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Guy Verhofstadt : « Il faut prendre des risques, sinon on n’avance pas »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Voici ce que l’ancien Premier ministre belge expliquait au Vif/L’Express, le 27 septembre dernier, sur sa vision de l’Europe actuelle. Il devrait introduire la semaine prochaine sa candidature à la présidence de la Commission européenne.

Guy Verhofstadt reste un messie de la politique. Au Parlement européen, il mène un combat radical pour une Europe fédérale. Déterminé comme jamais, il ambitionne de monter des listes pro-européennes aux élections de mai 2014 et s’apprête à présenter un projet de Loi fondamentale pour une Union fédérale. A 60 ans, Guy Verhofstadt clame ses convictions « pour les générations futures ».

Le Vif/L’Express : Vous avez publié, il y a un an, Debout l’Europe ! avec l’écologiste Daniel Cohn-Bendit. Ce vibrant plaidoyer pour une Europe fédérale a-t-il eu un impact ?

Guy Verhofstadt : De plus en plus de responsables politiques prennent conscience de la nécessité de créer une alternative pro-européenne crédible ne se basant plus seulement sur les arguments du passé.

Vous voulez parler du maintien de la paix en Europe ?

Voilà. C’est un argument de poids, qui vaut toujours. Mais il ne va pas convaincre tout le monde. Il faut développer un autre projet pour les générations futures qui n’ont pas connu la guerre.

D’autant qu’avec la crise économique, elles éprouvent beaucoup de ressentiment à l’égard de l’Europe…

Les jeunes se demandent s’ils pourront décrocher un boulot, obtenir un peu de bien-être… Je le dis depuis des années : la crise est mal gérée. Nos élites nationales sont incapables d’apporter les bonnes réponses. Aller vers une Union européenne renforcée est absolument nécessaire. Prenons le dossier des banques. Les Etats-Unis, où le problème est pourtant né, l’ont réglé tout de suite, dès 2008, en recapitalisant leurs banques. Chez nous, on s’est disputé pour savoir s’il devait être réglé au niveau national ou européen. Cela a créé de la méfiance. Tout reste bloqué. L’argent des banques n’est plus transféré dans l’économie réelle, dans des entreprises. C’est la cause de la crise actuelle ! Avec une réponse européenne, la confiance aurait tout de suite été restaurée.

La thèse eurosceptique, elle, est complètement stupide. Dire qu’il faudrait se protéger derrière les frontières nationales est un mensonge anachronique, incompréhensible alors que le monde connaît précisément une évolution contraire. Tous les problèmes sont de plus en plus interconnectés, des questions de compétitivité à celle du réchauffement climatique. La Chine, ce n’est pas une nation, c’est une civilisation. L’Inde et les Etats-Unis sont de véritables continents multiculturels.

N’est-ce pas cela qui fait peur ?

Oui, mais c’est la réalité ! On n’y fait pas face en restant dans son coin. Les frontières sont de toute façon balayées par Internet ou les importations chinoises. Les eurosceptiques veulent donner l’impression que la souveraineté nationale existe encore. Nous disons le contraire : il faut réinventer la souveraineté au niveau européen ! Ces thèses pro-européennes commencent à s’organiser pour les élections de 2014. Nous préparons des listes dans tous les pays.

Pourtant, les nationalistes ont le vent en poupe, que ce soit la N-VA en Flandre, Marine Le Pen en France, l’UKP au Royaume-Uni…

Leurs thèses sont complètement erronées. En Flandre, la N-VA se prétend pro-européenne. Mais regardez les dossiers concrets et vous verrez qu’ils sont anti-européens. Ils sont contre les listes transnationales, contre des ressources propres pour l’Union européenne, contre une politique de migration européenne… Ils sont pour les directives budgétaires, mais cela se limite à ça. Des nationalistes restent des nationalistes, ils n’aiment pas les structures fédérales, que ce soit au niveau belge ou européen.

L’Europe n’est-elle pas un continent peu harmonieux, avec une fracture nord-sud très importante ?

C’est précisément cela qu’il faut essayer de résoudre ! Cela ne signifie pas qu’il faut mener les mêmes politiques partout, mais qu’il faut un cadre commun. Depuis la naissance de l’euro, nous n’avons pas assisté à une convergence des économies mais bien à une divergence. On a eu les avantages de la monnaie unique mais personne ne s’est occupé des obligations: union bancaire, union fiscale, union budgétaire et économique.

Les Américains le savent. Au XVIIIe siècle, ils ont d’abord créé un Trésor, un budget et un Etat fédéral avant d’aller plus loin. Les Etats-Unis constituent-ils un exemple ?

Pour comprendre la mécanique, certainement. Nous faisons tout à l’envers. Plutôt que d’en finir avec l’euro comme le veulent certains, il faut poser les jalons pour en faire une monnaie stable et crédible. Si l’on retourne en arrière, ceux qui sortiront de l’euro vivront des dévaluations gigantesques. Cela serait mauvais pour nous aussi parce que l’on perdrait des parts de marché. Et les premières victimes seraient les Allemands !

