© photos : j. saget/afp

Face à Fillon, Le Pen qui rit, Le Pen qui pleure

Le Vif

Pour la candidate du Front national, le programme économique de l’ancien Premier ministre est une aubaine. En revanche, son discours sur les valeurs constitue un risque : une partie des électeurs marinistes peut y être sensible.

D’ordinaire, le ton se fait plus monocorde. Dans un phrasé  » adulescent  » surjoué, le vice-président du Front national, Florian Philippot, l’assure :  » Fillon, je l’adore !  » Comme si le bras armé médiatique de Marine Le Pen se réjouissait déjà de toute cette gamme rhétorique à travailler, à délivrer prestement contre leur meilleur ennemi.

Marine Le Pen aurait pourtant rêvé d’une autre affiche : Juppé était en tout antagoniste, et Sarkozy, après avoir siphonné une partie de l’électorat FN en 2007, n’avait aucune chance de le convaincre à nouveau. Elle doit donc faire avec la  » doublure  » de l’ancien président, comme l’a rebaptisé son entourage. Elue par  » 4 millions de notables de province « , qui ne saura séduire les classes populaires.

Bien sûr, l’angle d’attaque préféré des philipottistes concerne le social, et les atermoiements de François Fillon sur la santé ont constitué une aubaine, immédiatement exploitée par Marine Le Pen et ses acolytes.  » Nous ne sommes pas dupes de ses allers-retours, il veut détruire le système et faire porter 80 % des dépenses de santé sur les mutuelles et au privé « , attaque David Rachline, le directeur de campagne. Deux millions de tracts sont ainsi distribués, titrés :  » Fillon, il va vous rendre malade « .  » Une opération radicale sans anesthésie « , y lit-on sur une reproduction d’une carte d’assurance maladie.

La présidente du FN, qui veut séduire la France paupérisée, va ferrailler point par point contre les options libérales du  » candidat de la brutalité sociale « , chantre, selon elle, d’un néothatchérisme destructeur. La manne est inespérée quand François Fillon entend supprimer 500 000 postes de fonctionnaires.

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Le parti d’extrême droite va ainsi accélérer sa charge, déclinant les propositions problématiques du candidat LR, usant d’interviews ciblées ou encore de microclips sur ses supposées contradictions.  » On n’a pas un énorme budget pour la présidentielle et les réseaux sociaux sont très efficaces « , note Philippe Murer, proche de Marine Le Pen.

Deuxième angle d’attaque : un patriotisme économique brandi à tout-va et qui devrait permettre, selon la candidate, d’imprimer sa différence avec la ligne du candidat LR, soumise, toujours selon elle, aux tumultes de la mondialisation.  » Fillon ? Tout nous sépare ! Il est pour le souverainisme européen, je suis pour la souveraineté nationale « , remarquait récemment en aparté la députée européenne. La principale fracture reste celle-là, avec pour corollaire  » le passage à une nouvelle monnaie nationale, coexistant avec une monnaie commune, calquée sur le modèle de l’écu « , défend Bernard Monot, l’un des économistes du parti. L’articulation sémantique sur cette  » sortie de l’euro « , tant prônée en 2012, se veut moins effrayante. Mais Marine Le Pen, dopée par le Brexit, ne renie rien.

 » Au nom du peuple « , la candidate entend conjuguer souveraineté et identité. Car Fillon représente un vrai danger pour le FN sur le terrain des valeurs et des questions régaliennes. Il a marqué des points avec son dernier opus, Vaincre le totalitarisme islamique, relancé sa campagne le 11 janvier en affichant une position ferme sur l’immigration. Et – point d’orgue ? – revendiqué son attachement aux valeurs du christianisme.  » D’après nos enquêtes pour les régionales de 2015, le FN avait gagné 4 points auprès des catholiques « , note Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop. Ce  » segment  » où le parti avait le plus progressé serait à chouchouter plus que jamais. Or Marine Le Pen, moins religieuse que sa nièce, n’a jamais vraiment eu la fibre catho.

La candidate choisit le contre-pied, dénonçant  » l’utilisation opportuniste de cette foi contraire à la laïcité « , tout en misant sur sa nièce Marion, peu avare de références religieuses et farouche opposante au mariage gay, pour incarner la tendance catho.

Fillon et Le Pen se disputent un segment de leur clientèle qu’ils ont en commun.  » Dans l’écrasante majorité des villes FN bénéficiant d’un bureau de vote, Fillon est arrivé en tête au scrutin de la primaire « , rappelle le sondeur de l’Ifop Jérôme Fourquet. Un signe qui ne trompe pas. Et qui dit la difficulté pour Marine Le Pen d' » affiner sa stratégie « , selon le politologue. Le Front national n’en a sûrement pas fini avec l’art de la synthèse pour séduire un peu tout le monde. Nord et Sud. Le social et l’identitaire.  » Des élucubrations de journalistes, on s’adresse aux Français, c’est tout !  » récuse un mariniste.

Dans la foulée de la victoire de François Fillon à la primaire, les sondages de décembre ont noté un  » tassement  » dans les intentions de vote pour Marine Le Pen. Ceux de janvier montrent le contraire, soulignant l’incertitude du corps électoral à quatre mois de l’échéance.  » Je sais où je vais et comment j’y vais « , assure Marine Le Pen en cette nouvelle année. Avec un peu plus de hauteur, un peu moins de fureur qu’à son habitude. Dans un strict tailleur noir cintré, la candidate veut continuer de marteler ses fondamentaux, mais entonner aussi sa petite musique sur des sujets jusque-là négligés, comme l’écologie ou l’éducation. Combattre François Fillon point par point, tout en surveillant celui qui semble aujourd’hui insaisissable, Emmanuel Macron. Surfer, enfin, sur  » cette dynamique favorable qui traverse le monde « . Le principal adversaire de Marine Le Pen reste encore ce plafond de verre contre lequel elle et son parti se sont toujours heurtés.

Par Caroline Derrien.

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