Hamida Djandoubi © Capture d'écran YouTube

Hamida Djandoubi: le dernier guillotiné

Le Vif

Ce proxénète d’origine tunisienne fut guillotiné à Marseille en septembre 1977 pour un crime qui suscita beaucoup d’émotion et relança le débat sur la peine capitale. Il fut l’un des dernier condamné à mort dont la sentence fut exécutée en France. Quatre ans plus tard, François Mitterrand décidait de l’abolir.

C’est à cloche-pied qu’il s’est avancé vers la mort. Aux premières lueurs du jour, ce 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi, 31 ans, proxénète et assassin, s’est laissé porter jusqu’à l’échafaud. Pour l’agenouiller sous la guillotine, les gardiens ont retiré la prothèse sur laquelle il a pris l’habitude de claudiquer depuis qu’un accident, à l’usine, lui a arraché une jambe. Dans la cour de la prison marseillaise des Baumettes, il a demandé une cigarette. Avant la fin, il en a voulu une seconde – une Gitane, son tabac préféré. Il a fumé lentement, en silence. Plus tard, ses avocats diront qu’il aurait aimé tirer encore quelques bouffées, mais qu’elles lui ont été refusées : « Ah non ! Cela suffit, nous avons été assez conciliants jusqu’à présent ! » aurait lancé le fonctionnaire de police chargé de l’exécution. Alors, le détenu a posé sa tête sur le billot. La lame est tombée à 4 h 40.

Qui, aujourd’hui, se souvient de Hamida Djandoubi ? Il tient pourtant une place à part dans les annales de la justice française, dernier condamné à mort dont la sentence fut exécutée. Condamné pour le viol, la torture et l’assassinat avec préméditation d’Elisabeth Bousquet, sa maîtresse de 21 ans, Djandoubi fut le troisième homme dont la tête tomba pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, après Christian Ranucci (28 juillet 1976) et Jérôme Carrein (23 juin 1977). Djandoubi fut le dernier que le président ne gracia pas, indiquant vouloir « laisser la justice suivre son cours ». Un cours expéditif : condamné le 25 février 1977 à la peine capitale par les assises des Bouches-du-Rhône au terme d’un procès de deux jours, le prisonnier fut guillotiné cinq mois plus tard.

Hamida Djandoubi a débarqué à Marseille neuf ans plus tôt, en 1968. A l’époque, il a 22 ans. C’est la première fois qu’il quitte sa Tunisie nataleà Très vite, il trouve un emploi de manutentionnaire, s’intègre avec facilité dans une société française sur laquelle Mai 68 a fait souffler un vent de modernité. En 1971, l’accident qui le prive d’une jambe le brise moralement : ses amis décrivent un autre homme, cruel et agressif, atteint dans sa virilité. Avec les femmes, cet ancien séducteur ne tarde pas à devenir une brute. Se découvrant un talent de proxénète, il réussit à prostituer quelques filles terrorisées. Le refus d’Elisabeth Bousquet de céder aux menaces d’un amant qui veut la mettre sur le trottoir le rend fou de colère : il l’insulte, la bat. Condamné à plusieurs mois de détention après la plainte déposée par cette jeune femme à peine sortie de l’adolescence, il hurle, promet de la punir.

Sitôt libéré de prison, dans la nuit du 3 au 4 juillet 1974, Hamida Djandoubi l’enlève sous la menace d’une arme. Arrivé chez lui, il la jette à terre, l’assomme à coups de bâton, la frappe au ceinturon. Puis il la viole avant de lui brûler les seins et le sexe avec le bout incandescent de sa cigarette – Djandoubi a vu faire les caïds du « milieu » marseillais. L’agonie de la malheureuse n’en finit pas. Son bourreau décide de l’immoler. Il l’asperge d’essence, craque une allumette. En vain. Déterminé à l’éliminer, il traîne le corps jusqu’à son cabanon de Lançon-de-Pro-vence ; là, il l’étrangle, sous les yeux épouvantés de deux mineures qui partagent sa vie et auxquelles il impose le tapin. L’une d’elles le dénoncera à la justice, quelques jours après la découverte du corps.

« Une âme démoniaque ! » dira le procureur général

La cavale de Djandoubi ne dure pas : il est arrêté au bout de quelques mois, écroué à Marseille. Dans l’espoir d’obtenir la clémence des juges, il ne fait aucune difficulté à reconnaître les faits ; il se prête même à la reconstitution de son crime. De leur côté, les deux mineures sont poursuivies pour complicité et incarcérées aux Petites Baumettes, le quartier des femmes de la maison d’arrêt. Pour elles, cette incarcération est un soulagement. « Lorsque je suis allé les voir, racontera plus tard l’un de leurs avocats, je m’attendais à les voir détruites, au regard du dossier que j’avais étudié et des tortures épouvantables. En réalité, je les ai trouvées libérées, car après l’enfer qu’elles avaient vécu, la prison c’était le paradis ! » Il obtiendra leur libération en novembre 1974, leur acquittement en février 1977.

La France se passionne pour le procès de Djandoubi, ce meurtrier que certains journaux n’hésitent pas à comparer à Adolf Hitler. Alors qu’il risque la mort, les associations se mobilisent, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer « l’abolition d’une peine barbare et inutile qui déshonore » le pays. Ses deux avocats, dont le ténor du barreau marseillais Emile Pollak, mettent toute leur énergie à lui éviter la sanction suprême. Ils fouillent son passé, cherchent des circonstances atténuantes, racontent l’histoire d’un garçon « doux, docile, travailleur et honnête » dont la vie a basculé après son accident. « Une âme démoniaque ! » rétorque le procureur général Chauvy, pas plus convaincu par ces arguments que les psychiatres : pour eux, Hamida Djandoubi « constitue un colossal danger social », en dépit d’une « intelligence supérieure à la moyenne ». Cette expertise sera décisive. La condamnation, prononcée à l’unanimité du jury, est accueillie par des applaudissements.

« La justice française ne sera plus une justice qui tue »

Le 16 mars 1981, au cours de l’émission télévisée Cartes sur table, François Mitterrand, candidat socialiste à l’élection présidentielle, se prononce « contre la peine de mort » : « Je demande une majorité de suffrages aux Français sans cacher ce que je pense », affirme-t-il, malgré des sondages largement favorables à l’exécution capitale. C’est le tournant de la campagne, la force d’un destin à la conquête du pouvoir. Mitterrand est élu le 10 mai 1981. Le 8 juillet, le Premier ministre Pierre Mauroy annonce l’abolition de la peine de mort. L’Assemblée, réunie en session extraordinaire, la vote le 18 septembre, tandis que le ministre de la Justice Robert Badinter, dans un discours devenu célèbre, promet : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. »

Tournée aussi, la page tachée du sang d’Elisabeth Bousquet, victime de la folie meurtrière de Djandoubi – « un unijambiste qui, rappellera Badinter devant les députés, quelle que soit l’horreur (et le terme n’est pas trop fortà ) de ses crimes, présentait, tous les signes d’un déséquilibre, et qu’on a emporté sur l’échafaud après lui avoir enlevé sa prothèse ». Le 19 février 2007, sous la présidence de Jacques Chirac, l’abolition de la peine de mort est inscrite dans la Constitution. A Versailles, où le Parlement se réunit en congrès, 26 voix sur 854 s’y sont opposées.

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