’arrêter les intellectuels arméniens. Ils seront environ 2.300 en deux jours. Entre 1915 et 1917, il est estimé qu’un million et demi d’Arméniens ont été déportés et massacrés au cours de ce qui a été le premier génocide du 20ème siècle.

« C’était un crime contre l’humanité, pas seulement contre les Arméniens et les chrétiens. En tant que Belges d’origine arménienne, on demande à notre pays de reconnaitre le génocide arménien. En 1988, seul le Sénat belge l’a reconnu. Nous demandons largement la reconnaissance du génocide arménien, mais aussi sa réparation et la pénalisation de la négation du génocide », a expliqué Peter Petrossian, président du Comité de défense de la cause arménienne de Belgique, qui estime entre 30.000 et 35.000 le nombre de Belges d’origine arménienne.

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