Thierry Fiorilli

« Expo 58, Mai 68… : les belles devenues maléfiques »

Thierry Fiorilli Journaliste

Quelque part entre amour et rage. Quelque chose entre dévotion et sacrilège. Les rapports entretenus avec notre passé sont toujours plus passionnels. On n’a sans doute jamais autant célébré les anniversaires d’événements marquants tout en convoquant la plupart devant des tribunaux, plus ou moins neufs, plus ou moins improvisés, plus ou moins indépendants. Avant de souvent prononcer la peine capitale, au terme de procès ressemblant plus ou moins à des simulacres.

En Belgique et tout autour, ces derniers mois ne dérogent pas à cette récente règle. Parce que le maintien et le contenu du cours d’histoire dans l’enseignement francophone façon Pacte d’excellence sont toujours brinquebalants. Parce qu’actuellement, l’école ne dit rien de la colonisation, ou si mal, ou avec tant de réalités cachées (Le Vif/L’Express du 29 mars dernier). Parce que les bustes de rois ou de bourgmestres, dont le règne ne donne pas que matière à révérences, n’auraient plus droit de cité. Parce que des images, dans des films mythiques, véhiculent des clichés qui leur vaudraient d’être supprimées. Parce qu’il serait indécent de rééditer tel auteur, même s’il n’est pas à l’ordre du jour, jusqu’ici, de l’éjecter de La Pléiade.

Les prochaines semaines ne feront pas davantage exception. Avec la commémoration de l’Expo 58, à Bruxelles, d’abord, avec celle de Mai 68, un peu partout, ensuite.

u003cstrongu003eLes belles histoires d’hier virent systématiquement en antichambres désignées des calvaires actuels u003c/strongu003e

Deux événements tout à fait historiques – il y a un avant et un après, absolument différents, pour la Belgique, dans le premier cas, pour l’ensemble des sociétés occidentales, dans le second. Deux événements longtemps présentés comme majoritairement favorables au progrès, à la modernisation, à l’émancipation, au bien-être mais qu’on peut tout aussi raisonnablement considérer désormais comme sources d’une kyrielle de maux dont nous souffrons aujourd’hui. Deux événements aux contours idéaux pour un récit épique, romantique, romanesque, dont les acteurs étaient parés des atours du parfait héros : jeunes, beaux, courageux, se dressant contre l’autorité vieille, bête et méchante, annonçant des lendemains de miel, de félicité et d’horizons lumineux, dans un souci de communion la plus large possible et sans aucune frontière, au moins en termes géographiques. Les formules utilisées, ou conservées, pour leur évocation sont éloquentes :  » La Belgique joyeuse « ,  » les Golden Sixties « ,  » Sous les pavés la plage « ,  » Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi « ,  » Faites l’amour, pas la guerre « ,  » Le grand tournant « ,  » La révolution « …

Mais même les héros vieillissent mal. Et les belles histoires d’hier virent systématiquement en antichambres désignées des calvaires actuels. Nous l’illustrerons, très bientôt, en replongeant dans cet ébouriffant mois de mai d’il y a un demi-siècle. Et nous le démontrons cette semaine, en pointant la face cachée de l’utopie née, à Bruxelles, l’espace des six mois que dura l’Exposition universelle, il y a soixante ans. Non pas en exécutant sommairement le premier événement de cette ampleur après la Seconde Guerre mondiale – beaucoup se souviendront, légitimement, de ce fol et bel été, avec nostalgie et bonheur -, mais en mettant en évidence quelques-unes de ses réalisations. A l’époque considérées comme symboles d’avant-garde et de réinvention, en matière de mobilité, d’urbanisme, de politique de ville. Aujourd’hui accusées d’archaïsme et d’imprévoyance, et identifiées comme responsables majeurs de son mal-être.

Il n’y aurait donc que des passés plus qu’imparfaits. Définitivement. Garanties de lendemains qui chantent ?

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