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Hollande vs Sarkozy : la guerre est déclarée

Condamné au sauve-qui-peut, le président entre en campagne sans le dire et multiplie les annonces. Gagné par l’euphorie, le socialiste veut croire que la victoire est proche et dévoile son projet. Le face-à-face a commencé.

C’est une blague qui circule chez des socialistes. « A ce rythme, la France ne sera jamais tant réformée qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle ! » Après que François Hollande eut accéléré le rythme pour ne pas laisser le chef de l’Etat dominer, avec ses v£ux, le mois de janvier, Nicolas Sarkozy, à son tour, accélère le tempo de son quinquennat finissant en multipliant les annonces. Autour d’une problématique qu’il veut installer au c£ur du débat : comment redonner de la compétitivité à l’industrie française. D’un dimanche l’autre : en une semaine, entre un meeting au Bourget et une émission à l’Elysée, la campagne a rebondi. Chacun s’efforce de ne pas citer l’autre, chacun ne raisonne qu’en fonction de l’autre. Leurs propositions parfois s’opposent, parfois se ressemblent. Peu importe, la guerre est maintenant déclarée.

Une première version du livre de Sarkozy est rédigée

L’interview de Nicolas Sarkozy, le 29 janvier, a certes servi à délivrer quelques décisions, à affirmer une détermination et à mettre un terme à la « séquence Hollande ». Mais l’Elysée a aussi transformé ce rendez-vous en test. C’était l’heure de vérité – fait rarissime, le président avait même des fiches sous les yeux. Pendant l’émission, et dans sa foulée, des études qualitatives ont été menées auprès de différents échantillons de la population française : le président est-il encore crédible quand il parle ? Ou est-il seulement perçu comme un candidat ? Des résultats dépendra la stratégie : si la fonction de chef de l’Etat se révèle malgré tout protectrice, alors Nicolas Sarkozy attendra le plus possible avant de déclarer sa candidature. Sinon, il accélérera le rythme. En 2002, quand Jacques Chirac tardait à descendre dans l’arène, celui qui le pressait d’agir au plus vite s’appelait Nicolas Sarkozy. « Le mois de janvier n’a pas été bon », constatait le maire de Neuilly, réclamant que l’on mette « des idées entre Chirac et les Français ».

Il ne faut pas toujours croire un président candidat. Des confessions sous la forme d’un livre ? « Ce moment n’est pas venu, je suis tout à fait incapable d’être à la fois acteur et commentateur », a-t-il expliqué à la télévision. Or, selon les informations du Vif/ L’Express, une première version de l’ouvrage est terminée, que le chef de l’Etat s’apprête à montrer à un nombre très restreint de proches.

Il ne faut pas davantage croire un favori quand il joue les faux modestes. François Hollande paraît le premier grisé par le succès du Bourget, et ses proches ne sont pas loin de considérer que la guerre est d’ores et déjà gagnée. « Quand il met le pied dans une flaque, il pense qu’il marche sur l’eau », ironise, en privé, le ministre français du Travail, Xavier Bertrand (UMP). Le candidat socialiste se sent-il irrésistible ? Il se couche tard, est le premier levé. Dès 6 heures du matin, il envoie des textos : « Tu peux m’appeler si tu veux. » Il enchaîne les kilomètres, serre la main au moindre passant, se plie à toutes les demandes de photos. A Metz (Moselle, au nord-est de la France), le 17 janvier, à peine descendu de son long vol depuis la Guyane, il prolonge son discours devant les sympathisants et rate le dernier train pour Paris ; il rentrera en voiture. Il le dit à son public, ravi du geste. A Bourgoin-Jallieu (Isère, est de la France), promis, il fera court. Mais ne peut s’empêcher de relancer ses tirades, devant un public pourtant composé de convaincus.

Le 26 janvier, il sort du plateau de l’émission Des Paroles et des actes. Il prend le temps de serrer la main aux employés du buffet et au personnel de France 2. Manifestement soulagé, franchement souriant. Il passe devant la loge d’Alain Juppé, qui a quitté depuis belle lurette les studios de la Plaine-Saint-Denis. Le ministre d’Etat était venu flanqué d’un seul collaborateur. François Hollande est attendu par les piliers de son équipe, de Manuel Valls à Pierre Moscovici, en passant par Harlem Désir, Vincent Peillon ou Claude Bartolone. Tous l’entourent et rivalisent de compliments, de congratulations. Une future cour ?

