Le prince héritier Mohammed ben Salman a bien compris qu'il fallait choyer les amateurs de ballon rond. © ISOPIX

Football et politique: Arabie saoudite, la timide ouverture au monde

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le Vif/L’Express montre, à travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Cinquième volet : comment l’Arabie saoudite retrouve le chemin du Mondial, douze ans après, à l’heure où le régime amorce des réformes et compte bien utiliser le ballon rond pour séduire.

Le football est une seconde religion en Arabie saoudite. Et le prince héritier du royaume, Mohammed ben Salman al-Saoud, entend bien être son nouveau prophète.  » MBS « , comme on le surnomme, a parfaitement compris toute l’importance de conquérir le coeur des supporters. Tant pour asseoir son autorité que pour imposer le virage réformateur de son programme Vision 2030 (Le Vif/L’Express du 17 novembre).  » Le football est le seul rival de l’islam dans le Moyen-Orient « , constate James Dorsey, journaliste américain et chercheur au Middle East Institute, qui a fait de ce thème son principal sujet d’étude.  » Les jeunes Saoudiens vont plus souvent dans les stades que dans les mosquées, prolonge Ali al-Ahmed, opposant au régime et fondateur de l’Institut pour les affaires du golfe Persique, un groupe de réflexion basé à Washington. Plus que la religion, le football peut être au centre de toute révolution.  » Traduction : les amateurs de ballon rond, sport ultrapolitisé depuis toujours par le régime, doivent être choyés.

Aussi, quand l’Arabie saoudite est à deux doigts de se qualifier pour la Coupe du monde 2018, douze ans après sa dernière participation, MBS sait qu’il doit marquer symboliquement l’événement. Le 5 septembre dernier, alors que la sélection nationale rencontre le Japon pour le match décisif au stade Roi Abdullah, à Djeddah, le prince héritier décide d’acheter tous les billets. Et permet aux spectateurs d’assister gratuitement au match. Au coup d’envoi, tous brandissent le portrait de leur futur roi… La fête est complète lorsque le jeune ailier Fahad al-Muwallad marque l’unique but de la rencontre, à la 63e minute. Tir imparable, en pleine lucarne, et ticket pour la Russie ! Le coup de sifflet final libère des scènes d’hystérie. Dans tout le pays, on pleure de joie. En espérant des jours meilleurs.

Cette qualification réveille de bons souvenirs pour les amateurs de football saoudiens. De moins bons pour nous, Belges : le 29 juin 1994, lors de la Coupe du monde aux Etats-Unis, le milieu de terrain Saeed al-Owairan traverse tout le terrain, dribble une batterie de Diables Rouges, comme cloués au sol, et trompe Michel Preud’homme. Ce but, l’un des plus beaux, permet à l’Arabie saoudite de battre la Belgique et de se qualifier pour les huitièmes de finale. L’euphorie ne dure pas : l’équipe est éliminée par la Suède au tour suivant. Mais c’est le début d’une décennie de rêve pour le foot saoudien : quatre qualifications consécutives pour le Mondial et trois Coupes d’Asie. Méconnu, il rêve de s’ouvrir au monde.

Cet espoir fait long feu. En 2006, l’Arabie saoudite quitte la compétition au premier tour. C’est le chant du cygne. La région devient une pétaudière géopolitique et l’équipe nationale sombre. Le mensuel français So Foot pointe une instabilité chronique : quarante-trois sélectionneurs en trente ans !  » Aucun entraîneur ne parvient à composer avec l’impatience de la fédé saoudienne, écrit le magazine, ni avec le particularisme de cette équipe nationale composée à 100 % de joueurs évoluant en vase clos dans le faible championnat national, où les salaires sont trop bons pour inciter les meilleurs éléments à risquer l’aventure à l’étranger.  » Les principaux clubs du pays – Al-Ahli, Al-Hilal, Al-Shabab et Al-Nasser – sont tous liés à un membre de la famille royale. Un contrôle à outrance. Ainsi va le foot comme la vie dans ce pays dont l’ultraconservatisme sociétal n’est guère propice à l’euphorie. Une bonbonnière prête à exploser, composée à plus de 50 % de jeunes de moins de 25 ans.

L'Arabie saoudite exulte après avoir inscrit l'unique but du match contre le Japon.
L’Arabie saoudite exulte après avoir inscrit l’unique but du match contre le Japon.© KUNIHIKO MIURA/ISOPIX

Les stades accessibles aux femmes

Si MBS mène au pas de charge une refonte de la société saoudienne, c’est pour éviter que la situation intérieure ne dérape. En réponse à la pression extérieure des pays voisins, aussi : la concurrence du Qatar est féroce et les relations sont de plus en plus tendues avec l’Iran. Comme eux, l’Arabie saoudite doit préparer les lendemains de l’ère pétrolière, en investissant dans des domaines susceptibles de préserver sa puissance économique et politique. Le sport est une clé. Mais la monarchie a pris du retard sur les Qataris, qui accueilleront la Coupe du monde 2022, font du Paris-Saint-Germain une équipe du top mondial et installent des centres de formation partout dans le monde. L’Autorité générale du sport saoudien, qui gère ce redéploiement, a été redynamisée pour renverser la vapeur. La monarchie a notamment accueilli le Real Madrid, en 2011, et Manchester United, tout récemment, pour installer des académies de formation des jeunes. Deux clubs, parmi d’autres, attirés par la manne financière du marché du Golfe.

Pour séduire, le régime multiplie les signes d’une timide ouverture, en foot comme en politique. Cette année, le quota de joueurs étrangers acceptés dans les clubs saoudiens a été augmenté de 50 % : ils pourront désormais être six par équipe, au lieu de quatre auparavant. La lutte contre la corruption, structurelle dans le pays, a été renforcée : plusieurs clubs ont été sanctionnés pour matchs truqués. Enfin, mesure hautement symbolique, l’autorité générale du sport, désormais présidée par la moderne princesse Reema Bandar al-Saoud, a annoncé, le 30 octobre dernier, que les femmes seront bientôt acceptées dans trois stades du royaume. Une brèche dans le wahhabisme, qui prône cette ségrégation. Parallèlement, le régime annonçait que les femmes ont désormais le droit de conduire une voiture. Tout arrive.

La nouvelle participation de l’Arabie saoudite à une Coupe du monde braquera forcément les projecteurs sur la réelle volonté de réforme du prince héritier. Et sur la sincérité d’une monarchie omniprésente. Bert van Marwijk, l’entraîneur néerlandais qui a porté l’équipe nationale vers la Russie, a, lui, tiré sa révérence après le match contre le Japon :  » Je n’avais pas le choix. Après la qualification, je me suis soudain rendu compte que beaucoup de gens voulaient se mêler de l’équipe nationale.  » Son successeur, l’Argentin Edgardo Bauza, vient d’être limogé, deux mois après sa nomination et des matchs amicaux catastrophiques.  » Les crises du football saoudien, soulignait cet été James Dorsey, sont une métaphore de la nécessité de réformes pour le régime.  » Visiblement, l’instabilité chronique n’est pas révolue.

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