Le 10 novembre dernier, la Suède remporte 1-0 son match aller en barrage. L'Italie est effondrée. © Alessandro Garofalo/reuters

Football et politique : la Suède, le modèle scandinave

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Vingt-cinquième volet : comment la Suède incarne cette Europe modèle qui a renvoyé le malade italien dans ses foyers. Et pourquoi cette valeur d’exemple n’est pas dénuée de zones d’ombre.

Le football n’est pas une science exacte et il peut être d’une implacable cruauté. Combien d’amis italiens ne voient-ils pas arriver d’un oeil sombre le Mondial russe, le premier auquel leur pays ne participera pas depuis 1958 ? Par dépit, soit ils supporteront la Belgique, soit il partiront loin, très loin, à partir du 14 juin prochain. La faute à un pays rigoureux, froid, qui a résisté tant et plus pour éliminer la Squadra Azzurra lors des matches de barrage, en novembre dernier : la Suède.

« La force du collectif »

Toute l’Italie revoit encore tel un cauchemar, six mois plus tard, cette frappe écrasée de Jakob Johansson, malencontreusement déviée par le Romain Daniele De Rossi dans le but de son gardien iconique, Gianluigi Buffon, à la 61e minute, lors du match aller en Suède. Johansson, milieu de terrain défensif évoluant à l’AEK Athènes, venait de rentrer au jeu quatre minutes auparavant pour devenir l’improbable héros de son pays. Car, lors du match retour, à Milan, il était écrit que l’Italie, en panne de créativité, ne parviendrait pas à résorber son retard. La faute à pas de chance, à une stratégie trop défensive de l’entraîneur, Giampiero Ventura, et au manque d’explosivité d’une génération vieillissante. L’expression, aussi, de cette fracture politico-économique profonde qui divise le nord et le sud de l’Europe.

Stefan Löfven, Premier ministre suédois, avec Emmanuel Macron, en juillet 2017.
Stefan Löfven, Premier ministre suédois, avec Emmanuel Macron, en juillet 2017.© Eric FEFERBERG/belgaimage

N’enlevons pas le mérite de cette qualification à une Suède qui a su trouver de nouvelles solutions après la retraite internationale de Zlatan Ibrahimovic. L’attaquant, qui se considère lui-même comme le meilleur joueur du monde et qui a  » zlatané  » la France entière lorsqu’il était au Paris Saint-Germain, s’est retiré de la sélection nationale après un décevant Euro 2016, clôturé par une dernière place au sein du groupe de la Belgique. Dans la foulée, le nouveau sélectionneur, Janne Andersson, ancien attaquant de la modeste formation d’Alets IK, a reconstruit un  » onze  » plus homogène. Sans Zlatan. Au lendemain de la qualification pour la Russie, la presse suédoise salue une équipe nationale qui a su mettre en avant  » la force du collectif, basée sur la joie, l’unité et le respect « . Une formule typiquement suédoise.

N’est-ce pas là, en effet, l’incarnation footballistique parfaite du modèle scandinave, présenté comme un exemple à suivre dans toute l’Europe ? Le président français Emmanuel Macron ne jure d’ailleurs que par le réformisme suédois dans sa volonté de transformer la France.  » Une source d’inspiration « , dit-il. En juillet 2017, il a rencontré, sitôt élu, le Premier ministre social-démocrate Stefan Löfven. Comme un gage. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Suède – comme le Danemark ou la Finlande – incarne un mélange harmonieux entre économie de marché dynamique et protection sociale de l’Etat-providence. Avec le souci permanent du consensus politique. De l’eau libérale a coulé sous les ponts après la crise des années 1990 – flexibilisation du marché du travail, déréglementation de services publics… – mais la croissance est revenue et, avec elle, le retour d’un Etat plus efficace. En 2013, l’hebdomadaire The Economist voyait naître en Suède le prochain  » supermodel « .

