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Génocide rwandais : Paul Kagame s’en prend à Paris

Le Vif

Le président rwandais Paul Kagame a fait remonter, lundi, une partie des responsabilités du génocide de 1994, qui a fait de 800.000 morts selon l’ONU à un million selon Kigali, à la colonisation européenne entamée voici 200 ans, s’en prenant plus particulièrement à la France, que Kigali accuse désormais de participation à l’exécution des massacres.

« Aujourd’hui, le Rwanda se souvient de ceux qui ont perdu leur vie lors du génocide et réconforte ceux qui ont survécu », a-t-il affirmé des commémorations du 20ème anniversaire du début du génocide.
« Aucun pays, en Afrique ou ailleurs, n’a besoin de devenir un autre Rwanda », a ajouté M. Kagame dans le stade Amahoro (« paix ») de Kigali, en présence du secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, de huit chefs d’État africains et de nombreuses délégations étrangères, dont une belge comptant les ministres des Affaires étrangères et de la Coopération au développement, Didier Reynders et Jean-Pascal Labille.

Mais le président rwandais n’a pas hésité à faire une partie des causes du génocide à la colonisation européenne. « Cette idéologie (de faire des distinctions entre les trois ethnies du pays, les Hutu majoritaires, les Tutsi et les Twa, qui ne représentent qu’un pour cent de la population, ndlr) était déjà en place au 19ème siècle et a été enracinée par les missionnaires français qui s’y sont établis », a-t-il dit.
Les deux cents ans de la période coloniale (la Belgique a administré le pays, ex-colonie allemande, de 1919 à juillet 1962, date de son indépendance) ont été réduits à une série de caricatures basées sur un passage de la Bible », a poursuivi M. Kagame.

Il a dénoncé la « théorie coloniale de la société rwandaise qui voulait parfois que l’hostilité entre ‘Hutu’, ‘Tutsi’ et ‘Twa’ soit permanente et nécessaire. C’était le début du génocide des Tutsi auquel nous avons assisté voici vingt ans. »

Il s’en est aussi pris publiquement, de manière à peine voilée, à la France sur son rôle toujours controversé durant les années 1990.
« Les gens ne peuvent être soudoyés ou forcés de changer leur histoire. Aucun pays n’est assez puissant – même s’il pense l’être – pour changer les faits », a déclaré en anglais le président rwandais avant de lancer – exceptionnellement pour lui – en français, « après tout, les faits sont têtus », déclenchant les acclamations des 30.000 spectateurs rassemblés dans le stade Amaharo.

Immédiatement avant, il avait affirmé qu’il n’existait « aucune justification à établir des parallèles soi-disant moraux, le temps écoulé ne doit pas occulter les faits, amoindrir les responsabilités ou transformer les victimes en méchants », faisant apparemment référence aux sévères critiques dirigées récemment contre son régime par ses plus proches alliés, Etats-Unis en tête.

« Ceux qui pensent que le Rwanda ou l’Afrique ont encore besoin de leur approbation pour être gouvernés comme il se doit par leur peuple, par les dirigeants que leurs peuples ont choisis, vivent toujours dans un passé révolu », a-t-il lancé, comme en réponse aux critiques sur l’autoritarisme fréquemment reproché à son gouvernement.

Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a pour sa part rappelé que le génocide avait touché non seulement les Tutsi – la version officielle largement défendue par Kigali -, mais aussi des « Hutu modérés et autres ». Il a admis que les Nations unies ressentent toujours, vingt ans plus tard, la « honte » de n’avoir pas pu empêcher le génocide de 1994 au Rwanda.

Relevant le « courage remarquable » de membres de l’ONU au Rwanda à l’époque, M. Ban a expliqué: « nous aurions pu faire beaucoup plus, nous aurions dû faire beaucoup plus. Les Casques bleus ont été retirés du Rwanda au moment où l’on en avait le plus besoin ».

L’ONU, impuissante face aux tueries, avait retiré l’essentiel de ses quelque 2.500 soldats déployés au Rwanda, mi-avril 1994, au plus fort des massacres commencés le 7 avril, quelques heures après la mort du président hutu Juvénal Habyarimana, dont l’avion a été abattu
la veille au soir au dessus de Kigali. A l’époque, la Belgique avait décidé unilatéralement de retirer son contingent de Casques bleus après l’assassinat de dix d’entre eux par des militaires rwandais, le 7 avril.

La commémoration de lundi s’est accompagnée du témoignage d’un rescapé du génocide qui a provoqué des réactions d’hystérie dans le public et d’un spectacle musical mettant en scène bourreaux, victimes, sauveurs – l’Armée patriotique rwandaise (APR), le bras armé du Front patriotique rwandais (FPR) qui a mis fin au génocide et porté M. Kagame au pouvoir en juillet 1994, sous l’oeil impuissant de dix militaires de l’ONU.

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