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Fin de règne à Tokyo : un scénario « A la Belge » ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Eprouvé par sa charge, l’empereur Akihito veut passer la main. Pourra-t-il abdiquer, comme Albert II ? Pas si simple. Eclairage sur une fin de règne marquée aussi par les controverses autour de la préparation des Jeux de Tokyo 2020.

Le gouvernement japonais laissera-t-il l’empereur Akihito, 83 ans le 23 décembre prochain, quitter le trône du Chrysanthème ? Le sujet, politiquement sensible au pays du Soleil levant, a prudemment été évité tout au long de la visite d’Etat du roi Philippe et de la reine Mathilde au Japon, la semaine dernière. « Rien n’a été dit, ni dans les discours officiels, ni dans les conversations entre la délégation belge et ses hôtes nippons, d’une éventuelle abdication du souverain », confirme un membre de l’entourage du roi. En août dernier, l’empereur s’était dit préoccupé, dans une rare allocution télévisée, par sa capacité à continuer de s’acquitter de ses lourdes tâches de représentation, compte tenu de son âge : « Quand je vois ma forme décliner progressivement, je m’inquiète de la difficulté à remplir mes fonctions en tant que symbole de l’Etat. »

Soigné pour un cancer de la prostate, Akihito a aussi subi, en 2012, un pontage coronarien. L’an dernier, il a confié qu’il sentait le poids des années et qu’il lui était déjà arrivé de  » commettre des erreurs lors de cérémonies ». Pour l’heure, pas d’impair compromettant. Mais l’empereur peine à suivre l’éprouvant protocole de sa charge. Ses pas hésitants à l’entrée du palais impérial au moment d’accueillir Philippe et Mathilde ont frappé l’assistance belge. De même, au terme du concert offert par le couple royal à la famille impériale – Lorenzo Gatto et ses partenaires de l’ensemble Chausson ont rendu hommage au violoniste Eugène Ysaÿe -, on a pu voir l’empereur peiner à saisir les mots d’adieu échangés entre Mathilde et l’impératrice Michiko.

La rudesse de l’étiquette

Soucieux de ne pas donner le spectacle de son affaiblissement physique, Akihito souhaite passer rapidement la main à son fils aîné Naruhito, qui a 56 ans, le même âge que le roi Philippe. Marchant sur les traces de son père, le prince héritier, diplômé en histoire, se montre critique envers une institution impériale millénaire et le passé militariste de l’archipel. Il appelle à une réforme pour que la dynastie soit en phase avec le XXIe siècle. Un sujet qui lui tient d’autant plus à coeur que sa mère, Michiko, et plus encore son épouse, Masako, toutes deux non issues de l’ancienne aristocratie, ont souffert de la rudesse de l’étiquette du palais impérial. Marqué par la dépression chronique de Masako – elle semble se porter mieux aujourd’hui -, Naruhito est sorti plus d’une fois de sa réserve pour la défendre. Il s’en est même pris directement à la toute puissante Agence impériale, l’administration qui gère les faits et gestes des membres de la famille régnante, l’accusant d’étouffer la personnalité de son épouse.

Prince discret, Naruhito exerce déjà une forme de régence, mais son père estime qu’alléger plus encore ses tâches de représentation « reviendrait à laisser en place un empereur dont le rôle serait vidé de sa substance ». Akihito ne prononce pas pour autant le mot « abdication », la Constitution lui interdisant tout acte politique. La balle est désormais dans le camp du gouvernement et de la Diète, qui doivent prendre des initiatives pour modifier l’actuelle loi de la Maison impériale ou imaginer une loi spécifique afin qu’Akihito puisse être relevé de ses fonctions. Le Premier ministre Shinzo Abe a fait savoir qu’il se pencherait « sérieusement » sur la question, sans plus de précisions, et un comité d’experts a été mis en place. « Une décision pourrait être prise au printemps prochain, pronostique un journaliste politique à Tokyo. Mais le débat, qui met aux prises les tenants d’une extension du système de régence et ceux qui acceptent le principe d’une abdication, risque de se prolonger plusieurs années. »

