Everton Luiz quitte la pelouse en larmes après avoir essuyé des insultes racistes lors d'un match de championnat serbe. © MIROSLAV TODOROVIC/PHOTO NEWS

Football et politique : la Serbie, en plein dans le chaudron des Balkans

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Dix-septième volet : comment la Serbie a pris le relais de la Yougoslavie dans le chaos et la violence. Et pourquoi le foot démontre que rien n’est définitivement réglé dans la région, en dépit d’un rapprochement avec l’Union européenne.

 » Si la Serbie ne vient pas à bout du hooliganisme, un drame pourrait arriver, et ce pays serait sérieusement menacé d’être exclu d’une grande compétition.  » Celui qui parle de la sorte, en mars 2017, se nomme Aleksander ?eferin. Il est président de l’UEFA (Union européenne des associations de football). Et est particulièrement sensible à la question : Slovène, il a connu les heures noires de l’ex-Yougoslavie.

Lorsque l’ancienne fédération des Serbes, des Bosniaques, des Croates, des Monténégrins et des Slovènes commence à se désintégrer, en 1991, Aleksander ?eferin est mobilisé dans l’armée de son petit pays. Il ne doit pas tirer le moindre coup de fusil lors de la guerre éclair de dix jours, qui permet à la Slovénie de devenir indépendante. Mais des horreurs, ce juriste en a vu tout au long de ce conflit, prolongé de façon bien plus horrible en Croatie et en Bosnie.  » C’est difficile de me déstabiliser après ce que j’ai vu pendant cette période « , dit-il. On comprend mieux sa sensibilité à fleur de peau. Car les Balkans restent un chaudron.

La guerre du football

La Serbie participera bel et bien à la Coupe du monde 2018 en Russie. Une victoire contre la modeste équipe de Géorgie lui a suffi, le 9 octobre 2017, pour devancer in extremis la République d’Irlande et le Pays de Galles. La campagne de qualification s’est déroulée, cette fois, dans un climat relativement paisible. Maiss depuis plus de vingt ans, la Serbie est un des points noirs de la planète football. Et ses supporters ultranationalistes témoignent, aujourd’hui encore, du caractère instable d’une région suivie de près… par la Russie, qui la considère comme un endroit stratégique.

Nous sommes le 31 mai 1992. La Yougoslavie est exclue de l’Euro organisé en Suède, bien qu’elle ait brillamment terminé en tête de son groupe. Les joueurs l’apprennent alors qu’ils viennent d’atterrir à Stockholm. Brisés. Cette génération dorée – les Robert Prosine?ki, Davor ?uker et autres Sini?a Mihajlovi? – rate une occasion en or de remporter un grand tournoi. Ironie du sort : le Danemark, qui la remplace au pied levé, remporte l’Euro à la surprise générale. L’exclusion yougoslave est la conséquence logique de l’embargo international décidé contre le régime de Slobodan Milosevic. Son armée mène alors un siège féroce contre Sarajevo, capitale de la Bosnie. L’Europe se retrouve confrontée au lourd fardeau de la guerre, quarante-sept ans après.

Si le football est une victime du conflit, il en est aussi l’un des déclencheurs. Dans les stades, à Belgrade, les ultras nourrissent les passions nationalistes et débordent de haine contre les équipes bosniaques, croates et slovènes. Zeljko Ra¸natovi? – connu sous le surnom d’Arkan – crée au sein des supporters de l’Etoile rouge de Belgrade, équipe de l’armée, un noyau de supporters radicaux baptisé  » les Tigres « , qu’il transforme en une milice meurtrière, organisée, fascisante. La guerre de Yougoslavie débute en réalité, de façon plus que symbolique, le 13 mai 1990 à l’occasion d’un affrontement généralisé en marge d’un match entre l’Etoile rouge et les Croates du Dynamo Zagreb. Le rêve multiculturel yougoslave s’évanouit.

