La Mannschaft, championne du monde en 2014, après sa victoire en finale face à l'Argentine. © MATTHIAS HANGST/GETTY IMAGES

Football et politique : les Allemands, empereurs du monde

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Dix-neuvième volet : comment l’Allemagne s’est transformée en un rouleau compresseur qui emporte tout sur son passage, par-delà les ruptures politiques. Et pourquoi chaque titre de la Mannschaft raconte une tranche d’histoire.

Le football est un jeu simple : 22 types courent derrière un ballon pendant 90 minutes et, à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne.  » On doit l’image, devenue un classique, à l’attaquant anglais Gary Lineker, aujourd’hui consultant apprécié de la BBC. C’était après la défaite de son équipe face à l’Allemagne en demi-finale de la Coupe du monde en Italie. Ce 4 juillet 1990, la Mannschaft, comme on surnomme l’équipe allemande, atteint la finale au bout des prolongations et des tirs au but, dans un stade de Turin surchauffé. Quatre jours plus tard, elle termine le travail en battant l’Argentine 1-0. Ce n’est pas son titre mondial le plus chatoyant. Mais c’est le résultat d’un réalisme implacable. Celui dont le pays sait aussi faire preuve sur la scène internationale.

La fête au pays est d’autant plus belle que le sacre survient au beau milieu d’un enchaînement historique extraordinaire. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin est tombé, renversé par la volonté des Allemands de l’Est de  » voter avec leurs pieds  » contre les privations de liberté communistes. Au beau milieu du Mondial, le 1er juillet 1990, le mark devient la monnaie officielle en Allemagne de l’Est. Le 31 août, la réunification est scellée. On n’arrête pas le rouleau compresseur de l’histoire. Ce titre conquis en Italie est le dernier de la République fédérale d’Allemagne. Il consacre leur entraîneur, Franz Beckenbauer, l’un des plus grands joueurs de tous les temps. On ne le surnomme pas pour rien  » Der Kaiser « , l’empereur : l’Allemagne est un empire footbalistique, dont chaque triomphe écrit une nouvelle page, en métaphore de la politique.

Le miracle de Berne

4 juillet 1954. Sur un terrain rendu lourd par le déluge, à Berne, la RFA affronte la Hongrie en finale de la Coupe du monde. La période de l’histoire n’est pas anecdotique, là encore. Après le conflit 1940-1945, le monde a basculé dans la guerre froide. L’Allemagne nazie, vaincue, a été coupée en deux par les vainqueurs, les alliés (Grande-Bretagne, Etats-Unis, France) d’une part, les Soviétiques de l’autre. Peu à peu, on découvre l’horreur des camps de concentration, l’extermination des Juifs, des Tziganes, des homosexuels, des handicapés, des opposants… Le pays est mis au banc des nations. Et son équipe nationale de football interdite de Coupe du monde 1950, au Brésil. Cette finale suisse est donc un retour à la vie. Qui se transforme en un match Est-Ouest.

Face aux Hongrois, les Allemands ne partent pas favoris. Au premier tour, ils ont déjà été corrigés par ces artistes, fantastiques, emmenés par Ferenc Puskás : 8-3. Sans surprise, tant les  » Magiques Magyars  » sont considérés comme la meilleure équipe du monde. Logiquement, le titre leur tend les bras. Ils mènent d’ailleurs rapidement 2-0. Mais la Mannschaft se bat, revient à 2-1, puis égalise. Et à la 84e minute, Helmut Rahn, joueur de Rot-Weiss Essen, réalise un crochet parfait, puis marque d’un tir au ras du sol. Herbert Zimmermann, le commentateur de la télé allemande, hurle  » Tor ! Tor ! Toooooooor ! « , l’équivalent du  » Gol ! Gol ! Goooooool !  » latino-américain. Pour l’Allemagne, ce jour reste à jamais celui du  » miracle de Berne « .

