Les moyens illimités dont dispose le chef de l'Etat faussent le match. Témoin ses affiches électorales omniprésentes dans les rues de Libreville. © Samir Tounsi/AFP

Gabon : Les dés pipés du Président Ali Bongo

Comme le Congolais Kabila, Ali Bongo Ondimba s’accroche au pouvoir. Les moyens illimités dont il dispose lui garantissent une victoire… à la Pyrrhus, car contestée jusque dans son clan.

La scène, un rien baroque, date du 23 juillet dernier. Ce samedi-là, la  » tournée républicaine  » du chef d’Etat du Gabon, Ali Bongo Ondimba (OBA), conduit celui-ci à Bolossoville, dans le département du Haut-Ntem (Nord). Auvents de toile dressés sous de lourds nuages gris, officiels et dignitaires coutumiers en tenue d’apparat, banderoles déférentes, sono assourdissante, odes à la gloire de l’illustre visiteur : rien ne peut, semble-t-il, troubler le bel ordonnancement de cette virée électorale avant l’heure. Du moins jusqu’à l’embardée du député du cru, Bertrand Zibi Abeghe. Ceint de son écharpe bleu, jaune, vert à glands, ce notable du Parti démocratique gabonais (PDG) rejoint le pupitre de bois qui fait face à la tribune d’honneur pour annoncer,  » en toute âme et conscience, devant Dieu et les hommes « , sa démission de la formation au pouvoir et son retrait du Parlement. Non sans avoir, lui le  » fidèle d’entre les fidèles « , gratifié l’hôte du jour d’une diatribe à double détente. Un :  » Nous attendons toujours l’électricité et rien n’a changé ici depuis 1960 « , à ceci près que  » les conditions de vie ont empiré « . Deux :  » Dans notre district, doté des terres les plus fertiles de la patrie, il y a mieux à faire que de planter du caoutchouc.  » Entendez : d’accueillir les plantations d’hévéas d’Olam, cador singapourien de l’agrobusiness. Sous sa casquette de base-ball,  » Ali  » encaisse. Mais son irritation affleure au détour du plaidoyer pro domo de rigueur. Comme il est facile de  » faire la leçon quand on a voté tous les budgets  » ! Qu’il est aisé d’attendre que convergent, dans le sillage du boss,  » toutes les caméras du pays  » pour  » faire sa publicité  » !

Challenger numéro 1, Jean Ping (au centre) a vu son assise renforcée par les ralliements de Guy Nzouba-Ndama (à g.) et de Casimir Oyé Mba (à dr.).
Challenger numéro 1, Jean Ping (au centre) a vu son assise renforcée par les ralliements de Guy Nzouba-Ndama (à g.) et de Casimir Oyé Mba (à dr.).© Samir Tounsi/AFP

Là est le paradoxe : quoique quasiment jouée d’avance, l’échéance présidentielle de ce samedi 27 août révèle, en creux, les failles du système Bongo. A commencer par le délitement de son assise partisane et l’indigence des remèdes apportés aux frustrations sociales d’une principauté pétrolière de 1,8 million d’âmes. En clair, il y a de la victoire à la Pyrrhus dans l’air moite de Libreville. Point de suspense donc, de l’aveu même des éclaireurs d’une société civile pugnace jusqu’à l’outrance.