Les Américains ont une dette plus élevée que la nôtre, 106% contre 90%, mais ils payent moins d’intérêts que nous. Même chose pour les Japonais qui ont pourtant une dette de 237% ! Si, derrière la monnaie, on avait une autorité publique crédible, cela réduirait les problèmes.

Pourquoi ne le fait-on pas ?

Des petits pas ont été posés sous la pression des marchés. La crise espagnole a convaincu les leaders européens d’aller vers une supervision bancaire unique. Nous l’avions déjà proposée en 2009 mais cela avait été refusé !

Pourquoi ?

Il faut le dire ouvertement : la politique concerne uniquement le pouvoir. Les élites nationales n’aiment pas perdre leur pouvoir pour l’échelon européen, c’est aussi simple que ça! Messieurs Schauble ou Moscovici (NDLR. : les ministres allemand et français des Finances) savent que c’est la bonne solution, mais ils veulent défendre leur pré carré.

Le système ne peut pas fonctionner parce qu’il repose sur une logique intergouvernementale. Imaginez que les cinquante gouverneurs des Etats-Unis se réunissent cinq ou six fois par an pour prendre des décisions à l’unanimité. Il n’y aurait pas de Barack Obama, pas de Trésor américain, pas d’armée… Tout le monde se dirait qu’ils sont fous.

Herman Van Rompuy n’a-t-il pas été désigné pour cette raison à la présidence du Conseil européen ?

Cela ne change pas le caractère intergouvernemental. Au contraire : cela le renforce ! Il faut un gouvernement européen resserré, contrôlé par le Parlement et une instance qui représente les Etats membres.

Cette Europe renforcée peut-elle se faire à plusieurs vitesses ?

C’est déjà le cas : il existe l’Europe des Neuf, des Douze, des Quinze… A la carte ! Il faut simplifier. Nous travaillons avec le groupe Spinelli (NDLR : fondé en 2010 par Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit pour soutenir l’Europe fédérale) sur un projet de Loi fondamentale pour l’Union qui sera présenté en octobre. Il y aurait des Etats pleinement membres et des Etats membres associés.

Votre vision fédérale de l’Europe, un fameux combat…

Oui. Et nous allons le mener pour les élections de 2014.

Même au sein de votre groupe parlementaire, certains estiment que vous allez trop loin.

C’est pareil dans tous les groupes. La majorité de mon groupe me soutient, c’est le plus important.

Avez-vous la garantie d’être tête de liste aux élections ?

Cela doit encore être décidé. La procédure commence à la fin de l’année. Je serais un menteur de dire que cela ne m’intéresse pas.

En Allemagne, aux Pays-Bas, certains ne refusent-ils pas votre « saut fédéral » ?

Certains y sont opposés. Mais les contradictions sont encore plus grandes dans les autres groupes.

Quand a eu lieu le déclic de votre engagement européen ?

En 2005, j’ai écrit un petit livre qui s’appelait déjà Les Etats-Unis d’Europe. On ne peut pas me dire que la fonction a fait l’homme depuis que je suis entré au Parlement européen.

Votre expérience de Premier ministre belge vous a-t-elle mené à cette réflexion ?

Oui. Au moment de la stratégie de Lisbonne, qui devait faire de l’Europe l’économie la plus compétitive du monde, je disais déjà que cela ne fonctionnait pas faute d’une plus grande intégration européenne. C’est de là qu’est né mon premier livre. En 2009, je l’ai prolongé par un autre pour dire comment sortir de la crise parce que la réalité renforce cette thèse. Même les Américains sont convaincus qu’il faut un approfondissement de l’Europe.

Quand cela les arrange, non ?

Au niveau économique, ils nous le conseillent.

Votre amitié avec Daniel Cohn-Bendit est-elle née de ce cheminement ?

Nous avons la même analyse, la même pratique au sein des instances européennes. Si on ne bouge pas, nous allons connaître une longue période de stagnation économique comme les Japonais l’ont connue au début des années 1990.

Cela vous fait-il sourire quand on parle de relance ?

Si on ne résout pas le problème bancaire, on peut inventer n’importe quoi, des politiques keynésiennes ou pas, cela ne fonctionnera pas.

Faut-il une rupture ?

J’espère que les élections donneront l’impulsion nécessaire pour faire tout ce que l’on n’a pas encore réalisé. Les milieux européens sont saisis d’un sentiment de panique qui repose sur le fait que les gens ne comprendraient pas un renforcement de l’Europe. Tout le monde a peur. Je dis que si aucun homme politique ne prend la peine de l’expliquer, les gens ne comprendront jamais. S’il n’y a pas des hommes politiques pour défendre une vision européenne radicale, nous n’aurons jamais une opinion publique pro-européenne !

C’est une prise de risque de votre part…

Il faut prendre des risques sinon on n’avance pas dans la vie.

Quelle est votre ambition personnelle ? Vous avez été Premier ministre pendant huit ans, une fonction exécutive ne vous manque-t-elle pas ?

Non. Ce dont je rêve, c’est de traduire cette vision européenne dans des listes pour 2014. Et reconstruire le paysage politique.

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