Henrik et son épouse, la reine du Danemark, au palais présidentiel de Jakarta (Indonésie), en octobre 2015. © Aqza Harun/Anadolu Agency/AFP

Henrik du Danemark, le prince qui ne sera jamais roi

Le Vif

La monarchie danoise est en ébullition. Le mari de la reine Margrethe, Henrik, s’en prend à son épouse, vexé de n’avoir jamais été « roi consort ».

Il ne faudrait jamais relire ce que l’on a pu écrire en des jours meilleurs. Lorsque, en 1996, Henri de Monpezat publie ses Mémoires (1), ce Français de Cahors marié à Margrethe II du Danemark explique, avec une noblesse d’âme qui l’honore, la façon dont il vit sa fonction de prince consort :  » Dans l’oeil du public, nous n’avons pas d’existence propre car nous ne sommes définis qu’à travers notre moitié : « Untel, mari de la reine ». (Cela) ne fera jamais de moi un prince aigri, assure-t-il. Ces frustrations ne m’ont jamais blessé. On n’y peut rien changer. Ainsi est mon destin.  »

Mais ainsi va la vie, qui peut faire mentir le plus charmant des princes, et transformer l’époux serviable en effroyable bombe à neutrons. Au début du mois d’août, Henrik – version danoise de son prénom – stupéfie en déclarant à BT, un journal grand public de ce petit pays scandinave, qu’il refuse d’être inhumé en compagnie de la reine. Celle-ci respecte totalement la décision de son mari, assure la maison royale. Mais le royaume est sens dessus dessous. Certes, on peut juger d’un goût douteux le mausolée de verre tarabiscoté conçu par l’artiste branché Bjørn Nørgaard pour la cathédrale de Roskilde mais, au Danemark, les monarques et leurs conjoints ne font plus tombeau à part depuis un bail, six siècles précisément. Que se passe-t-il, alors, avec ce Henrik ? Quelques jours plus tard, le retraité de 83 ans récidive, lâchant l’escopette pour le canon de marine :  » La reine me manque de respect, elle me prend pour un imbécile « , lance-t-il, la mine défaite, aux journalistes du magazine à potins Se og Hør dans une vidéo publiée en ligne. Entre-temps, Margrethe II, descendue comme tous les étés rejoindre sa tempétueuse moitié dans leur château du Lot (sud de la France), fait le tour du marché du coin, souriante, imperturbable, parfaite, dans une petite robe de coton fleurie. Elle n’y séjourne pas longtemps. Henrik, opéré depuis peu d’une angioplastie, souffre de douleurs. Direction l’hôpital royal de Copenhague.

Mariage, le 11 juin 1967, à Copenhague. Lorsqu'il a rencontré Margrethe, Henri était troisième secrétaire d'ambassade.
Mariage, le 11 juin 1967, à Copenhague. Lorsqu’il a rencontré Margrethe, Henri était troisième secrétaire d’ambassade.© Keystone/Gamma-Rapho

« Demi-reine »

De mémoire de Stéphane Bern, on n’a jamais vu prince consort si querelleur, ni souveraine constitutionnelle autant malmenée. C’est que Henrik, prince de la monarchie la plus populaire d’Europe, en bave depuis longtemps. Oui, Henrik en a marre. Marre d’être considéré comme la dernière roue du carrosse danois. Marre d’être ce grand type souriant et décoré qu’on salue tout en n’ayant d’yeux que pour la reine. Marre de se voir traité d' » altesse royale  » quand sa femme a droit à  » Votre Majesté  » du matin au soir. Pourquoi lui faudrait-il toujours rester un pas derrière, comme s’il devait demander l’autorisation de son épouse pour s’exprimer, exister ? Pure discrimination de genre ! C’est entendu, sa femme, dont les pouvoirs politiques sont symboliques, répète que  » sans lui, (elle) serait une demi-reine « .

Marre de se voir traité d’ « altesse royale » quand sa femme a droit à « Votre Majesté

Certes, le nonagénaire Philip d’Angleterre, consort lui aussi, ne s’est jamais plaint – impeccable à l’extérieur, maître de tout dans sa maisonnée. Mais que penser du pauvre Claus, l’époux de Beatrix des Pays-Bas, qui trouvait son existence à ce point mortelle qu’il fit dépression sur dépression avant de succomber à la maladie de Parkinson ?

Henrik, lui, refuse d’abdiquer. Depuis des années, il brûle du désir d’être élevé au rang de  » roi consort « . Hélas, au pays de Hamlet comme dans les autres monarchies européennes, les époux de reine ne deviennent pas monarques par alliance, car ils risqueraient d’éclipser l’autorité de leur moitié couronnée. La règle n’est pas si ancienne, elle date de la reine Victoria : la souveraine britannique d’origine allemande aurait souhaité faire roi son époux Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, mais un autre teuton à la tête de la monarchie britannique, c’était  » too much « , lui fit savoir son Premier ministre, Lord Melbourne. Aussi créa-t-elle le titre de prince consort.