Un  » gonflement artificiel  » du fichier électoral

De fait, le scrutin à un seul tour, ineptie démocratique, garantit, sauf séisme, à l’héritier du légendaire Omar Bongo, si mal élu à l’été 2009, un nouveau bail. Certes, le laborieux ralliement, bouclé le 16 août à l’aube, de deux challengers d’envergure – l’ancien président de l’Assemblée, Guy Nzouba-Ndama, et l’ex-Premier ministre de Bongo père, Casimir Oyé Mba – à Jean Ping, autre pilier repenti du système PDG, atténue la fragmentation d’une opposition tiraillée par les querelles d’ego. Il n’empêche : les moyens illimités du sortant, y compris ceux de l’Etat, dont il dispose à sa guise, faussent le match.  » Même aux prises avec un challenger unique, soupire le militant écologiste Marc Ona Essangui, implacable procureur du régime, Ali passerait haut la main. Car sa machine tourne à plein.  » Référence à la docilité de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) et aux insolites lacunes du fichier des 628 124 Gabonais inscrits, pourtant converti à la biométrie par la société Gemalto. L’audit détaillé conduit par le blogueur Mays Mouissi met en évidence un  » gonflement artificiel  » des listes de citoyens en âge de voter. Si ardent soit-il, le civisme ne saurait justifier que 59 localités comptent davantage d’électeurs que d’habitants ; jusqu’à 22 fois plus dans le cas d’une commune de l’Estuaire. Invoquée par les zélotes d’ABO, la transhumance électorale – de nombreux citadins rentrent au village le jour J – ne peut expliquer, à elle seule, de telles distorsions, relevées dans les neuf provinces du pays.

Dans l’adversité, le pouvoir tend à se raidir. Pour preuve, la brutalité de la répression des rassemblements orchestrés, les 9 et 23 juillet, à Libreville, par les pionniers de la contestation  » citoyenne « . Mais également l’incarcération de leaders syndicaux, enseignants ou étudiants en tête.  » Outre ces figures connues, insiste Marc Ona Essangui, n’oublions pas la centaine d’anonymes détenus sans jugement, ni les jeunes militants contraints de plonger dans la clandestinité.  » Là encore, l’argumentaire du pouvoir ne brille guère par son originalité : ces gens, vous jure-t-on, sont des casseurs manipulés, pris en flagrant délit ou arrêtés préventivement sur la base d’écoutes téléphoniques, et seront libérés sous peu.  » Des loubards, confesse un confident d’Ali, on en recrute nous aussi pour noyauter les manifs d’en face.  »  » Quand on a épuisé toutes les voies de recours légales, grince un autre initié, familier du palais et de ses intrigues, il ne reste que la rue et l’insurrection civique. A Libreville et Port-Gentil – bastion de l’or noir gabonais -, la colère l’emportera sur la peur. Sauf si, réélu à l’arrache, Ali évince enfin la nullocratie qui l’entoure et promeut des acteurs neufs, compétents et sans casseroles.  »

Où que sa campagne le mène, le favori par défaut dégaine un bilan doré sur tranche. A l’en croire, le Gabon décolle, porté par une croissance soutenue, un essor inédit des travaux d’infrastructure – routes, ponts, hôpitaux -, la diversification de l’économie, longtemps plombée par sa dépendance vis-à-vis d’un pactole pétrolier déclinant, la valorisation in situ des ressources, du manganèse aux grumes de bois tropicaux, la renaissance de l’agriculture ou l’éclosion de partenariats avec de puissants investisseurs asiatiques. Las !, cette symphonie triomphale pâtit de sérieux couacs. Selon la Banque mondiale, 20 % à peine des chantiers d’équipement planifiés ont été mis en oeuvre. Par ailleurs, les factures impayées des fournisseurs de l’Etat s’empilent, et les retards de rétrocession de TVA étranglent maintes sociétés. Il y a pire : l’endettement, abyssal, se creuse avec plus d’entrain que les fondations des milliers de logements promis et désespérément virtuels. Quant à la corruption, elle reste aussi endémique que la précarité : 30 % de la population vivote sous le seuil de pauvreté.  » Que sont devenues les fortunes engrangées à l’époque du baril de brut à 100 dollars ? « , feint de s’interroger un haut fonctionnaire.

 » Nous avons fait plus en un septennat qu’au long des deux décennies précédentes « , claironne volontiers Ali. Accablant ainsi implicitement un prédécesseur dont tant de ses compatriotes regrettent le paternalisme goguenard. A Bolossoville, le député rebelle Bertrand Zibi Abeghe a conclu son laïus par une prière.  » Notre Père, qui êtes aux cieux…  » Saura-t-on jamais si cette supplique s’adressait au Créateur ou au défunt Omar ?

Par Vincent Hugeux.

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