Tout le contraire d’une Italie dévorée par sa dette, malmenée par l’effondrement des industries traditionnelles et bousculée par la crise migratoire. Les élections du 4 mars dernier y ont ajouté un imbroglio politique dont l’Italie a le secret, découlant d’une lutte des ego entre deux forces politiques eurosceptiques, les anarchistes citoyens de 5 Stelle et les extrémistes droitiers de la Ligue. L’Italie, nouveau malade de l’Europe, a peut-être été écartée du Mondial par la Suède afin qu’elle se ressaisisse… Depuis le début de la crise financière au sein de l’Union, les pays scandinaves figurent parmi les fervents partisans, avec l’Allemagne et les Pays-Bas, d’une plus grande rigueur budgétaire. Pour éviter une gabegie qui risquerait de mettre en cause les acquis. Finalement, le résultat politique est actuellement le même que celui obtenu sur le terrain : Suède 1, Italie 0.

Football et politique : la Suède, le modèle scandinave
© Max Rossi/reuters

« Si je m’appelais Andersson… »

Mais le prochain  » supermodel  » n’est toutefois pas à l’abri des déconvenues. De même, la participation de la Suède au Mondial pourrait être envenimée par une polémique de dernière minute. Forcément liée à l’inévitable Zlatan, qui évolue désormais au Los Angeles Galaxy, après un passage par Manchester United.  » Je vais aller au Mondial « , s’exclame-t-il, le 18 avril, soudain désireux de briser sa retraite. Réplique cinglante du modeste, mais pas moins solide, coach Janne Andersson :  » Si vous avez perdu la foi pour être avec l’équipe nationale, pendant 40 ou 50 jours, et que vous préférez ne rien faire pour passer du temps avec votre famille, je respecte ça. Mais si vous changez d’avis, contactez-moi d’abord. On discutera de ce que ce retour signifierait, de la façon dont nous jouons en ce moment…  » Traduction : la Suède n’est pas suspendue à Ibrahimovic. Constat amusé des Français de So Foot, qui ont appris à connaître le personnage à Paris :  » Le problème, c’est que Zlatan n’appelle personne. C’est le téléphone qui appelle Zlatan.  » Question réglée depuis : le sélectionneur a précisé que la star ne faisait  » pas partie de ses plans « .

Ego surdimensionné, critiqué pour sa propension à ne jouer que pour lui-même, Zlatan Ibrahimovic n’en représente pas moins un autre modèle suédois, celui d’une intégration réussie. Né d’un père bosnien musulman et d’une mère croate catholique, émigrés en Suède en 1977, il a vécu son enfance à Rosengard, un quartier très métissé de Malmö, avant de s’imposer en Suède, puis de devenir l’un des meilleurs attaquants au monde. En 2015, lors de la crise des migrants, la Suède a accueilli 190 000 réfugiés, un nombre conséquent pour ce pays de dix millions d’habitants. Pour faire passer la pilule auprès d’une population inquiète, le ministre de l’Immigration, Morgan Johansson, s’est emparé du symbole footballistique :  » Nous sommes tous si fiers de Zlatan et nous devons rappeler que ceux qui vivent ici maintenant peuvent devenir les Zlatan de 2030.  » Un message positif.

Tout n’est toutefois pas si rose. Début 2018, ledit Zlatan fait une sortie tonitruante pour écorner le modèle suédois, dans un documentaire de Canal+, où il rappelle combien il a dû se battre avant de devenir célèbre :  » Les médias suédois m’attaquent aujourd’hui encore parce qu’ils n’acceptent pas que je m’appelle Ibrahimovic. Je ne dis pas que c’est du racisme affirmé, c’est du racisme latent. Parce que je ne m’appelle pas Andersson ou Svensson. Si c’était le cas, ils me défendraient…  »

Lors des dernières élections de 2014, un parti antiimmigration curieusement baptisé les Démocrates suédois a remporté 13 % des voix. La droite conservatrice a envisagé un moment de conclure un accord avec lui pour bouter les sociaux-démocrates dans l’opposition. Le prochain scrutin, en septembre, risque bien de remettre le modèle suédois à l’épreuve. Après une Coupe du monde sans Zlatan…

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