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France : Qui se cache derrière les casseurs ?

Le Vif

La quatrième journée de mobilisation contre la loi sur le travail en France a violemment dégénéré jeudi. Trois policiers ont été grièvement blessés lors d’affrontements avec des « casseurs organisés et encagoulés ». Mais qui sont-ils ? Loin d’être une même mouvance, les profils sont variés.

De violents affrontements ont éclaté jeudi dans plusieurs villes de France, avec à la clé des blessés graves et des dizaines d’interpellations, en marge de manifestations qui ont rassemblé au moins 170.000 salariés et étudiants (500.000 selon un syndicat) contre un projet de loi sur le travail. Les manifestations ont été émaillées de heurts, notamment à Paris où « 300 manifestants encagoulés » s’en sont pris aux forces de l’ordre, blessant grièvement trois policiers, selon les autorités. Des abris d’autobus et des vitrines ont été saccagés. A Rennes (ouest), au moins trois policiers ont été blessés ainsi qu’un manifestant, touché à la tête.

Le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé que 24 membres des forces de l’ordre avaient été blessés – dont trois « très grièvement » – dans ces violences qui ont également fait des blessés parmi les manifestants. 124 personnes ont été interpellées, a-t-il ajouté.

Les auteurs de ces actes ont été qualifiés de  » une minorité d’irresponsables » par le Premier ministre Manuel Valls dans un message posté sur Twitter.

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« Quand on organise une manifestation, elle doit être encadrée, organisée, maîtrisée et à l’évidence aujourd’hui cette organisation et cette maîtrise n’existent pas », a-t-il déclaré ultérieurement devant la presse à Nouméa, où il se trouve en visite officielle. Les auteurs des violences « seront bien évidemment poursuivis par la justice », a-t-il ajouté. Condamnant « très fermement ces violences », le président du principal syndicat d’étudiants, l’Unef, William Martinet, a déploré « un usage disproportionné de la force par la police ».

France : Qui se cache derrière les casseurs ?
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La contestation a commencé le 9 mars. Au soir du 31 mars, quand les défilés avaient réuni 390.000 personnes en France selon les autorités et 1,2 million selon les organisateurs, elle s’est élargie avec la naissance d’un mouvement citoyen informel « Nuit debout » qui occupe le soir la place de la République à Paris. Le mouvement « Nuit debout » tente d’inventer de nouvelles formes d’expression démocratique, mais semblait marquer le pas ces derniers jours, faute de relais dans la société civile. A ces protestataires se sont greffés les artistes qui négocient l’avenir de leur régime d’indemnisation chômage.

Les opposants demandent le retrait pur et simple de ce texte qui vise à donner plus de souplesse aux entreprises, notamment en matière d’aménagement du temps de travail, et à clarifier les règles de licenciement économique. Malgré quelques évolutions, le projet reste perçu par ses opposants comme trop favorable aux employeurs et facteurs de précarité pour les salariés, jeunes en tête.

Qui sont les casseurs ?

Le gros des troupes appartiendrait à la mouvance contestataire radicale. « Ce vocable, plus juste que celui d’ultragauche dont on ne sait plus vraiment le sens, regroupe aussi bien des membres des anarcho-autonomes, des antifascistes, des libertaires, des zadistes (terme apparu en 2014 et désignant des individus cherchant à défendre une zone), que des précaires, des sympathisants squatteurs. Une poignée de jeunes, issus de cités sensibles d’Ile-de-France, viennent aussi s’agréger à ces auteurs de violences, mais dans un but bien précis de pillage lors de casses de magasins. Nous avons affaire aujourd’hui à une sorte de melting-pot de toutes ces mouvances. » précise un haut fonctionnaire français au Parisien.

Ce qui surprend davantage c’est que ces casseurs agissent aujourd’hui dès le début des manifestations, alors que d’habitude, ils attendaient la fin, un moment plus propice à faire dégénérer les choses. « Ce changement d’attitude peut s’expliquer par le fait que ce mouvement de contestation ne mobilise pas vraiment, et que le mouvement Nuit debout s’essouffle. » explique encore un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur au Parisien. Ils ne sont là, que pour « affirmer leur opposition à l’état d’urgence et à l’état policier » dit-il encore.

Olivier Cahn, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), observe pour sa part « deux types de groupes: les groupes autonomes habillés en noir, les +Black Blocs+, organisés, qui apparaissent tout à coup à l’avant du cortège pour en découdre avec les policiers. (…) Et des groupe de casseurs, constitués de gamins qui descendent de la périphérie de Paris ou Lyon et profitent de la manif pour casser ».

Les groupes autonomes ont le « visage masqué, des lunettes de ski, des foulards, du produit pour les yeux: ils s’équipent pour évoluer sereinement au milieu des gaz lacrymogènes », raconte Patrice Ribeiro, du syndicat Synergie Officiers. « Certains viennent de pays voisins », souligne une source policière.

« Certains se déplacent même en colonne comme les policiers », décrit-il. « Ils ont l’habitude, se connaissent, ont leurs codes. Lorsqu’il y en a un qui part, il n’est jamais seul », ajoute une source policière.

« Ils se professionnalisent », selon Fabien Van Hemerlick du syndicat Alliance, « ils peuvent cacher le matériel au préalable sur le parcours de la manifestation et se changer dans les toilettes publiques ou autres ».

« Ils sont de plus en plus organisés, méthodiques. (…) Ils ont une technique qui se met au point pour enlever les pavés, pour récupérer du goudron, le stocker dans des sacs, dans des poubelles et ensuite attaquer au moment qu’ils choisissent les forces de l’ordre », expliquait jeudi soir le préfet de police de Paris, Michel Cadot.

‘Devant les caméras’

« Ce sont des techniques qui ont été élaborées dans les années 80 en Allemagne et qui réapparaissent. Ils veulent en découdre avec les policiers pour montrer que l’Etat ne tient pas la rue et susciter des images de la violence de la part de l’Etat devant les caméras », explique Olivier Cahn.

Impossible pour les forces de l’ordre de « fouiller tout le monde dans une manifestation » contre un projet de loi sur le travail qui a réuni dans la capitale près de 15.000 manifestants (60.000 selon le syndicat CGT), selon Patrice Ribeiro, qui pointe aussi « la responsabilité des organisateurs ».

Le syndicat Alliance met en cause une « frilosité des politiques », qui ont peur « qu’on parle d’un Etat policier » si on interpelle les casseurs avant qu’ils ne passent à l’acte. Même si, rappelle le syndicat Alternative Police CFDT, il existe une loi permettant de contrôler et d’interpeller le cas échéant toute personne dissimulant volontairement son visage.

« Ce n’est pas si facile que ça », tempère une source policière. « Lorsqu’ils prélèvent les pavés, ils le font dans la masse de la manifestation, entre eux, et pour interpeller efficacement il faut des faits concrets, des vidéos ».

« Aujourd’hui, les policiers ont une consigne de retenue, surtout quand c’est une manifestation avec des jeunes. Le politique craint une nouvelle affaire Malik Oussekine (étudiant mort sous les coups de policiers pendant une manifestation en 1986, Ndlr) », selon Patrice Ribeiro, pour qui « les casseurs le savent et s’enhardissent, ils sont maintenant en tête de cortège ».

A l’inverse, pour Olivier Cahn, « ce qui est nouveau c’est la manière dont l’Etat gère ces manifestations avec des nouvelles formes de maintien de l’ordre plus viriles. Ce qui provoque plus de confrontation », selon lui.

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