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Grèce : « Nous avons le choix entre la guillotine, la mort instantanée, ou un lent étranglement « 

Pour le député du Pasok Odysseas Boudouris, les Européens semblent vouloir faire de la Grèce un protectorat. Il explique au Vif.be pourquoi les mesures d’austérité adoptées dimanche par le parlement sont une catastrophe pour la Grèce. Pour lui, l’austérité n’est envisageable qu’accompagnée de profondes réformes politiques.

Odysseas Boudouris, député du Pasok, est l’étoile montante de la classe politique grecque. Chirurgien et cofondateur de MSF Grèce, il est marié à une photographe allemande. Il a, par le passé, voté deux fois pour les réformes exigées par le FMI. Mais il fait désormais partie des déçus du Pasok. Il est explique au Vif.be pourquoi il est opposé au programme d’austérité voté dimanche par le Parlement.

Vous êtes député du parti socialiste, qui a donné la consigne de voter ‘oui’, et vous avez à plusieurs reprises déclaré que vous voteriez contre ces nouvelles mesures d’austérité. Pourquoi ? Parce que je ne peux pas voter des mesures concernant la diminution du salaire minimum dans le secteur privé alors que cela n’a rien à voir avec l’enjeu de notre nouveau prêt, qui concerne le déficit du secteur public. Mais il y a un problème encore plus grave. Désormais nous avons affaire à une négociation qui s’est déroulée sur une base complètement intenable dans la mesure où nos partenaires déclarent ouvertement qu’ils n’ont aucune confiance dans le gouvernement qui représente aujourd’hui la Grèce et que c’est précisément cette raison qui les conduit à imposer des mesures, qui à l’origine n’étaient pas prévues dans les décisions du sommet du 26 octobre.
On est en fait dans une situation ou la nation grecque est représentée dans une négociation internationale par un gouvernement qui n’a ni le respect de nos partenaires ni non plus le respect ou le soutient du citoyen grec. Il est clair que dans ces conditions aucun accord mutuellement profitable ne peut être conclu et surtout aucun accord ne pourra être appliqué par un gouvernement qui n’a plus d’autorité morale ni politique. On ne peut pas gouverner simplement avec le journal officiel et la police.
Il y a là quelque chose de tragicomique: un accord qui va entrainer des conséquences incalculables pour la Grèce passe au parlement un dimanche après-midi dans le cadre d’une procédure d’urgence où les députés n’ont pas droit à la parole. C’est terrible.

Le ministre des Finances disait « nous avons le choix entre une humiliation et une plus grande humiliation, entre des sacrifices et des plus grands sacrifices, tandis que le premier ministre a dit que « nous avons le choix entre des grands sacrifices ou le chaos ». Qu’en pensez-vous ? Tel que c’est présenté, nous avons le choix entre la guillotine, la mort instantanée, ou un lent étranglement. J’ai une première remarque: un gouvernement qui propose un choix de ce genre à son pays est un gouvernement qui doit démissionner immédiatement. Le problème c’est que la signature de cet accord ne signifie pas simplement des mesures très dures, mais c’est la signature d’un processus qui va nous conduire à l’effondrement total de la Grèce.
Parce que chacun sait que ces mesures vont creuser plus encore le déficit et entrainer une récession économique. Le prêt qui nous a été accordé va peser sur l’économie. Prétendre qu’on a allégé la dette grecque avec la restructuration est une idée fausse. Nous avons payé 14 milliards d’intérêts l’année dernière, nous payerons 14 milliards l’année prochaine. Nous avons obtenu une restructuration d’environ 100 ou 110 milliards, mais nous avons contracté un nouveau prêt de 130 milliards. On emprunte a 3% alors que nous avons une récession de -6% donc en fait le poids de la dette est le même. Les réformes structurelles n’avancent pas, les mesures de développement économique n’existent pas.
La signature de l’accord, c’est comme si on décidait de nous enfermer dans un asile d’aliénés et qu’on donnait la clef à nos partenaires pour faire de nous ce qu’ils veulent. Par ailleurs on nous martèle l’idée que si nous refusons ce choix inacceptable nous allons être conduits du jour au lendemain à la faillite. C’est faux. Car si nos partenaires nous poussent à la faillite, ce sera une catastrophe pour la Grèce, mais cela ne leur rapportera rien. La catastrophe que subira la zone euro sera probablement aussi importante que la catastrophe en Grèce. Et je ne suis pas le seul à le penser; ce sont des choses que disent les milieux économiques en Allemagne, en France et au sein des instances européennes.

Pourquoi, selon vous, les réformes n’avancent-elles pas?Cette question se pose aussi bien en Europe que dans la rue, les Grecs y étant favorables.

Les réformes n’avancent pas, car le système politique grec est un système essentiellement clientéliste. Georges Papandreou l’avait très bien diagnostiqué, malheureusement il n’a pas eu la pugnacité, ni la volonté politique de briser ce système. Il faudrait par exemple changer la loi électorale. Le parti socialiste à un projet de loi électorale qui est tout à fait adapté, mais justement sous la pression du système clientéliste, Georges Papandreou a fait marche arrière, et renoncé à le mettre en oeuvre. En-cas contraire, on aurait pu, pour les prochaines élections, avoir un système complètement nouveau qui aurait changé la donne. Je pense qu’un des problèmes actuellement, c’est que la classe politique qui est aujourd’hui appelée à trouver la solution est celle-là même qui est responsable de cette situation. Il faut un changement profond, une nouvelle génération.

