Gérald Papy

Foot, miroir de quelle société ?

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Menace terroriste, contestation sociale, discrédit des élites politiques… C’est peu dire que la France, qui accueille le championnat d’Europe de football jusqu’au 10 juillet, n’affiche pas les attributs d’une nation triomphante.

Se solderait-il par une complète réussite, en matière d’organisation et de performance sportive, le tournoi n’accorderait sans doute qu’un sursis à François Hollande et à Manuel Valls face au mécontentement de la rue et à la haine des djihadistes. Surtout, il est une certitude : une victoire, plausible, des Bleus de Didier Deschamps ne se fêtera pas sur les Champs-Elysées comme fut portée aux nues l’équipe black-blanc-beur qu’il conduisit comme capitaine lors du Mondial de 1998.

La polémique sur les accusations de racisme portées par Karim Benzema pour sa non-sélection tricolore a jeté une lumière crue sur l’évolution du vivre ensemble dans l’Hexagone au cours des deux dernières décennies. Elle démontre après d’autres (l’annulation, par exemple, lors de la commémoration de la Bataille de Verdun en 1916 du concert de Black M, petit-fils de combattant guinéen de l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale) l’extrême sensibilité que les questions sur l’appartenance communautaire ont acquise dans la patrie des droits de l’homme. Le sociologue William Gasparini, dans Le Monde, situe précisément ce « changement de regard de l’opinion » dans l’après-1998 quand « les élus et journalistes commencent à renvoyer les stars du ballon rond à leurs origines culturelles afin d’exalter la « diversité » de la composition des équipes sportives et la fameuse « intégration par le sport » ». L’explication de l’exclusion en termes de classes sociales se serait alors effacée au profit d’analyses « ethnicistes ». Mais la montée de l’extrême droite n’en serait pas la seule responsable.

Belges et Français gagneraient à édifier des sociétés qui combattent réellement le racisme et dépassent le piège de l’ethnicisation.

Avec une configuration pratiquement égale à celle de la France (une forte représentation de joueurs originaires d’Afrique subsaharienne, d’autres provenant de pays européens et un seul d’Afrique du Nord, Adil Rami d’un côté, Marouane Fellaini de l’autre), l’équipe nationale belge échappe étrangement à cette lecture ethniciste. Y contribuent sans doute l’influence restreinte de la diaspora des anciennes colonies et l’empreinte de ce « tribalisme à la belge » qui questionne davantage un Moussa Dembélé ou un Jason Denayer sur leur appartenance au groupe des néerlandophones ou des francophones que sur leurs origines maliennes ou congolaises.

En toute hypothèse, Belges et Français gagneraient et grandiraient à édifier des sociétés qui combattent réellement le racisme et dépassent le piège de l’ethnicisation. L’affaire Benzema aurait pu n’être qu’une piteuse polémique. Elle est un révélateur du malaise d’une nation française divisée. Certes le racisme est une réalité, y compris dans le football. Mais balancer indûment cette accusation péremptoire (tel le point Godwin avec la référence disqualifiante au nazisme) pour masquer des comportements extra-sportifs peu glorieux dessert plus qu’il ne soutient le combat contre le racisme. Et donne de fallacieux arguments à ceux qui mènent une guerre au nom de la détestation de la France. ˜

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