Footballeur puis terroriste ?

Ancien espoir du foot français, il est empêtré dans une affaire de terrorisme islamiste, en France. Yann Nsaku n’avait pourtant pas la gueule de l’emploi.

Samedi 6 octobre 2012, Cannes. Dès potron-minet, une trentaine de membres des forces de l’ordre investissent le chantier qui jouxte l’immeuble visé et escaladent la façade. A l’intérieur de l’appartement assiégé, celui de la famille Nsaku, la maman croit à un cambriolage et court jeter un oeil au judas. Mais le verrou saute et va s’encastrer dans le mur d’en face. « Si ma femme s’était retrouvée dans l’axe, je ne sais pas si elle aurait survécu », dit Philippe Nsaku, absent ce matin-là. Cible de l’assaut, Yann, le fils cadet, se rend, selon ses proches, sans opposer de résistance aux policiers qui mènent un coup de filet à l’échelle nationale visant au démantèlement d’un réseau d’islamistes radicaux. Une demi-heure plus tôt, à 700 kilomètres de là, Jérémy Louis-Sidney, dit « James », a accueilli la police l’arme au poing dans son appartement strasbourgeois. Il y a laissé la vie.

Le principal fait d’armes de Yann Nsaku : connaître « James », auteur présumé du jet d’une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles (banlieue parisienne) le 19 septembre dernier. Pourtant, les seuls camps d’entraînement jamais fréquentés par le jeune homme sont ceux des clubs de football. Jusqu’à 16 ans, Yann fait ses classes à l’AS Cannes, dont la réputation d’usine à champions n’est plus à faire. Pedro, supporter historique au point d’assister encore aujourd’hui aux entraînements de l’équipe première, se souvient de l’éclosion du jeune joueur : « C’était un super milieu défensif. Mais il était tellement précoce qu’à chaque tournoi, on avait des problèmes avec les adversaires : « C’est impossible, le grand, là, il n’a pas 12 ans ». »

Malgré les qualités naturelles de Yann, son père ne le considère pas comme une poule aux oeufs d’or. Les parents ne se montrent dès lors pas enthousiastes à l’idée d’envoyer leur fils en Angleterre, lorsque Portsmouth vient frapper à leur porte en 2009. Devant l’insistance de Yann, ils consentent à le laisser partir. « On souhaitait que Junior, son grand frère, l’accompagne et vive avec lui, explique le père. Mais on s’est ravisés parce qu’on ne voulait pas qu’il ait un traitement différent des autres jeunes. Alors il est allé en famille d’accueil, comme ça se fait là-bas. » Le Franco-Congolais expérimente trois points de chute en une saison. Dans son premier foyer, on lui sert des conserves périmées depuis deux ans. Il est transféré dans un autre cottage avec un couple sans enfant toujours en déplacement qui le laisse livré à lui-même. La troisième famille est la bonne, mais un genou récalcitrant vient contrarier sa progression. Peu à peu, l’agent qui lui avait promis monts et merveilles ne donne plus de nouvelles. A la fin de la saison, en mai 2010, il revient à Cannes pour passer des examens et le couperet tombe : il ne retournera pas en Angleterre, sa carrière s’arrête net. C’est le tournant de la vie de Yann Nsaku. A 17 ans, il se voit contraint de modifier ses plans.

L’islam, nouvelle passion

Sa famille est persuadée qu’il peut encore entreprendre des études prestigieuses. « Il prétextait qu’il avait pris trop de retard lors de son année en Angleterre. En réalité, Yann, il a un QI proche de celui des surdoués. A 2 ans et demi, il savait lire et on n’a jamais compris comment. A 4 ans, c’est lui qui a installé seul les câbles de son ordinateur », avance son paternel. Quitte à se brider, Yann Nsaku opte pour la filière froid et clim’ en alternance, mais ne trouve pas d’employeur pour le former, malgré « la centaine de coups de fil » que son père a dû passer. Privé de foot, avec un avenir professionnel bouché, il se trouve donc une autre passion : l’islam.

