© Belga - MOHAMMED ABED

Gaza: alarme chez les humanitaires dans le collimateur d’Israël

Le Vif

Aider les Palestiniens de la bande de Gaza n’était déjà pas simple. Les humanitaires craignent que l’arrestation de deux des leurs accusés par Israël de détourner l’assistance internationale vers le Hamas complique encore leur tâche, dans l’enclave mais peut-être aussi dans la région.

L’annonce coup sur coup de ces arrestations a provoqué une onde de choc parmi les milliers de Palestiniens et d’étrangers engagés dans l’assistance au territoire dévasté, ont dit plusieurs d’entre eux à l’AFP.

Ils ont accueilli l’inculpation du directeur local de la grande ONG World Vision, puis celle d’un ingénieur employé d’une agence onusienne avec un mélange de stupéfaction, d’inquiétude, de scepticisme et d’examen autocritique.

Si les accusations contre le directeur de World Vision « sont fondées, l’ampleur de la fraude est choquante », dit Ashley Jackson, chercheuse au laboratoire d’idées Overseas Development Institute.

« Cela peut avoir des implications majeures pour toute la communauté humanitaire ».

L’Allemagne et l’Australie ont suspendu leur aide à World Vision, posant la question de la confiance des donateurs. Les officiels israéliens réclament un durcissement des contrôles, alors que la faculté d’intervenir à Gaza, l’acheminement de l’aide et le mouvement des personnels sont déjà fortement contraints, par Israël et le Hamas.

Les humanitaires s’expriment anonymement pour ne pas compromettre des activités soumises au bon vouloir du Hamas, le mouvement islamiste palestinien qui dirige la bande de Gaza, et Israël, qui impose un strict blocus au territoire.

‘Exploitation systématique’

Israël et le Hamas restent en état de guerre larvée. Trois conflits successifs et le blocus, aggravé par la fermeture de la frontière égyptienne, ont laissé le territoire en proie à la crise humanitaire et économique. Deux tiers d’une population recluse sont tributaires de l’aide étrangère.

Pour Israël, Mohamed Halabi et Wahid Borsh ne sont pas des « cas isolés », l’ambassadeur à l’ONU, Danny Danon, y voyant « une tendance inquiétante à l’exploitation systématique » des organisations onusiennes par le Hamas.

Mohamed Halabi, directeur de World Vision à Gaza, aurait détourné des dizaines de millions de dollars au profit du Hamas, disent les services israéliens. Wahid Borsh, ingénieur au Programme de l’ONU pour le développement, aurait accepté que des gravats évacués pour le Pnud servent à construire une jetée destinée aux activités navales du Hamas.

Les humanitaires prennent les accusations au sérieux et disent voir là une raison de réexaminer leur fonctionnement.

« Nous avons déjà tellement de dispositifs de vérification que nous croyons faire ce qu’il faut », dit l’un d’eux. Mais le fait qu’une organisation de la taille de World Vision se retrouve mise en cause doit inciter à revisiter les procédures, dit-il.

Des chiffres sujets à caution

Devant le battage orchestré par Israël, différents interlocuteurs s’inscrivent en faux contre la notion que le secteur serait gangrené.

Ils invoquent les contrôles et les audits rigoureux auxquels ils se prêtent. Ils expriment des doutes profonds devant les éléments à charge rendus publics contre le directeur de World Vision, trouvant « invraisemblable » le volume de l’aide qui aurait été dévoyée.

Tout en annonçant diligenter ses propres investigations, World Vision a jugé irréalistes les chiffres livrés par Israël car, sinon, les sommes détournées seraient supérieures au budget même de l’organisation à Gaza.

Le coordinateur humanitaire des Nations unies pour les Territoires palestiniens, Robert Piper, n’a pu faire autrement que manifester ses « graves inquiétudes » pour les ONG.

Une autre grande ONG, Save The Children, est citée dans l’acte d’accusation contre M. Halabi. Selon les Israéliens, les deux Palestiniens arrêtés ont dit aux enquêteurs que des employés d’autres ONG servaient le Hamas.

Pour Tom Keatinge, expert en crime financier et sécurité au sein du groupe de réflexion britannique RUSI, les répercussions pourraient dépasser le cadre israélo-palestinien.

Les banques réticentes à fournir leurs services dans des zones à risques pourraient à présent réexaminer leurs positions vis-à-vis de grandes ONG à Gaza, mais aussi en Syrie, au Yémen ou ailleurs, explique-t-il.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire