Pascal De Sutter

Faut-il liquider les (très) méchants?

Pascal De Sutter Psychologue politique à l'UCL

On connaît maintenant l’identité d’une partie des militaires américains qui auraient tué Oussama Ben Laden. Il est difficile de savoir ce qui a motivé ces soldats d’élite à révéler leur identité malgré les strictes consignes de confidentialité des Navy Seals. Cette affaire soulève cependant des questions autrement plus importantes. Les opérations de « targeted killing » sont-elles légitimes?

La majorité de la population estime qu’il est normal de liquider sans scrupule un terroriste responsable de la mort de nombreux innocents. C’est le même bon peuple qui accourait pour voir les sorcières brûler sur les bûchers et qui est prêt à lyncher sans jugement ceux qui sont soupçonnés de pédophilie.

A contrario, les intellectuels politiquement corrects estiment – à juste titre – qu’exécuter un homme sans procès et sans droit à la défense est contraire aux principes fondateurs des démocraties occidentales. Pourtant, plusieurs états démocratiques tels que les Etats-Unis, le Brésil ou Israël y recourent. La Belgique et l’Europe devraient-elles aussi (officiellement) en faire usage? Il me semble intéressant d’au moins y réfléchir. Pour ma part, je suis radicalement opposé à la peine de mort, quel que soit le crime. Et pourtant, lorsque des ennemis de la démocratie massacrent intentionnellement des civils, je suis favorable à ce que je nomme les « liquidations militaires ciblées ». Il me semble plus conforme à ma vision des droits de l’homme de tuer quelques cibles « militaires » précises (de préférence les chefs) plutôt que d’envoyer au casse-pipe des milliers de jeunes soldats. Peut-être qu’en 1914, l’empire austro-hongrois aurait mieux fait de se limiter à la « liquidation ciblée » des chefs terroristes serbes plutôt que de déclencher la Première Guerre mondiale et entraîner la mort de neuf millions de civils.

Je ne citerai pas d’autres exemples d’uchronie: on ne refait pas l’histoire. On peut cependant éviter de reproduire des erreurs historiques. Et donc envisager la pertinence du « targeted killing » lors de conflits armés. C’est pour cela que j’utilise le terme de « liquidations militaires ciblées »; pour bien les distinguer des « assassinats politiques ». Ce n’est pas la même chose de tuer un dirigeant politique (même extrémiste et dangereux) que d’éliminer un leader terroriste actif qui a déjà commis (ou commandité) des attentats meurtriers. Aussi, des règles et principes très stricts devraient être établis. L’exécution ne devrait jamais être une vengeance, ni avoir lieu quand on a les moyens de capturer la cible. Il est en effet préférable d’obtenir des renseignements d’un homme vivant et de le juger le plus équitablement possible. Il faut toujours se comporter plus dignement que ceux que l’on combat. Ne jamais s’abaisser à agir comme eux. Ces « liquidations militaires ciblées » pourraient être décidées, le cas échéant, en Belgique par un comité spécial constitué, par exemple, du Premier ministre, du ministre de la Défense, du ministre de l’Intérieur, d’un juriste et d’un représentant des droits de l’homme. Ils seraient conseillés et informés par des experts du renseignement. Ce seraient des décisions rares, exceptionnelles, prises avec le plus grand soin et en concertation avec nos alliés.

Avec peut-être, comme effet préventif, que les ennemis des démocraties européennes nous découvriraient moins faibles, moins pusillanimes et moins mous qu’il n’y paraît. L’exemplarité, la tolérance, la mansuétude et la liberté ne sont pas incompatibles avec une grande dureté, ciblée et mesurée. Il me semble même que cela va de pair. Mais rien ne vous oblige à penser comme moi…

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