Une improbable équipe de Serbie-et-Monténégro prend le relais, entre 2003 et 2006, avant que le Monténégro ne vole de ses propres ailes. Le premier match de l’équipe nationale serbe a lieu le 16 août 2006 en République tchèque. Il se solde par une victoire de prestige, 1-3. Une promesse sportive, sans lendemain. D’autant que le pays n’est pas débarrassé des démons, qui dégradent son image dans le monde. De l’équipe nationale aux clubs emblématiques. L’Etoile rouge et son rival du Partizan Belgrade, club de la police, sont des symboles nationaux, soutenus par les pouvoirs publics. Mais les ultras y prolifèrent, sans que le pouvoir ne bronche. Les liaisons dangereuses entre sport, politique et milieux criminels sont constantes. Et la violence reste un fléau endémique.

Jean-Claude Junker et le président serbe Aleksandar Vu?i?. La Serbie espère rejoindre l'Union européenne d'ici 2025.
Jean-Claude Junker et le président serbe Aleksandar Vu?i?. La Serbie espère rejoindre l’Union européenne d’ici 2025.© DARKO VOJINOVIC/ISOPIX

De Brice Taton à Everton Luiz

Est-ce là de l’histoire ancienne, d’un temps que les joueurs du Mondial russe ne peuvent pas connaître ? Malheureusement pas. Plusieurs événements graves et récents en témoignent.

17 septembre 2009. Des supporters du FC Toulouse font le déplacement à Belgrade pour soutenir leur équipe face au Partizan, en Europa League. Alors qu’ils boivent quelques verres en terrasse, Brice Taton et ses compagnons sont sauvagement attaqués par des hooligans serbes. Le jeune homme de 28 ans succombe à ses blessures après avoir été tabassé et jeté du haut d’un escalier. En dépit de pressions, quatorze supporters du Partizan sont condamnés à des peines de prison allant de quatre à quinze ans. Mais cela n’empêche pas les gradins serbes de continuer à hurler.

En septembre 2014, lors d’un Serbie-Albanie qualificatif pour l’Euro 2016, les ultras donnent de la voix :  » Tuez ! Tuez ! Tuez les Albanais !  » Ils réagissent de façon véhémente à l’arrivée, au-dessus de la pelouse, d’un drone auquel est suspendu un drapeau de la grande Albanie, incluant le Kosovo. L’indépendance autoproclamée par ce petit pays le 17 février 2008 reste inacceptable aux yeux des nationalistes serbes. Car c’est le foyer historique de cette patrie qui a bouté les Ottomans hors d’Europe. L’imaginaire nationaliste demeure. Et s’exprime avec véhémence.

Février 2018. Une nouvelle fois, le football serbe fait la Une pour de bien tristes raisons. Lors d’un match opposant le FK Rad au Partizan Belgrade, le milieu de terrain brésilien Everton Luiz tombe en larmes après avoir essuyé des cris de singe et des tombereaux d’insultes de la part des ultras locaux : United Force 87. Il a craqué et leur a adressé un doigt d’honneur.  » J’aime la Serbie et les gens qui y habitent « , s’excuse-t-il ensuite. La Serbie n’est pas le seul pays où le racisme fait un retour en force dans les stades, mais United Force 87 n’en reste pas là. Régulièrement, ces ultranationalistes brandissent des portraits de Ratko Mladic, le leader des Serbes de Bosnie durant la guerre en ex-Yougoslavie, condamné à la perpétuité pour génocide par le tribunal international de La Haye. Une démonstration de haine décuplée lorsque le FK Rad affronte les Serbes bosniaques du FK Novi Pazar. Les tensions communautaires ont encore de beaux jours devant elles.

La Serbie espère rejoindre l’Union européenne d’ici à 2025. Ses autorités actuelles multiplient les efforts pour y arriver. Mais il reste bien du travail pour apaiser les stades.

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