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Faut-il retirer le bouton nucléaire à Trump? La question fait débat aux USA

Le Vif

Des sénateurs américains inquiets d’une guerre nucléaire avec la Corée du Nord ont cherché à savoir mardi si un éventuel ordre de Donald Trump de déclencher le feu nucléaire pouvait être stoppé. La réponse: pas vraiment.

Jamais depuis 1976, en pleine Guerre Froide, la question du bouton nucléaire n’avait fait l’objet d’une audition au Congrès. Pour l’organisateur, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat Bob Corker, une nouvelle séance n’avait donc que trop tardé.

Mais l’audition avait sans doute plus à voir avec la crainte, exprimée en octobre par ce même M. Corker, que l’occupant de la Maison Blanche ne mène le pays droit « vers la troisième guerre mondiale ».

Des élus ne cachent plus leur inquiétude à l’idée qu’une étincelle ne déclenche un conflit imprévisible avec le régime de Kim Jong-Un.

Bien que les sénateurs aient prudemment répété que l’audition n’était pas spécifiquement consacrée à M. Trump, un démocrate a tenu à expliciter ce que, apparemment, beaucoup pensaient. « Nous craignons que le président des Etats-Unis soit si instable et si volatil, que son processus décisionnel soit si fantasque, qu’il puisse donner un ordre d’utiliser l’arme nucléaire complètement contraire aux intérêts de sécurité nationale américains », a déclaré le sénateur du Connecticut Chris Murphy.

Première frappe

La Constitution est claire: l’article deux confère au président la direction des forces armées. Il est le commandant en chef, chargé de défendre la nation contre tout danger ou menace imminente. Et seul à pouvoir déclencher le feu nucléaire.

Mais la définition de l’imminence n’est pas stricte, et c’est la question qui a occupé les sénateurs mardi. Une fusée nucléaire sur un pas de tir nord-coréen, prête à détruire une ville américaine? Un tir américain serait probablement justifié, ont convenu experts et élus.

Mais quid d’une situation où le président décide d’envoyer une bombe préventivement? Une « première frappe », en jargon stratégique.

Une règle militaire élémentaire est que « l’armée est obligée d’exécuter un ordre légal » mais aussi « obligée de refuser de suivre un ordre illégal », a dit l’ancien patron du Commandement stratégique de 2011 à 2013, le général à la retraite Robert Kehler.

Qu’est-ce qu’un ordre légal? Un ordre dont les fondements juridiques ont été validés, selon les lois de la guerre. Toute action militaire doit être nécessaire et proportionnelle, a expliqué M. Kehler.

Que se passerait-il si le chef du Commandement stratégique jugeait un ordre présidentiel illégal? « Je ne sais pas exactement », a-t-il convenu. C’est là que « le facteur humain entre en jeu ».

En pratique, a dit Brian McKeon, ancien sous-secrétaire à la Défense durant la présidence du démocrate Barack Obama, le président pourrait remplacer les réfractaires le long de la chaîne de commandement, du ministre de la Défense au chef du commandement stratégique… « Mais on se retrouverait dans une véritable crise constitutionnelle », a-t-il souligné.

Ambiguïté calculée

En dehors de cas d’urgence extrême, a nuancé Peter Feaver, professeur de sciences politiques à l’université Duke, le président « aura besoin de la coopération de beaucoup de monde pour déclencher une frappe ». Un seul coup de fil du président ne suffirait pas, selon lui.

Autre problème: il revient en théorie au Congrès de déclarer la guerre, selon la Constitution, bien que ce pouvoir se soit érodé (la dernière déclaration formelle remonte à la Seconde Guerre Mondiale). Certains se demandent s’il faudrait restreindre par la loi les pouvoirs nucléaires du président afin de réaffirmer le rôle parlementaire.

Mais changer la procédure à cause de Donald Trump serait « un précédent malheureux », a souligné M. McKeon. « Nos adversaires nous regardent », a quant à lui prévenu le sénateur républicain Marco Rubio. « L’ambiguïté calculée » doit rester au coeur de la posture américaine, a-t-il martelé. Il faut laisser planer le doute sur les situations où les Etats-Unis useront de leur arsenal, afin de maximiser la dissuasion nucléaire. Tout en assurant au reste du monde que l’autorité du président est incontestable.

Le sénateur de Floride, qui brigua l’investiture présidentielle en 2016, a ainsi exprimé son malaise face aux questionnements de ses collègues. »Il n’est pas possible qu’une bande de juristes ou de militants décident de désobéir quand cela ne leur plaît pas », a-t-il estimé. « Dans cette république (…) quand ils votent, les électeurs prennent la décision de confier à quelqu’un ce pouvoir ».

Jusqu’au 20 janvier 2021 à midi, Donald John Trump en reste le détenteur exclusif.

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