Ruines du camp de Rivesaltes. © Belga

France: 50 ans après, le camp de Rivesaltes révèle ses mémoires enfouies

Le Vif

Cinq décennies après sa fermeture, la France inaugure vendredi le musée-mémorial du camp de Rivesaltes (sud), où échouèrent près de 60.000 Espagnols, juifs, tziganes et harkis, un lieu de mémoires « enfouies » qui entend résonner avec les migrants du XXIe siècle.

Rivesaltes n’était pas seulement un camp de déportation de juifs de France. « C’est un cas unique en Europe », selon Agnès Sajaloli, directrice du mémorial. « C’est le plus grand camp d’internement de l’Europe de l’ouest, qui recouvre trois guerres: une guerre civile, une guerre coloniale, une guerre mondiale ».

Enceinte militaire de 600 hectares, le site est transformé à partir de 1941 en camp pour une dizaine de milliers de républicains espagnols fuyant la dictature de Franco.

Très vite, il renferme également 5.000 juifs dont la moitié seront déportés en Allemagne, des tziganes puis des collaborateurs et prisonniers de guerre, avant l’arrivée, vingt ans plus tard, de plus de 20.000 harkis, auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Leur point commun: être des « indésirables » du XXe siècle. « Ce sont toutes des populations considérées comme potentiellement dangereuses », déclare à l’AFP Abderahmen Moumen, coauteur avec Nicolas Lebourg de « Rivesaltes, le camp de la France ».

‘Une même logique d’exclusion’

A Rivesaltes, « on devenait invisibles », se rappelle ainsi Fatima Besnaci-Lancou, fille de harki, qui avait 8 ans à son arrivée. Mais c’est surtout l’impression d’une « surpopulation de désespérés », d' »indésirables », qui a marqué la fillette d’alors, devenue depuis grand-mère.

Les harkis y resteront jusqu’à la fermeture officielle du camp en décembre 1964. En 1962, le camp compte 10.000 habitants…

« D’un côté, il y a l’Histoire, et de l’autre, les porteurs de mémoire, héritiers d’histoires très douloureuses », souligne Pierre Daum, spécialiste du passé colonial.

Le musée « regarde le XXe siècle à hauteur d’homme, à hauteur de déplacé, dans le regard de la souffrance des hommes », commente le réalisateur José Alcala, responsable de l’iconographie du mémorial.

Près de 21 millions d’euros d’investissements et neuf mois de recherches ont été nécessaires pour « tirer les conséquences de l’Histoire ». « Le plus difficile était de retracer la rudesse des conditions de vie dans le camp, et la répression », dit-il.

Car dans les baraquements de l’armée, où s’engouffrent les vents violents, les déplacés luttent contre la vermine, la gale, la tuberculose, les maladies liées au manque d’hygiène.

Il y a aussi le froid, la faim et le manque d’eau. Et puis les punaises qui « rentraient dans la bouche, dans les oreilles », se rappelle Antonio De la Fuente, républicain espagnol.

Du béton ‘lourd sur la conscience’

L’architecte du mémorial, Rudy Ricciotti, a voulu témoigner de « la mémoire enfouie ». Il a conçu un monolithe de béton « un peu lourd sur la conscience », auquel le visiteur accède par une rampe partiellement enterrée.

Il est construit au centre des baraques délabrées de l’îlot F, aujourd’hui envahies par les ronces, mais qu’il n’est pas question de restaurer.

« C’est aussi le symbole de la destruction de la mémoire », explique Denis Peschanski, qui préside le conseil scientifique du mémorial. « Après la Libération, on avait les camps mais on n’avait pas la mémoire. Depuis 1980, on a la mémoire mais on n’a plus les camps ».

Or, Rivesaltes, fermé officiellement en décembre 1964, est « le seul camp à être encore debout », souligne le chercheur, « le seul en France où l’on se rend compte de ce qu’a pu être l’internement ».

Le musée n’évoque cependant pas une période du camp, celle où il a servi de centre de rétention administrative pour étrangers en situation irrégulière de 1987 à 2006, relève Denis Peschanski.

Son inauguration vendredi par le Premier ministre français Manuel Valls intervient à peine un mois et demi après la publication de la photo du petit Aylan, enfant syrien retrouvé mort sur une plage turque, qui a secoué les consciences sur l’accueil des réfugiés du XXIe siècle.

« Le Syrien d’aujourd’hui n’est pas le juif d’hier, mais les réactions de peur, de rejet et de fermeture des Etats démocratiques, c’est le même mécanisme », estime M. Peschanski. « L’Histoire convoque le présent et nous éclaire sur l’avenir ».

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