François Fillon © Reuters

Fillon vainqueur ? « La fin d’une époque pour la gauche »

Le Vif

Pour Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques, auteur de L’Insécurité culturelle (Fayard), la désignation de François Fillon est une aubaine pour les socialistes… mais seulement en apparence.

La primaire de la droite, écrit Michel Wieviorka dans Le Monde, a montré que  » le pire n’est pas une fatalité et qu’il est possible de faire de la politique démocratiquement « . Elle révèle aussi, selon lui, que  » la droite classique est susceptible de résister aux tendances à la décomposition des systèmes politiques « . La primaire de la gauche peut-elle réaliser un miracle comparable ?

Difficilement. Pour trois raisons principales. D’abord, parce que la gauche est  » sortante  » et qu’elle est mal en point, toutes tendances confondues. Ensuite, parce que, pour la première fois depuis longtemps, le  » peuple de droite  » se sent capable de gagner avec un candidat qui lui correspond, et non derrière un Chirac ou un Sarkozy qui présentaient chacun des caractéristiques très particulières au regard du coeur de l’électorat de droite. Enfin, parce qu’on assiste là à une mobilisation en profondeur dans un électorat qui entend vivre à son tour, comme dans d’autres démocraties, cette insurrection du  » pays réel  » contre le  » système « , contre les  » élites « . C’est bien la droite la plus classique qui est de sortie, loin des synthèses et combinaisons chiraquiennes ou sarkozystes, loin aussi du FN tel qu’il se présente désormais.

La désignation de François Fillon comme candidat de la droite peut-elle constituer une aubaine pour les socialistes ?

Laurent Bouvet, politologue, universitaire et essayiste.
Laurent Bouvet, politologue, universitaire et essayiste. © E. GARAULT/PASCO

Si l’on s’en tient à la surface des choses, oui. Le fait d’avoir un candidat vraiment de droite (libéral en économie, conservateur sur le plan sociétal, patriote et souverainiste sur les plans européen et international) devrait, normalement, faciliter les choses à la gauche. On peut, par exemple, se dire que la gauche pourrait s’ériger en défenseur des fonctionnaires face au programme de Fillon. Mais, outre que celle-ci est affaiblie et très divisée, elle est incapable de proposer une alternative aussi structurée et sociologiquement pensée que le projet filloniste. On comprend que ce retour en force d’une droite décidée et explicite dans sa vision de la société française pourrait bien signifier la fin d’une époque pour la gauche en général. Celle de sa domination idéologique, de son  » hégémonie culturelle  » sur la société française. Une hégémonie faite de libéralisme tempéré en économie (à l’exception de la fonction publique et du secteur associatif), de libéralisme débridé en matière culturelle et sociétale, et de projection enthousiaste dans une construction européenne mâtinée d’atlantisme et d’interventionnisme dans le domaine international.

La gauche mondiale est en crise. Quelles sont, dans ce contexte, les spécificités de la crise de la gauche française ?

Avant tout, sa profonde division, tant sur le terrain économique qu’en termes d’adhésion aux principes républicains, dans sa définition de la laïcité, par exemple. Une fraction non négligeable de la gauche, qu’on retrouve dans les partis et syndicats, dans le milieu associatif comme dans les médias, le monde intellectuel et de la recherche… continue de jouer la double partition, rhétorique, du combat contre le capitalisme et, bien réelle, du combat contre l’Etat républicain, jugé autoritaire, colonialiste, etc. On pourrait y ajouter les déclinaisons de ces fractures sur la question écologique, sur le protectionnisme… Avec de telles fractures, non réduites parce que non assumées bien souvent et non débattues ouvertement – une série de tabous et d’interdits pèsent sur l’expression même de ces divergences -, l’exercice du pouvoir face à la droite et à l’extrême droite est une mission impossible. Il faut les circonstances de 2012, face à un Sarkozy honni, pour que la gauche s’unisse afin d’accéder au pouvoir national. Mais, dès le lendemain de la victoire, les divisions reprennent le dessus. On l’a vu, de manière exacerbée, ces dernières années.

Entretien : Éric Mandonnet.

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