C’est une fracture géopolitique, aussi. En 1955, la Hongrie rejoint le Pacte de Varsovie, qui soude le bloc de l’Est. En 1957, l’Allemagne est l’un des fondateurs de la Communauté européenne. Cinquante ans plus tard, en 2010, une étude du Comité olympique international démontrera que les joueurs allemands étaient dopés à la pervitine, produit utilisé par les militaires nazis pour tenir le coup durant les combats. Le traumatisme de la guerre laisse des traces. Mais l’enthousiasme, profond, suscité par le sacre suisse d’une Allemagne à nouveau démocratique ressuscite tout un peuple. Une phrase traduit le sentiment général :  » Wir sind wieder wer.  »  » Nous existons à nouveau.  »

Vingt ans plus tard, en 1974, l’Allemagne de l’Ouest existe, plus que jamais. Son chancelier, le social-démocrate Willy Brandt, a lancé une prudente politique de détente. Une nécessité : la guerre froide a atteint des sommets, menant plusieurs fois la planète au bord du précipice nucléaire. Facétieux, le tirage au sort de la Coupe du monde, organisée en Allemagne, offre au premier tour une confrontation atomique entre la RFA et la RDA (République démocratique allemande), son homologue de l’Est. Le jour du duel, le 22 juillet 1974, à Hambourg, le match a perdu un peu de son sel, les deux équipes étant déjà qualifiées pour le tour suivant. Mais le but marqué à la 74e par l’attaquant est-allemand Jürgen Sparwasser vaut son pesant symbolique. L’Est bat l’Ouest. Ironie de l’histoire : grâce à cette défaite, la RFA est versée dans une partie de tableau plus favorable, évite du coup notamment le Brésil et devient championne du monde en battant les Pays-Bas en finale. Son capitaine, l’inévitable Beckenbauer, est un empereur éternel…

En 1990, la réunification de l'Allemagne suit de près la victoire de la Mannschaft au Mondial. Tout un peuple exulte.
En 1990, la réunification de l’Allemagne suit de près la victoire de la Mannschaft au Mondial. Tout un peuple exulte.© PAUL LANGROCK/REPORTERS

Le sacre du métissage

1954, 1974, 1990… Puis, plus rien. Pendant plus de vingt ans, l’Allemagne réunifiée ne remporte plus aucun titre mondial. C’est l’heure de la gueule de bois, de l’absorption du coût astronomique de la réunification (2 000 milliards d’euros), de l’Ostalgie à l’Est (tout était mieux au temps du communisme) et d’un pays présenté comme  » le malade de l’Europe « . Au tournant du millénaire, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder mène des réformes douloureuses pour rendre le marché du travail plus flexible. La chrétienne-démocrate Angela Merkel lui succède en 2005. L’Allemagne profite enfin de sa situation nouvelle, au coeur de l’Europe élargie à l’Est.

En 2014, lors de la Coupe du monde au Brésil, une génération métissée retrouve les accents conquérants de ses aînés et explose le pays organisateur en demi-finale : 1-7 ! Özil, Khedira, Boateng et autres Müller remportent le titre face à l’Argentine, faisant honneur au slogan :  » Ein Land, eine Mannschaft, ein Traum  » ( » Un pays, une équipe, un rêve « ). Un slogan critiqué tant il fait songer au  » Ein Volk, ein Reich, ein Führer  » des nazis. Au moment où, au sud de l’Europe, on dénonce le  » manque de solidarité  » allemand lors de la crise de la dette.

1954, 1974, 1990 et 2014, donc. Un titre tous les vingt ans. Selon cette statistique, l’Allemagne ne sera pas championne du monde cet été, en Russie. Mais Angela Merkel est affaiblie à la tête de sa  » Große Koalition  » avec les socialistes, alors que le pays se remet difficilement de l’impact politique de la crise des migrants. Et si, donc, plus que jamais, l’Allemagne avait besoin de démontrer qu’à la fin, c’est toujours elle qui gagne ?

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