Gérald Papy

Europe-Turquie, le bal des hypocrites

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’accord ébauché en début de semaine entre l’Union européenne et la Turquie sur les réfugiés est encore trop imprécis pour le jauger de manière définitive.

Si le sommet des 18 et 19 mars en confirme les tenants et les aboutissants, il s’avèrera pertinent parce qu’il contribue à briser le système mafieux des passeurs en tarissant l’émigration par la route des Balkans et en forçant Ankara à accroître sa lutte contre les trafiquants. Néanmoins, son succès sera aléatoire parce qu’il postule que les Etats européens accepteront, ce dont certains n’ont guère montré la disposition, d’accueillir des réfugiés syriens venus directement de Turquie (sur la base du principe de réciprocité acté lors du renvoi de tout migrant de Grèce vers l’Anatolie). Il s’exposera enfin à un procès en illégalité parce qu’il foule au pied, tel qu’on l’analyse à ce stade, les conventions internationales sur le droit d’asile, en l’occurrence celui des candidats qui auront déjà rejoint une île grecque…

Par cette entente inédite, l’Union européenne assume une étonnante « turcodépendance », elle qui avait relégué dans les limbes tout rapprochement avec Ankara. En échange de la sous-traitance de la gestion des réfugiés du Moyen-Orient, les Turcs ont obtenu la relance des négociations d’adhésion, un assouplissement de la politique des visas et trois milliards d’aide supplémentaires d’ici à 2018. L’attitude des Européens est passablement hypocrite. Personne dans l’Union ne songe aujourd’hui à une perspective sérieuse d’adhésion de la Turquie alors que les crises financière et migratoire ont imposé la priorité à l’approfondissement sur l’élargissement et que les opinions publiques s’en détournent de plus en plus. Le pouvoir turc n’est pas en reste, lui qui, par la dérive autoritaire de son président Recep Tayyip Erdogan, a éloigné son pays des valeurs européennes de liberté d’expression, de respect de l’Etat de droit et de l’indépendance de la justice. Qui s’est soucié lors des dernières tractations avec Ankara du sort des journalistes indépendants soumis à une répression sans précédent sous l’ère du Parti de la justice et du développement ?

L’Union européenne s’apprête à entériner un accord avec la Turquie qui évacue encore et toujours la nécessaire solidarité entre Etats membres

En définitive, l’Union européenne s’apprête à entériner un accord peut-être efficace à court terme mais qui n’empêchera pas le recours à d’autres chemins d’exode (la Bulgarie, les côtes italiennes via la Libye en proie à une instabilité croissante), un arrangement qui flatte l’obsession anti-immigrés des dirigeants d’Europe de l’Est et qui évacue encore et toujours la question de la nécessaire solidarité entre pays membres.

Hors l’Allemagne exemplaire et quelques rares Etats, l’image de l’Union européenne sur cette question cruciale est rythmée par le pays qui inspirera la plus grande répulsion au candidat réfugié, entre respect a minima des obligations internationales et publicité la plus large de mesures dissuasives. Objet d’une plainte du Centre fédéral Migration Myria, la Belgique n’échappe pas à ce fiasco moral.

Il est difficile de prédire aujourd’hui dans quel état l’Union européenne finira par s’extirper de ce marasme. Mais force est de constater qu’il n’y a qu’Angela Merkel qui lui permettra, faute de mieux, de limiter les dégâts et, peut-être, de sauver son âme.

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