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France: vous avez dit irréformable?

Le Vif

Manifestations, grèves dans les transports ou les écoles, blocages de tracteurs, de taxis Régulièrement, la France renvoie l’image d’un pays ingouvernable. Si le cliché se nourrit d’une culture indéniable du conflit social, tout n’est pas figé.

« Ce pays se meurt parfois de ses conservatismes, de son impossibilité à réformer », a jugé récemment le Premier ministre Manuel Valls, excédé après trois mois de lutte pour imposer une réforme du code du travail dont la majorité des Français ne veulent pas.

Jugeant le texte porteur de précarité, des dizaines de milliers d’opposants sont descendus à huit reprises dans la rue pour exiger son retrait. Les syndicats contestataires ont aussi organisé des blocages et des grèves dans des sites stratégiques: raffineries, centrales nucléaires, gares et ports…

Les images de casseurs glissés dans les cortèges, puis de longues files d’attente devant des stations-service à sec, ont fait le tour du monde. Et la presse étrangère n’a pas tardé à juger le pays irréformable. « La France n’admet pas de réformes profondes, seulement des révolutions », estime ainsi le quotidien espagnol El Pais. « Comme d’habitude, les Français demandent du changement mais refusent les changements », renchérit le britannique The Independent.

« Pics de conflictualité »

Même si les statistiques sont à prendre avec des pincettes, « la France est bien dans le top 4 en Europe pour le nombre de jours de grève », explique le chercheur Kurt Vandaele de l’Institut syndical européen (Etui) basé en Belgique. En dépit du fait que seuls 11% des salariés français sont syndiqués. « En France, le nombre de jours de grèves par an est généralement très lié aux réformes proposées par le gouvernement sur le marché du travail ou les retraites », ajoute-t-il, en évoquant d’autres épisodes de grogne sociale (1995, 2003, 2006 et 2010).

Pour Pascal Lamy, ex-patron de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le changement y est « plus difficile qu’ailleurs », en raison d’un « blocage psychologique » de la population. « Les Français ont peur du monde extérieur parce qu’ils pensent que celui-ci remet en question notre culture, notre devise, nos principes, notre identité », explique-t-il cette semaine dans l’hebdomadaire le Point. Et, dit-il, « nous n’avons pas de méthode de la réforme ».

« Nous avons effectivement une culture du conflit », confirme l’historien Stéphane Sirot, spécialiste des rapports sociaux. « Depuis la Révolution française, la régulation sociale s’est fondée sur l’idée d’un conflit d’abord, la négociation après. C’est un modèle qui se retrouve dans d’autres pays du Sud de l’Europe ». A l’inverse, le Nord du continent a « choisi un modèle de régulation qui privilégie la négociation et ne va au conflit que si la négociation a échoué ».

« La France bouge »

Mais, souligne l’universitaire, les statistiques sont en partie trompeuses: s’il y a moins de jours de grève en Allemagne, souvent présentée comme un modèle pour le dialogue social, c’est aussi parce que « la législation sur la grève y est beaucoup plus restrictive qu’en France », notamment avec l’interdiction pour les fonctionnaires de cesser le travail.

Surtout, les « pics de conflictualité » français cachent une diminution des conflits dans l’entreprise, où le nombre de jours de grève est passé de 3 à 4 millions pendant les Trente glorieuses (1946-1975) à un à deux millions ces dix dernières années.

Depuis les années 1980, « la France essaie de se rapprocher d’un modèle plus pacifié et la culture de la négociation collective parvient bon an mal an à s’imposer, au moins dans l’entreprise », explique Stéphane Sirot. Alors que seuls quelques centaines d’accords d’entreprises étaient conclus dans les années 70, il y en a près de 40.000 aujourd’hui. Même la centrale contestataire CGT, l’un des principaux syndicats français, signe 85% des accords qu’elle négocie dans l’entreprise, souligne-t-il.

Dans le conflit actuel, l’exécutif, sans majorité parlementaire claire, souffre surtout du désaveu de son propre camp, a avancé dans le quotidien Le Monde Alain Juppé, favori de la droite pour la présidentielle de 2017. Pour lui, « la France n’est pas irréformable. La France bouge. La France évolue. Des réformes ont été faites » et d’autres le seront, mais pour y parvenir « il faudra dire la vérité ».

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