Hillary Clinton © REUTERS

« Hillary Clinton sera plus attentive aux Européens que Barack Obama »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Célia Belin, docteur en science politique, la candidate démocrate, si elle est élue, sera plus interventionniste et plus attentive aux Européens que Barack Obama. Des nuances dans la continuité. Donald Trump reste en grande partie indiscernable.

Continuité ou rupture ? Quelle sera la politique étrangère des Etats-Unis après l’élection du 8 novembre ? Docteur en science politique et chercheuse associée au centre Thucydide de l’université Panthéon-Assas à Paris, Célia Belin a codirigé, avec Frédéric Charillon (université d’Auvergne et Sciences Po), l’ouvrage collectif Les Etats-Unis dans le monde (CNRS éditions, 296 p.). Rencontre et décryptage.

Ses déclarations de campagne annoncent-elles un Donald Trump plus dans la confrontation idéologique que dans l’interventionnisme en politique étrangère ?

Donald Trump n’est pas un isolationniste, plutôt un nationaliste. Il privilégie les intérêts stricts de la nation sur les principes et les valeurs. Mais si la nation est attaquée, on peut imaginer qu’il devienne, d’un seul coup, très interventionniste et très militariste, même si, à ce jour, je ne pense pas qu’il sera élu. En fait, on peine à savoir quelle sera sa politique étrangère tant son programme est incohérent. Thomas Wright, spécialiste des relations transatlantiques à la Brookings Institution, a évoqué une politique étrangère du XIXe siècle où comptent avant tout les rapports de force entre les grandes puissances, mâtinée d’un certain respect pour la sphère d’influence de chacune, notamment de la Russie.

L’admiration qu’il dit porter à Vladimir Poutine peut-elle influencer sa politique étrangère ?

Célia Belin :
Célia Belin : « Trump ? Un nationaliste. Clinton ? Une interventionniste libérale© DR

Oui, elle l’influencera nécessairement. Son discours systématiquement à contre-courant de celui en vigueur aux Etats-Unis sur la Russie témoigne qu’il ne souhaite pas la confrontation mais plutôt les accommodements. Une entente russo-américaine sur la Syrie, l’Ukraine, la lutte antiterroriste ou d’autres dossiers est donc imaginable. Mais Donald Trump est aussi imprévisible et impulsif, et se revendique comme tel. Dès lors, sa présidence pourrait donner lieu à toute sorte d’orientations qu’il n’est pas possible de décrire aujourd’hui.

On présente Hillary Clinton comme plus  » faucon  » que Barack Obama. Est-ce exact ?

Hillary Clinton est effectivement plus  » faucon  » ; on la qualifie d' » interventionniste libérale « . Son expérience le démontre. En tant que sénatrice de l’Etat de New York, elle avait voté en faveur de la guerre en Irak, comme bien d’autres mais au contraire de Barack Obama. En tant que secrétaire d’Etat, elle a soutenu l’intervention en Libye et a aussi adopté, sur le dossier syrien, une ligne plus dure que le président. Son programme défend d’ailleurs l’idée de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne et de protection en Syrie. Mais, un peu à l’image de Barack Obama, elle est devenue pragmatique en politique étrangère et en politique en général. Elle saura s’adapter à son public. Or, les Américains n’ont pas d’appétit pour le retour d’un interventionnisme massif. Hillary Clinton sera très prudente avant d’engager les Etats-Unis dans de nouvelles interventions.

N’est-elle pas tenue à cette prudence, au moins dans la campagne, par le poids des électeurs de Bernie Sanders ?

L'accord de Paris sur le climat : Hillary Clinton le respectera et inscrira son action dans sa continuité, Donald Trump essaiera d'en sortir.
L’accord de Paris sur le climat : Hillary Clinton le respectera et inscrira son action dans sa continuité, Donald Trump essaiera d’en sortir.© STÉPHANE MAHE/REUTERS

Elle essaie en effet de composer avec toutes les tendances, avec les électeurs de Bernie Sanders mais aussi avec ceux de Donald Trump qui privilégient des options plus isolationnistes. Il va pourtant bien falloir qu’elle réponde aux critiques de ces dernières années à l’encontre de l’administration Obama :  » Les Etats-Unis se sont faits humilier par la Russie en Syrie  » ;  » Ils n’ont pas répondu assez vigoureusement aux provocations russes « … Plus que le conflit syrien dont la plupart des Américains s’accommodent, tout en le déplorant, parce qu’ils n’en subissent pas de conséquences, c’est le dossier de la Russie qui est structurant pour l’électeur. Comme à son habitude, Hillary Clinton arrivera sans doute à faire la synthèse de ces deux tendances. Car elle sait jongler avec les idées ; ce qui lui est d’ailleurs souvent reproché.

Les relations entre les Etats-Unis et l’Union européenne pourraient-elles changer par rapport à un Obama accusé de les négliger ?

Hillary Clinton était secrétaire d’Etat quand les Etats-Unis ont annoncé leur politique de  » pivot « , de rééquilibrage à l’égard de l’Asie. Ce réinvestissement diplomatique et économique a été considéré comme dommageable à la politique à l’égard de l’Europe et du Moyen-Orient. Kurt Campbell, artisan de cette réorientation dans l’équipe d’Obama, est un de ses proches et pourrait se retrouver à un poste de haut niveau, au Département d’Etat ou à la Maison-Blanche dans la prochaine administration. Hillary Clinton est très sensible à ce tropisme asiatique. Elle continuera à bâtir sa politique sur ce socle. Mais elle a aussi conscience que les relations transatlantiques ont été abîmées et que les Européens sont inquiets. Bien plus qu’Obama, elle croit en l’ordre libéral international dans lequel l’Amérique est au sommet d’un système d’alliances qui la protège et contribue à décupler son influence. Seulement, l’Amérique a vraiment changé. Elle s’est éloignée des problématiques sécuritaires de l’Europe et du Moyen-Orient. Et sur ce point, il n’y aura pas de retour en arrière fondamental.

La politique étrangère de Barack Obama engage donc son successeur, quel qu’il soit ?

Il n’y pas que la politique étrangère de Barack Obama qui ait structuré les relations internationales. Ses avancées en matières énergétique et climatique aussi. Son successeur devra composer avec cet héritage. Certes Donald Trump a promis, à l’issue du premier jour de sa présidence, qu’il sortirait de l’accord de Paris sur le climat et de celui sur le nucléaire iranien. A voir… C’est techniquement faisable. Mais il faut prendre en compte les pressions qui ne manqueraient pas d’être exercées sur lui pour infléchir ses positions, entre son éventuelle élection et sa prise de fonction, le 20 janvier 2017. Avec Hillary Clinton, la continuité prévaudra sur les dossiers énergétique et climatique. D’autant que des accords ont été conclus entre les Etats-Unis et la Chine sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en dehors de l’accord de Paris. D’autant que, sur le plan énergétique, le développement des gaz de schiste ou des forages en eaux profondes garantissent désormais une plus grande sécurité énergétique des Etats-Unis et les autorisent à prendre plus de distance avec les monarchies du Golfe, par exemple. Avec Hillary Clinton, il y aura davantage continuité que rupture.

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