Lui-même se veut magnanime : « Pour gagner, il faut savoir oublier, faire table rase du passé. L’amnésie est nécessaire, sinon je serais tout seul. Laurent Fabius fait du bon travail. Il m’a donné une fiche pour le débat contre Juppé. » Il n’y a que le nom de Ségolène Royal qu’il s’abstient de citer. Parfois, il frôle le dérapage. Au Bourget, il évoque les pendus de Tulle, tués par les Allemands en juin 1944. Une idée de Bernard Poignant : « Ce sera ton plateau des Glières à toi. Contrairement à Sarkozy, ce n’est pas une référence factice pour toi, car tu l’honores tous les ans. » Devant ses fans, Hollande s’emporte, improvisant que ces héros n’avaient pas eu besoin de bonus ou de stock-options pour agir. « Ce n’était pas dans mon texte, je voulais dire qu’on peut être un héros sans avoir besoin d’être un milliardaire », se défend-il. A la télévision, le 26 janvier, il n’est pas loin de qualifier le président d' »anormal ». Il se rattrape de justesse.

Quand les syndicats donnent des tuyaux à Hollande

Dans une guerre de mouvement, connaître les plans de l’adversaire permet de tendre des embuscades. Le socialiste a ses taupes. Deux jours avant les annonces présidentielles, il lance, devant 2 000 fans massés dans un gymnase de Bourgoin-Jallieu : « On me dit, aux dernières nouvelles, que la TVA sera augmentée au mois d’octobre ! Avec un argument – il fallait y songer – disant : « On va annoncer que la TVA augmentera en octobre, comme ça, les Français seront tentés de consommer beaucoup d’ici là ! » » Comment savait-il ? Les syndicats, reçus par Nicolas Sarkozy, et des fonctionnaires du ministère des Finances lui avaient donné quelques tuyaux…

Le président aussi a ses informateurs. Grâce à l’un de ses conseillers, qui a assisté à la réunion des chefs de cabinet des ministres, à Matignon, au cours de laquelle chacun a donné le programme des déplacements, il a pu tancer, lors du Conseil des ministres suivant, les neuf membres du gouvernement qui n’ont prévu aucune visite de terrain. « Pour février, a conclu le chef de l’Etat, je veux croire que c’est aux lenteurs de l’administration que nous devons le peu de voyages déjà programmés. »

Signe de la nervosité à tous les étages du pouvoir, chacun se renvoie la responsabilité de la mauvaise passe actuelle. Certains ministres pointent l’UMP, qui « ne fait pas assez le job », d’autres critiquent les excès de la cellule Riposte, emmenée par l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux. En franc-tireur, le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire presse le président de montrer une « vraie humilité sur le bilan » et de « reconnaître ses erreurs » – de comportement, mais aussi de fond – quand Xavier Bertrand juge que le camp d’en face en fait suffisamment dans ce domaine pour que la majorité s’y prête aussi. Dans une campagne, il y a ce qui permet de relancer le rythme et ce qui menace d’ennuyer. « Il ne faut pas que je finisse par lasser en saturant les médias, confie Hollande. Je ne veux pas faire de suractivité. » Lucide, il ajoute immédiatement : « Bon, j’avais déjà dit que je faisais une diète médiatique après la primaire. Elle a duré deux jours. » Lui et ses proches savent qu’il devra accélérer de nouveau en février, puis en mars, pour éviter la chute. « Avec Le Bourget, on n’a pas tiré la plus grosse cartouche, d’autant que Nicolas Sarkozy va dépenser la plus grosse partie de son budget de candidat sur un laps de temps très court », affirme Michel Sapin, chargé du projet auprès de François Hollande. Nicolas Sarkozy mise, en effet, sur un Blitzkrieg. Cette fois, c’est la stratégie qui peut paraître presque arrogante : renverser en quelques semaines à peine une situation qui semble fortement compromise. « La roue tourne déjà, le débat revient sur nos propositions », se réjouit un ministre.

Dans une campagne, il y a aussi ce qui est prévisible et ce qui ne l’est pas. François Hollande a déjà réfléchi, avec quelques fidèles, à la stratégie qu’il devra adopter en cas d’attaque d’Israël contre l’Iran. Il a commencé à en parler publiquement : « Nous devons être responsables pour ne pas utiliser la vie internationale à des fins de politique intérieure. Il y a des sujets qui doivent rassembler, qui doivent unir la communauté nationale – quoi qu’il se passe. C’est aussi là notre sens de la dignité et de la responsabilité », prévenait-il dans l’Isère. La situation de président sortant a beaucoup d’inconvénients. Parmi les rares avantages, celui de profiter de la fonction si les circonstances deviennent dramatiques. Nicolas Sarkozy le sait. De même qu’il sait que, dans une campagne, c’est le dernier à dévisser qui gagne. En janvier, il a failli être le premier.

ERIC MANDONNET, BENJAMIN SPORTOUCH ET MARCELO WESFREID

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