Vous avez pourtant voté des mesures d’austérité par le passé J’ai effectivement voté le premier mémorandum parce que j’avais, et j’ai la certitude qu’une politique d’austérité était nécessaire. Mais parallèlement il fallait faire des réformes, c’était la condition pour sortir de la crise. Les mesures d’austérité ont été appliquées, pas les réformes. Il ne faut pas persévérer dans cette impasse dans la mesure où, à l’inverse du premier mémorandum, le second n’offre aucune perspective. On inclut même dans ce texte, ce qui est un comble, le fait qu’en juin et dans les deux ou trois années à venir, il faudra faire des économies supplémentaires de l’ordre de quinze milliards d’euros.
Je pense que seul un sursaut de la classe politique, soutenue par une grande majorité de l’opinion publique, avec des propositions concrètes peut nous sortir de là. Il faut renégocier, dire aux Européens « si vous nous obligez à une telle logique, perdant gagnant, nous jouerons perdant perdant ». Nous allons perdre, mais vous allez perdre aussi. Alors, soyons raisonnables, jouons gagnants gagnants. Oui, nous instaurons des mesures d’austérité, mais en même temps nous avons un plan de redressement économique et un gouvernement qui est capable de réaliser des réformes pour lesquelles il s’engage.

Quelles vont être les conséquences du vote du plan d’austérité? J’ai bien peur que la Grèce ne soit entrainée dans une dépression profonde qui sera économique, mais aussi sociale et politique, et qui va durer des années. Bien sûr les peuples et les nations ne meurent jamais et au bout d’un moment on se ressaisit, mais la casse va être terrible.

Et la Grèce fera faillite, de toute façon… De quelle faillite parlez-vous, de la faillite des citoyens ou la faillite des banques ? Le ministre du Travail a dit qu’il fallait accepter une réduction du salaire minimum de l’ordre de 22% sans quoi nous irions à la faillite, et nous aboutirions à une réduction des salaires de l’ordre de 50 à 60%. Le problème c’est qu’avec la récession que vont causer les nouvelles mesures, en juin, on a 22% maintenant, 22% en juin, et 22% l’année prochaine. À l’heure actuelle la volonté de nos partenaires européens, et en particuliers des Allemands c’est de transformer la Grèce en un protectorat de facto. Cette idée va être appliquée si on accepte que l’argent qui nous sera prêté soit mis sur un compte qui n’est pas géré par le gouvernement grec et si l’accord se fait sur base du droit anglo-saxon: les prêteurs ont la possibilité de se servir, en quelque sorte, directement dans la caisse de l’État grec.

Ce qui implique que des réformes soient entreprises?
Oui. L’objectif serait qu’il y ait un consensus sur un gouvernement de 10-15 ministres, des ministres compétents chacun dans son domaine. Pas des ministres nommés en raison de leur place dans l’appareil d’un parti. La plupart des ministres actuels sont surtout préoccupés par les élections à venir, par les enjeux de pouvoir au sein du parti socialiste; ils ne peuvent donc pas travailler sérieusement. Mais un gouvernement compétent, avec un programme très clair négocié avec nos partenaires, y compris avec l’idée d’un contrôle permanent sur la réalisation de ce programme, voire avec une sorte de plan Marshal, comme il en a été question au mois de juillet, on peut sortir de la crise. Les banques seront payées, mais il y aura un redressement économique aussi pour les citoyens grecs.

Vous sentez-vous toujours représenté par le PASOK ? Le PASOK, quel PASOK ? C’est ça la question. À l’heure actuelle dans les sondages, le PASOK qui avait eu 44% aux élections de 2009 recueille moins de 10%. La majeure partie du PASOK à l’heure actuelle est en dehors du PASOK.

C’est une question de personnes ou d’institutions ? Je crois que la politique menée par la direction du parti qui s’identifie avec la direction du gouvernement est une autre tare du système grec. On n’arrive pas à différencier les gens qui vont s’occuper du gouvernement de ceux qui s’occupent du parti. Il faut qu’il y ait une relève, rapidement.

La crise a été une aubaine pour l’extrême droite L’extrême droite grecque et très différente de l’extrême droite du Front national en France. C’est un parti issu de la droite populaire de la Nouvelle Démocratie qui s’est appuyé sur une extrême droite qui est en Grèce extrêmement minoritaire en raison, notamment, de la dictature. Le LAOS a eu une politique populiste qui s’est servie de la question de l’immigration, mais aussi de beaucoup de propositions de bon sens. Ce n’est pas un hasard si son dirigeant Georgios Karatzaferis refuse d’être classé à l’extrême droite. Il se considère du centre, ce qui n’est pas entièrement faux. Karatzaferis voulait entrer au gouvernement parce que pour lui c’était une sorte de légitimation. Mais, il n’a pas tenu compte du fait qu’une partie de son crédit dans l’électorat venait du fait qu’il n’était pas identifié au système politique. Il a donc obtenu d’un côté une certaine légitimation, mais de l’autre il a perdu l’image du rebelle.
Je ne pense pas que le parti de Karatzaferis soit une menace. Je suis en revanche très inquiet de l’évolution de certains autres groupuscules, comme Xrysi Avgi (l’Aube Dorée), qui, lui, est un parti réellement d’extrême droite, fasciste raciste. Il atteint maintenant des pourcentages qui pourraient lui permettre de rentrer au parlement. Ça, c’est un réel danger.

Propos recueillis par Angélique Kourounis, L’Express

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