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Fin de la version belge du journal Zaman: « Le gouvernement turc affirme que la véritable épuration ne commence que maintenant »

Jan Herregods

Mete Öztürk, le rédacteur en chef du quotidien Zaman Belgique explique pourquoi plusieurs titres Zaman ne sont plus publiés. « La pression est devenue intenable. Je ne me sens plus en sécurité dans les quartiers turcs ».

Le journal Zaman, le plus grand quotidien de Turquie, était initialement lié au mouvement Gülen que le régime du président turc Recep Tayyip Erdogan accuse de terrorisme et d’être à l’origine du putsch avorté de l’été. En mars de cette année, un tribunal a placé le quotidien sous tutelle de l’état et Zamen est devenu un média pro-Erdogan.

Il y a quelques jours, on a appris que les départements français et belge du journal mettaient fin à leurs activités.

Mete Öztürk, rédacteur en chef de Zaman Belgique s’explique: « Notre quotidien est sous pression croissante depuis 2013. Quand notre maison mère en Turquie a été saisie en mars, la situation a encore empiré. Et depuis le coup d’État en juillet, la situation est devenue intenable. Nos journalistes et collaborateurs ont été menacés. Moi-même, j’ai reçu des menaces de mort. Beaucoup de gens sont au bout du rouleau. En outre, la situation est devenue de moins en moins sûre pour nos lecteurs. Sur Facebook, on a appelé à signaler les lecteurs aux lignes de délation. Celles-ci sont organisées depuis la Turquie, pour rassembler des infos sur les Turcs à l’étranger. »

« Cette décision a été très difficile, parce que depuis 2006 nous essayons de former un pont entre la communauté turque et les Belges. Nous avons traité l’actualité ici, justement parce que ces lecteurs habitent ici. Il est très dommage que tout cela se perde, mais je ne voulais pas prendre le risque que la distribution de notre journal dévoile les domiciles de nos abonnés au régime.

Aujourd’hui, il y a un climat de peur où tout ce qui est lié de près ou de loin au mouvement Gülen est automatiquement suspect. C’est une véritable rupture au sein de la communauté turque, et particulièrement parce que la Turque poursuit ses accusations et sa propagande. Ceux qui sont liés au mouvement sont soupçonnés de complicité avec une organisation terroriste.

Qu’est-ce que cela signifie? Quel risque courent-ils ?

Mete Öztürk : Ici en Belgique, on risque d’être boycotté, et il y a la pression sociale. La façon dont c’est organisé depuis la Turquie fait vraiment penser à un réseau bien organisé, je ne peux pas l’expliquer autrement. En plus, il y a un risque pour les personnes qui partent en Turquie, et peut-être pour les membres de leur famille qui y habitent.

Si votre nom figure sur une liste, vous pouvez être arrêté à l’aéroport. Aujourd’hui, Erdogan détient le pouvoir absolu et personne ne sait de quoi il est capable. Il est imprévisible. Un autre membre du gouvernement a déclaré que les véritables opérations d’épuration ne commenceraient qu’en septembre.

Je ne sens plus en sécurité dans les quartiers turcs en Belgique. Avant, j’avais parfois des désaccords, mais ça s’arrêtait là. Aujourd’hui, je sens vraiment une agressivité. Que voulez-vous, si les gens entendent en permanence que nous soutenons le terrorisme. Ces sentiments de haine et de colère cherchent à sortir. Nous avons condamné la violence dès le début, mais évidemment on n’en parle pas dans les médias turcs.

En tant que rédacteur en chef, vous êtes encore davantage dans le collimateur. Pouvez-vous encore aller en Turquie ?

Non, j’ai déjà pris cette décision en mars. Le risque est devenu trop grand pour moi. La situation est trop dangereuse.

Suite à l’état d’urgence, les médias turcs indépendants ont très fort touchés. Comment la situation va-t-elle évoluer ?

La situation est très difficile. Il y a encore quelques petits titres en Turquie, mais pour eux aussi il devient de moins en moins évident de travailler. Eux aussi courent le risque de devoir plier bagage. Tous les grands médias d’opposition ont été liquidés en Turquie.

Je pense que les journalistes turcs doivent unir leurs forces, et peut-être créer une plateforme. Je ne pense pas seulement aux journalistes proches du mouvement Gülen, mais aussi aux gens qui travaillent pour les médias laïques et kurdes. En ce moment, beaucoup de journalistes licenciés sont en fuite. Ils ne retournent pas tout de suite en Turquie, mais voudront probablement continuer à faire leur travail.

Est-il possible qu’il y ait un jour un successeur aux journaux Zaman?

Si on nous propose un modèle d’entreprise viable et réaliste, on peut y réfléchir, mais le nom Zaman revêt une valeur hautement symbolique. Je pense qu’à l’avenir, nous aussi allons devoir envisager une association.

Comment voyez-vous l’avenir pour vous?

« Je n’y ai pas encore pensé. Les derniers mois ont été exténuants, et la décision d’arrêter a été très difficile. À présent, je voudrais aider des gens. Plusieurs journalistes turcs ont fui en Belgique, et je voudrais les assister, et voir comment je peux les aider à demander asile ici.

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