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 » François Bayrou devrait ancrer le centre à droite « 

Quand il présidait le Parti social-chrétien, de 1981 à 1996, Gérard Deprez passait pour l’un des meilleurs analystes de la politique belge. Depuis lors, le PSC est devenu CDH et Deprez a rejoint le MR. Mais entre le centre et la droite, son coeur balance toujours. Il livre ici son analyse sur le résultat de François Bayrou, l’un de ses amis, à l’élection présidentielle française.

Le Vif/L’Express : Vous êtes sénateur MR, mais vous avez dirigé pendant quinze ans un parti centriste, le PSC. Si vous étiez Français, auriez-vous voté Nicolas Sarkozy ou François Bayrou ? Gérard Deprez : J’aurais voté Bayrou. Il est le seul, dans cette campagne, à avoir tenu le langage de la vérité, en mettant l’accent sur la gravité du déficit et sur l’importance de revenir à l’équilibre budgétaire.

Avec 9,13 % des suffrages, le candidat du Modem n’arrive qu’en cinquième position. Il s’effondre par rapport à l’élection de 2007, où il avait obtenu 18,57 % des voix. Comment l’expliquez-vous ? François Bayrou, au lieu de se répandre en promesses, a dit ce qu’il ferait, une fois élu. Aucun autre candidat n’a été aussi honnête. L’ennui, comme disait Mitterrand, c’est qu’on ne peut pas gagner une élection si on ne fait pas rêver les électeurs. Et donc, ça ne pouvait pas marcher.

Dès le début, vous pressentiez que Bayrou ne rééditerait pas sa performance de 2007 ?

J’ai eu une longue conversation avec son état-major au début de la campagne. Son espace politique paraissait alors s’ouvrir largement. Pour plusieurs raisons. A commencer par l’affaire DSK. Au Modem, on craignait que si Dominique Strauss-Kahn était le candidat socialiste, il morde sur l’électorat centriste. Autre bonne nouvelle : Nicolas Hulot n’avait pas été retenu comme candidat par les écolos, qui lui ont préféré Eva Joly. Or la personnalité de Nicolas Hulot en aurait fait un concurrent sérieux pour François Bayrou. Bref, le terrain paraissait dégagé pour la voie centriste.

Qu’est-ce qui n’a pas marché, alors ?

Deux autres éléments nous paraissaient favorables à François Bayrou : le rejet de Nicolas Sarkozy et la faiblesse de François Hollande. Ces deux éléments, on les a peut-être mal évalués. On a cru que François Hollande peinerait à s’imposer, en raison de sa personnalité, on a cru qu’il lui manquerait toujours cette dimension présidentielle. Sur cette évaluation-là, objectivement, nous nous sommes trompés.

Avez-vous conseillé François Bayrou au cours de la campagne ? Au départ de la campagne, nous avons partagé plusieurs éléments qui nous sautaient aux yeux. Mais François ne m’a pas toujours suivi dans mon raisonnement. Moi, depuis longtemps, je dis ceci : pour qu’une force centriste puisse peser, il faut un système électoral proportionnel. Sinon, le centre est toujours écrasé par les mécaniques puissantes de regroupement de la gauche et de la droite. Tant que la France conservera ce mode de scrutin majoritaire, cela restera extraordinairement difficile pour les centristes.

Dès lors, l’avenir politique de Bayrou est forcément sombre, voire sans espoir ?

Sauf si le centre se définit comme une composante structurée d’un des deux camps. Ce qu’a été l’UDF depuis la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 2000. Plutôt que de rester à équidistance de la gauche et de la droite, et se faire ainsi laminer, il vaut mieux devenir l’une des composantes fortes d’un des deux camps.

Voulez-vous dire que François Bayrou doit ancrer le Modem au centre-droit ?

Cela correspondrait à l’ancien positionnement de l’UDF. Je rappelle qu’à la grande époque, l’UDF comptait plus de 100 parlementaires. Sinon, à moins d’une évolution vers un système proportionnel, le centre restera condamné à l’impuissance. Moi, je pense qu’il vaut mieux être puissant dans un camp qu’impuissant en refusant d’appartenir à un camp. Mais je ne suis pas sûr que cela puisse convaincre François Bayrou… Je lui ai déjà fait part de mon analyse, je ne pense pas l’avoir convaincu.

Si le centre se rapprochait de la droite, cela pourrait-il modifier en profondeur le rapport de force au sein du monde politique français ?

Oui, je crois. Cela pourrait faire basculer des électeurs qui votent aujourd’hui pour le Parti socialiste. L’absence d’une force politique centriste ancrée à droite fait que la droite apparait comme une droite dure et radicale. La conséquence, on la voit aujourd’hui : la droite est en mauvaise posture, forcée de courir après l’extrême droite.

Que conseillez-vous à François Bayrou à dix jours du second tour ? Doit-il appeler à voter Hollande ou Sarkozy ?

Sa position est très délicate. Sur base des sondages, on peut dire que les électeurs du Modem vont sans doute se répartir en trois groupes : un petit tiers va s’abstenir au second tour, un bon tiers votera Hollande, et un troisième tiers – un peu plus petit – déposera dans l’urne un bulletin Sarkozy. Dans ces conditions-là, François Bayrou doit rester extrêmement prudent. C’est mon analyse personnelle.

Entretien : François Brabant

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