Un nouvel empereur avant Tokyo 2020

La population est à plus de 85 % favorable à ce que la volonté d’Akihito soit exaucée. Mais le très nationaliste Shinzo Abe se passerait bien de cet épineux dossier et a d’autres priorités en tête, dont celle de modifier la Constitution pacifiste, dictée en 1947 par les Etats-Unis après la reddition du Japon. « Akihito n’apprécie guère Shinzo Abe, relève un diplomate européen en poste au Japon. La vision pacifiste de l’empereur est en complet décalage avec celle du Premier ministre ultraconservateur, qui rejette toute excuse pour l’aventure militaire sanglante du Japon dans la première partie du XXe siècle. » D’autres sources nous assurent que la question de la succession au trône sera sûrement résolue avant 2020, l’année des Jeux de Tokyo.

Les Jeux olympiques, c’est l’autre sujet chaud du moment au Japon. « Le pays veut profiter de ce rendez-vous pour montrer au monde un nouveau visage et tourner la page du cauchemar de Fukushima », assure un homme d’affaires belge installé à Tokyo. La ville hôte cherche surtout à améliorer son image, entachée par les soupçons de corruption lors de l’attribution des JO et le changement de logo après des accusations de plagiat. Les retards pris par les travaux de construction du stade olympique ont également défrayé la chronique. Mis sous pression à la suite des polémiques sur le coût du stade, le gouvernement de Shinzo Abe a décidé de renoncer au projet de l’architecte irako-britannique Zaha Hadid (près de 2 milliards d’euros) et a opté pour celui, plus modeste, du Japonais Kengo Kuma (1,12 milliard d’euros). « Les inévitables explosions budgétaires de leurs Jeux inquiètent les Tokyoïtes, qui devront en fin de compte payer l’addition », remarque le patron belge. Selon la presse japonaise, la facture est déjà plus de six fois supérieure à l’estimation initiale, soit 1 800 milliards de yens (près de 14 milliards d’euros).

Face à cette flambée du budget prévisionnel, Yuriko Koike, la nouvelle gouverneure de la métropole, veut réduire drastiquement les dépenses. La task-force constituée à sa demande pour procéder aux coupes claires suggère de renoncer à la construction d’un nouveau complexe de natation et d’une salle de volley-ball. Il était aussi question d’envoyer les rameurs disputer leurs courses olympiques à plus de quatre cents kilomètres de Tokyo, sur le plan d’eau existant de la ville de Tome. Mais le CIO a froncé les sourcils et les épreuves d’aviron et de canoë-kayak auraient finalement pour décor le plan d’eau de Sea Forest, dans la baie de Tokyo. En déposant leur candidature, les organisateurs avaient promis des Jeux compacts, où seulement trois sports – tir, pentathlon moderne et une partie de la compétition de football – seraient disputés à l’extérieur d’un périmètre de huit kilomètres autour du village des athlètes. Promesses de campagne non tenues : le vélodrome, la voile et une partie du basket-ball ont été délocalisés.

La dernière édition des Jeux à Tokyo, en 1964, avait signé le retour de l’archipel dans le concert des pays développés. Le pays avait stupéfié la planète dans les domaines artistique, économique et sportif. Le 1er octobre de cette année-là avait été inauguré le premier tronçon du Shinkansen, le fameux train à grande vitesse. Les Jeux de 2020, eux, auront lieu dans un pays vieillissant, plombé par sa dette publique. Très exposée aux chocs extérieurs, son économie est toujours en récession et la croissance reste atone. Le Japon tentera néanmoins de faire de l’événement une démonstration de ses capacités technologiques : nouveau format d’écrans TV (8K), réseau 5G, robots d’accueil, traducteurs automatiques en temps réel, système de paiement à empreinte digitale… Avec sans doute, comme symbole de l’Etat, un nouvel empereur.

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