© Archives du 7e art/photo2012/AFP

Fantômas, centenaire, se déchaîne à nouveau !

Le Vif

En septembre 1913, Fantômas bouclait un cycle de 32 aventures jubilatoires, entre surréalisme déjanté et rocambolesque capillotracté. Une intégrale lui rend hommage.

Impeccablement sanglé dans son frac noir, haut de forme vissé sur la tête, un loup en guise de masque lui assurant l’anonymat, l’inquiétant personnage s’avance et, telle une silhouette immense, s’apprête à enjamber la Seine. Un mythe vient de faire son entrée fracassante dans l’histoire : Fantômas ! Nous sommes en 1913, l’année même où Pierre Souvestre (1874-1914) et Marcel Allain (1885-1969) signent La Fin de Fantômas, 32e et dernier roman d’une saga entamée deux ans plus tôt. Conquis par ce personnage hors normes et son potentiel détonnant, Louis Feuillade, l’un des pionniers les plus originaux du septième art, a décidé de s’emparer du mythe naissant et de porter ses aventures à l’écran (voir encadré). Le succès est immédiatement au rendez-vous : 80 000 entrées la première semaine, un chiffre considérable pour l’époque.

Comment expliquer la fascination exercée par ce super criminel d’un nouveau genre ? Et le succès, d’abord littéraire, de la saga ? Premier élément, si Fantômas est le génie du crime, Fayard est incontestablement celui de l’édition grand public. Pour cette nouvelle série, qui sera le fleuron de son « Livre populaire » à 65 centimes, il n’hésite pas à prévoir un lancement publicitaire « barnumesque » avec slogans, affiches, encarts, etc. De 1911 à 1913, Souvestre et Allain vont donc écrire pas moins de 32 volumes soit, en moyenne, un livre par mois ! Pour tenir ce rythme de forçats de la plume, les auteurs innovent, là aussi : ils vont dicter directement les aventures « fantômastiques » sur des rouleaux de cire et ces enregistrements sont ensuite retranscrits par une équipe de dactylographes. Avec un tirage moyen de 200 000 exemplaires pour les premiers volumes, c’est peu dire que le succès est au rendez-vous. Un véritable phénomène de société est en marche…

Initialement conçue pour conquérir un lectorat populaire, la série des Fantômas exercera bientôt sa fascination sur toute une génération d’écrivains, de poètes, de peintres et de cinéastes. Séduits par le côté subversif et anticonformiste du personnage principal de la saga, les milieux intellectuels et artistiques vont rapidement déceler le potentiel d’inquiétante étrangeté qui plane sur ces pages affolées. Dès 1913, Apollinaire et Max Jacob créeront une « Société des amis de Fantômas ». Quant aux surréalistes, ils prisent chez Fantômas ce que ses adversaires lui reprochent, plus précisément l’atteinte au bon goût. Si Robert Desnos écrira une Complainte de Fantômas, bientôt mise en musique par Kurt Weil, René Magritte subira également l’emprise du « maître de l’effroi », auquel il rendra régulièrement hommage : par exemple dans Le Barbare (1927) et Le Retour de flamme (1943), déclinaisons de la célèbre affiche Gaumont, ou encore dans L’Assassin menacé (1926), une toile au climat subtilement « fantômassien ».

« L’armoire aux trucs »

Tous deux avocats de formation, Souvestre et Allain sont rompus aux affaires complexes : cela se ressent dans leur minutie et leur maîtrise à réécrire sans cesse le palimpseste jubilatoire de ce qui constitue aussi une saga judiciaire. Pour alimenter les aventures de leur fantasmatique antihéros, ils ont patiemment élaboré ce qu’ils nomment leur « armoire aux trucs » : une série de dossiers composés de coupures de presse, de faits divers, de brochures décrivant les avancées des techniques d’investigation policière ou encore de catalogues d’appareils de prestidigitation ! Figure éminente de la fameuse armoire, Alphonse Bertillon (1853-1914), promoteur de l’anthropométrie judiciaire et pionnier des relevés d’empreintes digitales, deviendra par exemple l’un des personnages principaux du Mort qui tue, le troisième opus de la saga.

L’intérêt d’une lecture contemporaine de Fantômas, c’est aussi d’opérer un retour aux sources de mythologies urbaines qui sont encore les nôtres. Théâtre privilégié de l’action du criminel et de ses poursuivants, la ville (souvent Paris, mais pas uniquement) décrite par Souvestre et Allain, sous son aspect familier, révèle bientôt un caractère insolite, poétique ou inquiétant. Et lorsque vous aurez lu Un roi prisonnier de Fantômas, vous ne pourrez plus vous promener place de la Concorde sans songer qu’il y a cent ans tout juste, le malheureux Frédéric Christian de Hesse Weimar fut retenu otage dans les souterrains de la fontaine jouxtant l’obélisque, avec pour toute provende du jambon salé et de l’alcool blanc ! Un pince-sans-rire, ce Fantômas…

Fantômas, collection Bouquins, éditions Robert Laffont. Les deux premiers tomes, (quatre romans chacun), viennent de paraître. Tome 1, 1 320 p. ; tome 2, 1 250 p.

Alain Gailliard

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire