Dieu vivant au Japon, Kazuyoshi Miura a inscrit un but à 50 ans en match officiel de D2 japonaise. © Jun Tsukida/belgaimage

Football et politique: au Japon, le respect des Samouraïs

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Onzième volet : pourquoi le Japon peine à concrétiser sur les terrains son nationalisme politique retrouvé. La faute au vieillissement, à une trop grande déférence et à l’éducation.

Kazuyoshi Miura est un dieu vivant au Japon. Digne des sumo, vénérés pour leur force et leur sagesse. Kazu, comme on le surnomme, est entré dans le livre des records en mars 2017 après avoir inscrit un but… à 50 ans et 14 jours, lors d’un match officiel de deuxième division opposant son club, le Yokohama FC, à l’équipe de Thespakusatsu Gunma. Il supplante de la sorte un joueur mythique, l’Anglais Sir Stanley Matthews, qui avait établi le précédent record en 1965 à 50 ans et 5 jours. Pour Miura, ce n’est sans doute pas fini : en janvier 2018, l’attaquant japonais a signé un nouveau contrat. Infatigable.

L’homme est l’illustration même de ce que les joueurs japonais représentent : travailleurs, obstinés, humbles bien qu’omniprésents dans les publicités de toutes sortes, dans ce pays des contrastes. Rien de comparable avec l’Argentin Maradona, ses addictions, ses coups de génie et ses pétages de plomb. Rien à voir, non plus, avec l’Allemand Lothar Matthäus, son jeu mécanique et sa profusion de trophées. Kazu a plutôt quelque chose d’un Captain Tsubasa, ce manga, connu chez nous grâce à la série animée culte des années 1980, Olive et Tom. Un héros du foot. Qui rêve de remporter, un jour, la Coupe du monde. Mais ce n’est là qu’un rêve…

Explosion et stagnation

Au cours de sa longue carrière de trente-deux ans, Kazuyoshi Miura a accompagné l’explosion du football au Japon, où il a été longtemps relégué au second plan derrière le baseball, bien plus populaire. Kazu a commencé sa carrière au plus haut niveau en 1993, quand la ligue professionnelle, la J-League, a vu le jour, donnant un coup de fouet à ce sport au niveau national. Il a marqué à quatorze reprises lors des qualifications de la Coupe du monde 1998, permettant la première participation du Japon à ce tournoi majeur. Depuis, son pays a participé à toutes les phases finales, six en tout, dont celle coorganisée avec la Corée du Sud en 2002. Les Samouraïs bleus, surnom de l’équipe nationale, dominent au niveau asiatique. Mais à l’échelle planétaire, ils restent plus discrets : ils ne se sont qualifiés qu’à deux reprises pour les huitièmes de finale du Mondial. Une misère.

Le plus vieux buteur du monde ne participera évidemment pas à la prochaine Coupe du monde, dans cinq mois, en Russie. Miura n’a plus le niveau, ni la vivacité nécessaire. Mais le fait que son exploit reste un des plus hauts faits de l’année dernière est révélateur : la population japonaise ne cesse de vieillir. En 2014, plus d’un quart des Japonais avaient plus de 65 ans, un pourcentage qui passera à 40 % en 2060. Depuis octobre 2016, le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans y a même dépassé celui des moins de 35 ans : tout un symbole. L’accompagnement des cheveux gris est la priorité nationale, de l’aménagement de l’espace public à l’encadrement des maisons de repos.

L’équipe nationale de football est à l’image de ce pays qui fut longtemps l’une des premières puissances industrielles du monde, mais qui a subi coup sur coup une très longue crise économique et de dramatiques catastrophes naturelles : elle stagne. Lors de la Coupe d’Asie de l’Est, en décembre dernier, elle s’est lourdement inclinée à domicile contre la Corée du Sud 4-1. Une humiliation. Depuis une dizaine d’années, les joueurs japonais constituent une denrée d’exportation, surtout vers la Bundesliga allemande. Mais leur frêle gabarit et leur attitude réservée jouent en leur défaveur, dans ce sport devenu jungle, où la primauté physique et l’esprit mercenaire prévalent. Cela n’empêche pas certains de briller : Shinji Kagawa à Dortmund, Hidetoshi Nakata ou Keisuke Honda en Italie. Mais aucune superstar n’a émergé. Les promesses, Maya Yoshida et Shinji Okazaki, ont rejoint la Premier League anglaise mais peinent à s’y imposer. Personne ne mise sur le Japon en Russie. Un palier reste à franchir.

Shinzo Abe, Premier ministre japonais, a remis le nationalisme en tête de l'agenda politique.
Shinzo Abe, Premier ministre japonais, a remis le nationalisme en tête de l’agenda politique.© The Asahi Shimbun/getty images

Nationalisme et gentillesse

Vahid Halilhod¸i?, le guerrier bosnien devenu, il y a trois ans, entraîneur de la sélection nationale japonaise, met le doigt sur ce qui est à la source de ce manque de compétitivité :  » Je m’attendais à un football local d’un niveau un peu supérieur, expliquait-il à So Foot en juillet 2016. Dans l’engagement et l’intensité, c’est un peu juste. Il y a beaucoup de respect entre les joueurs. J’ai regardé environ cinquante matches de championnat, je ne me souviens pas d’un penalty sifflé. C’est leur culture, ce respect peut paraître excessif quand on vient d’Europe. Dès qu’il y a de l’impact physique, le déchet technique monte en flèche.  »

Et le guerrier Halilhod¸i? d’ajouter :  » D’un autre côté, ils sont tellement sympathiques, tellement éduqués que c’est un bonheur.  »

Tout va-t-il changer ? Depuis son retour au pouvoir en décembre 2012, le Premier ministre Shinzo Abe a remis le nationalisme japonais en tête de l’agenda politique. Fini le pacifisme idéaliste cultivé depuis les massacres de la Seconde Guerre mondiale et l’épreuve nucléaire d’Hiroshima ! L’homme fort du Japon, réélu l’an dernier, veut revoir la Constitution et redonner la possibilité au pays de s’engager dans des aventures militaires. Un regard tourné vers le régime de Pyongyang, qui multiplie les provocations. Le 9 décembre dernier, le Japon et la Corée du Nord se sont d’ailleurs affrontés sur un terrain de football : les Samouraïs bleus l’ont emporté par un but marqué à la 93e minute. Dans les deux langues, il ne fut question à cette occasion que  » de joie et d’amitié « …

La politique agressive de Shinzo Abe divise pourtant ce pays où la modération a souvent dû faire face à des poussées de violence. Comme si les deux pôles s’attiraient et se rejetaient, en permanence. La fougue du combat s’emparera-t-elle, tôt ou tard, des Samouraïs ? La Fédération nationale a sorti un objectif ambitieux pour motiver les troupes :  » Le Japon doit devenir champion du monde de football d’ici 2050.  » Une déclaration rapidement jugée fantaisiste. Car l’éducation constitue un autre obstacle à ce projet sportif. La plupart des jeunes prometteurs poursuivent leurs études à l’université plus longuement, s’investissent dans les compétitions qui s’y déroulent et ne rejoignent les championnats professionnels que vers 22 ou 23 ans. Trop tard pour briller et s’exporter.

 » Le Japon, résume dès lors Emmanuel Camus, rédacteur pour Nippon Ganbare, le site français du foot japonais, c’est un peu le pays du football « gentil ».  » Mais malin, serait-on tenté d’ajouter. La marque de fabrique d’une nation qui ne fait jamais rien comme les autres.

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