Yann est pourtant né protestant, comme sa mère, et se rendait au catéchisme durant son enfance. Son père, lui, est arrivé catholique de Kinshasa avant de rejoindre l’Eglise réformée de Cannes. C’est à son retour d’Angleterre que Yann saute le pas. Un ami d’enfance lui montre des vidéos sur l’islam. Yann parfait sa connaissance du culte musulman en fouinant sur Internet, achète des djellabas et un tapis par correspondance puis valide sa conversion en se rebaptisant Idriss. « J’ai vu une vidéo qui parlait des miracles scientifiques du Coran. Ce sont des faits scientifiques qui ont déjà été mentionnés dans le Coran 1 400 ans auparavant », explique-t-il, dans un témoignage posté sur YouTube le 30 décembre 2011.

Au départ, sa famille ne se rend compte de rien. Un jour, Yann ne se présente pas au snack de son père où il avait pris l’habitude de venir donner un coup de main, non loin de la plage d’Antibes. « Au départ, il prétextait la fatigue, puis il venait de moins en moins souvent. Il a fini par expliquer à sa soeur que c’était parce qu’on vendait de l’alcool. » Curieux de comprendre le changement de cap de son fils, Philippe le fait venir tous les soirs pendant un mois pour discuter après la fermeture. Yann ne cesse de lui répéter qu’il n’a aucun problème mais les Nsaku restent inquiets : son frère et sa soeur inspectent régulièrement son historique de navigation. « Parce que Yann est un garçon très influençable et trop gentil. Quand on lui achetait un téléphone ou un jeu vidéo, deux jours après il l’avait donné à quelqu’un. »

Les choses s’enveniment lorsqu’il décide de ne plus se raser. Junior n’hésite pas à en venir aux mains pour lui faire entendre raison. « Yann encaissait les coups sans répondre, alors que son frère mesure seulement 1,72 m. La vérité c’est que Yann ne s’est jamais battu. Pas une fois. Au foot, quand on lui faisait mal, il préférait pleurer que riposter. »

D’où une question légitime : comment un jeune décrit comme inoffensif par tous ceux qui l’ont côtoyé peut-il se retrouver mêlé à un groupuscule terroriste considéré comme « probablement le plus dangereux en France depuis 1996 » par le procureur de Paris, François Molins ? « C’est incompréhensible. Il faisait des blagues en permanence, c’était un clown. Il n’a jamais volé une chemise, ce n’est pas un poseur de bombe », lâche Pedro, le supporter cannois. « Du sucre, valide Farid Tabet, ancien coach de la réserve cannoise. Vraiment un gentil garçon. Il était très joyeux et je n’ai jamais entendu parler de lui pour des problèmes disciplinaires. » L’explication la plus répandue est celle dite des « mauvaises fréquentations ». Des relations qui auraient été tissées lors des séances de prière à la mosquée Al-Madina Al-Mounawara, dans le centre de Cannes.

Radicalisé en prison Yann Nsaku ne semble pas être le plus actif de la bande de musulmans convertis, emmenée par Jérémy Louis-Sidney, 33 ans. Incarcéré pour trafic de stupéfiants en 2007 – il se serait radicalisé en prison -, « James » était un délinquant bien connu des services de police. Et de la famille Nsaku : « Avec Junior, ils sont de la même génération. Ils ont joué au foot et fait de la musique ensemble », raconte le papa. Le 24 septembre, Yann quitte le domicile familial le bras en sang suite à un bris de glace occasionné par une nouvelle altercation avec son grand-frère. « James » et ses potes se chargent de le conduire à l’hôpital. A leur retour, Junior veut en découdre. « Yann ne rasera pas sa barbe, répondent-ils. Et si tu lèves à nouveau la main sur lui, il y aura des représailles. » Junior demande alors « à la police d’intervenir, affirme le père. Sinon, il y allait avoir mort d’homme, qu’il allait tuer James ».

Deux semaines plus tard, la police faisait le travail et arrêtait onze personnes dans toute la France, dont Yann. Passé en si peu de temps de jeune espoir rigolard du football français à terroriste islamiste présumé.

THOMAS PITREL ET MARC HERVEZ/SO FOOT

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