Le prince (ici, avec son épouse, en 1972) commercialise son vin.
Le prince (ici, avec son épouse, en 1972) commercialise son vin.© Rue des Archives/RDA2

Sexisme à l’envers

 » Sur le fond, le combat du prince de Danemark est légitime puisque les épouses de roi se voient, elles, honorées du titre de « reines consorts », note le spécialiste en royauté, Stéphane Bern. D’ailleurs, lorsqu’il s’est marié, tout le monde pensait qu’il serait traité comme son épouse. Dans un pays aussi égalitaire que le Danemark, être considéré de la sorte peut être frustrant, c’est une forme de sexisme à l’envers.  » Pour couronner le tout, Henrik a l’histoire de son côté. Jusqu’au xixe siècle, les exemples de princes devenus rois consorts sont légion.  » Maintenant que les monarchies peuvent aussi bien être dirigées par des femmes que des hommes, il y aura, de fait, de plus en plus de princes dans ce cas « , ajoute Stéphane Bern.

Sûr de son bon droit, Henrik multiplie donc depuis quinze ans les coups d’éclat, comme d’autres enchaînent les chasses à courre. En 2002, Willem-Alexander, prince d’Orange et héritier du trône néerlandais, convole avec l’accorte Argentine Maxima. Les maisons royales des Pays-Bas et du Danemark sont très unies, Margrethe est marraine du marié. A la stupéfaction de l’assemblée chapeautée, la reine franchit seule la porte de la Nouvelle Eglise d’Amsterdam. Henrik boude dans sa  » tanière « , le château de Cayx, au coeur du Lot de son enfance. Absent ? Pas tout à fait. Le matin même, la souveraine a découvert dans le journal danois BT une interview dans laquelle son conjoint frustré se dit  » inutile et relégué « . Henri de Monpezat n’a pas digéré la réception donnée six mois plus tôt en l’honneur des ambassadeurs danois pour le Nouvel An. Ce jour-là, Margrethe, souffrante, cède sa place à son fils aîné, Frederik, comme le veut l’usage. Henrik se trouve relégué au troisième rang protocolaire, dos collé à la tapisserie.  » Je tiens beaucoup au Danemark, mais pourquoi me sous-estimer et me décevoir tout le temps ? s’exclame-t-il dans la presse. Le premier homme, c’est moi, ce n’est pas mon fils !  »

Pourquoi me sous-estimer et me décevoir ? Le premier homme, c’est moi! »

Sentant dangereusement monter l’acrimonie, Margrethe nomme Henrik prince consort en 2005. Las ! L’impétrant qualifie sa situation de  » traumatisante  » dans l’hebdomadaire français Point de vue. Huit ans plus tard, même refrain, cette fois devant la télévision allemande.

Pourquoi pareille obsession chez un homme que l’on dit cultivé et aimable, artiste confirmé et poète médaillé de l’Académie française ? Faut-il chercher un début de réponse dans la généalogie chahutée des Monpezat, à l’ascendance aristocratique confuse ? La double particule des  » de Laborde de Monpezat  » n’est qu’un titre de courtoisie, auquel la reine Margrethe a ensuite conféré une qualité nobiliaire. Henri naît du remariage de sa mère, divorcée d’un prêtre défroqué, avec le comte de Monpezat. Lorsqu’il rencontre la future souveraine du Danemark à Londres, après une enfance au Vietnam et à Cahors et des études de sciences politiques à la Sorbonne, à Paris, Henri n’est  » que  » troisième secrétaire d’ambassade. Le  » play-boy  » qui forme avec Margrethe un couple de cinéma a furieusement besoin de sa part de lumière. Alors parfois, durant ses voyages sur des lignes régulières, il s’invente une identité : marchand de vins, négociant en fromage, vendeur de bras artificiels…

Henrik du Danemark, le prince qui ne sera jamais roi
© Ria Novosti/AFP

Rejeté des Danois

Mais la reine de Danemark n’a pas le coeur à rire. Son vieil époux malade nuit à l’image de la monarchie, comme l’affirment 73 % des Danois dans un sondage récent. Les sujets de Sa Majesté ont beau encenser leur souveraine, ils n’ont jamais aimé ce mari gaulois épris de promenades en calèche et de fastueuses chasses à l’élan. Pour satisfaire les revendications de son époux, Margrethe II devrait convoquer un référendum permettant de changer la Constitution. Au risque – très probable – de récolter une majorité de non.  » Soit Henrik a perdu la tête, soit il veut contraindre la reine à abdiquer en faveur de son fils aîné « , estime une journaliste espagnole spécialisée, Carmen Gallardo. Une deuxième hypothèse que n’envisage même pas la vaillante monarque, à l’instar d’Elisabeth II. En danois ou en français, on appelle cela  » un dilemme « .

(1) Destin oblige, Plon.

Par Claire Chartier.

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