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France: « c’est bien une guerre contre le terrorisme que nous avons devant nous »

Le Premier ministre français Manuel Valls a appelé mardi à prendre « des mesures exceptionnelles » face à la menace terroriste, mais « jamais des mesures d’exception » qui mettraient en danger l’Etat de droit. M. Valls a également annoncé la création « avant la fin de l’année » de « quartiers spécifiques » dans les prisons du pays pour isoler les détenus jihadistes « considérés comme radicalisés ».

« A une situation exceptionnelle doivent répondre des mesures exceptionnelles. Mais je le dis avec la même force: jamais des mesures d’exception qui dérogeraient au principe du droit et des valeurs », a dit M. Valls, lors d’un discours devant les députés et ministres après un hommage solennel aux 17 victimes des attentats. Appelant à « tirer des leçons » de ces attaques perpétrées par trois djihadistes français, le Premier ministre a affirmé la nécessité de « régulièrement renforcer » les « services en charge du renseignement intérieur et la juridiction antiterroriste ». « Sans renforcement très significatif des moyens humains et matériels, les services de renseignement intérieur pourraient se trouver débordés. On dépasse désormais 1.250 individus pour les seuls filières irako-syriennes » en France, a-t-il relevé, promettant d’affecter « les moyens nécessaires ». Ces nouveaux moyens « doivent permettre de renforcer les compétences et de diversifier les recrutements: informaticiens, analystes, chercheurs ou interprètes », a-t-il ajouté. Le Premier ministre a par ailleurs annoncé la création « avant la fin de l’année » de « quartiers spécifiques » dans les prisons du pays pour isoler les détenus jihadistes « considérés comme radicalisés ». Une expérience est menée depuis quelques semaines dans une prison de la région parisienne, où un quartier dédié regroupe actuellement 23 détenus. Selon le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, le Belge Gilles de Kerchove, « les prisons sont un incubateur de radicalisation massive ». Manuel Valls a enfin demandé au ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve de lui adresser « sous huit jours » des propositions sur un renforcement du contrôle des réseaux sociaux « plus que jamais utilisés pour l’embrigadement, la mise en contact et l’acquisition de techniques permettant de passer à l’acte ».

L’Assemblée nationale approuve la poursuite de l’intervention française en Irak

L’Assemblée nationale a voté mardi à la quasi-unanimité la poursuite des frappes françaises en Irak contre l’organisation Etat islamique, quelques jours après les attaques jihadistes au coeur de Paris. Au total, 488 députés se sont prononcés pour, un contre et 13 se sont abstenus, du Front de gauche (gauche radicale) principalement. Le Premier ministe, Manuel Valls, avait invité les parlementaires à prolonger l’intervention française car « notre mission n’est pas achevée » et « c’est bien une guerre contre le terrorisme que nous avons devant nous ». Le consensus politique sur la lutte contre l’EI a été encore renforcé alors qu’un des auteurs du carnage à la rédaction de Charlie Hebdo, Chérif Kouachi, avait participé à une filière de recrutement pour l’Irak et que le preneur d’otages du magasin casher, Amédy Coulibaly, se réclamait de l’EI et demandait l’arrêt des frappes françaises en Irak. « S’ajoute désormais un théâtre intérieur » aux « trois théâtres » extérieurs d’intervention de la France, en Irak, au Sahel et en Centrafrique, a relevé le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.

Le groupe du Front de gauche a justifié qu’il s’abstenait « dans la mesure où cette intervention ne se fait pas sous l’égide du Conseil de Sécurité de l’ONU mais de l’OTAN, et où nous doutons de l’efficacité de nouvelles frappes ». Le feu vert parlementaire est obligatoire pour toute intervention militaire française au-delà de quatre mois. Or les frappes aériennes françaises ont débuté le 19 septembre. Le vote du Sénat sur cette intervention devait intervenir dans la soirée. La France est déterminée à stopper, au côté de ses alliés, l’expansion de l’EI en Irak mais Paris exclut en revanche pour l’heure toute intervention en Syrie, jugeant qu’elle ne pourrait qu’être favorable au régime de Bachar al-Assad.

Des failles dans le renseignement et dans la surveillance que le gouvernement veut combler

Les « failles » dans la surveillance des auteurs des attentats de Paris sont incontestables, ont reconnu mardi des policiers, le jour où le premier ministre Manuel Valls annonçait de nouvelles mesures pour y pallier, comme un fichier des condamnés pour terrorisme.

« Oui, on est passé à côté » des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly admet, sous couvert de l’anonymat, un membre de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui assure que les services antiterroristes avaient été mobilisés, pendant que les trois hommes planifiaient leurs attaques, sur des suspects jugés plus dangereux et davantage susceptibles de passer à l’action. « On priorise, au risque de se tromper », explique un responsable de la lutte antiterroriste. « Il est impossible de mettre un flic derrière chaque personne. On essaie de trouver le temps, les gens, pour avoir une surveillance, la meilleure possible, mais qui ne peut pas être une surveillance absolue. C’est une surveillance minimale, essentiellement technique » (écoutes téléphoniques et interceptions sur internet), ajoute-t-il. Les conversations de Chérif et Saïd Kouachi, bien connus des enquêteurs et signalés par les États-Unis, ont été écoutées dans le cadre d’écoutes administratives (sans feu vert préalable d’un juge nécessaire), sans que rien de suspect n’apparaisse.

« Les écoutes administratives, c’est quatre mois renouvelables une fois, donc huit mois en tout », explique une source policière dans le domaine du renseignement. « Alors si on n’entend rien qui permette d’aller voir un juge, on arrête. En plus, il y a un quota: pour brancher quelqu’un, il faut en débrancher un autre. En plus, il faut avoir les moyens d’écouter vraiment. Et les moyens, on ne les a pas », ajoute cette source. Au cours des deux dernières années, l’évolution de la situation en Syrie et en Irak, avec la création d’abord de maquis islamistes radicaux puis l’implantation du groupe État Islamique qu’ont rejoint des dizaines, puis des centaines, puis des milliers de volontaires internationaux dont de nombreux Français, a submergé les services spécialisés sous le nombre de cibles à surveiller. Les frères Kouachi étaient d’autant moins dans le radar des services français que nombre de leurs anciens compagnons radicaux, notamment membres de ce qu’on a appelé la « filière des Buttes Chaumont » (un quartier parisien) au début des années 2000, s’étaient rangés. Farid Benyettou, l’ancien « émir » autoproclamé de cette filière, a condamné les attaques et les a qualifiées de « pire crime qu’un musulman puisse commettre ». Eux mêmes présentaient de bons signes d’intégration, avec famille et logement.

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