Europe : le rêve brisé

Pour nous Belges, sans véritable nation et sans grandeur, l’Europe était un merveilleux substitut. Mais la grenouille européenne s’est voulue plus grosse que le boeuf américain et à l’arrivée, l’euroscepticisme grandit. La réconciliation avec l’Union européenne passe d’abord par le retour à une Europe des Nations.

L’Union européenne et ses différentes mues (Communauté du charbon et de l’acier puis la Communauté européenne) sont nées du « plus jamais ça ». Plus de guerre entre Européens, plus de massacre, plus de génocide. Une réconciliation par le commerce et la libre-circulation… Ses fondateurs firent le pari qu’unis par une communauté d’intérêts, les Allemands (surtout) n’auraient plus jamais la tentation de franchir le Rhin et la Meuse au bruit des bottes.

Au coeur de l’Europe, les six pays fondateurs (France, Allemagne, Italie, Benelux) entament les premiers pas de cette amitié hors du commun et d’un rêve jamais accompli : créer un Empire sans faire la guerre.

En Belgique, l’Europhilie s’impose par le conditionnement. Dès le plus jeune âge, les écoliers que nous avons été apprennent que la Communauté européenne assure la paix et la prospérité.

Subissant la défédéralisation à marche forcée, le « peuple » belge, modeste atavique, voit sa Nation s’effriter. L’Europe lui offre le substitut rêvé. Le doute n’est pas de mise. C’est sûr : bientôt, nous formerons les Etats-Unis d’Europe et nous dominerons le monde par le Soft power.

Les gens de notre génération (les quadragénaires) se souviennent surtout de l’exceptionnelle présidence de Jacques Delors, un des derniers Européens convaincus qui fait avancer l’Europe plus vite que jamais.

Son départ marque le début de la fin d’un rêve. Une fuite en avant avec l’élargissement à dix pays de l’Est. De 12, nous nous retrouvons vite à 15, 27 et aujourd’hui 28. Comme une tache d’huile sur le bitume, plus l’Union s’étend plus elle devient mince, sans consistance.

Comment réconcilier d’anciens Empires comme la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, la Rome antique, la Grèce éternelle ? Tous ont à, un moment donné de leur histoire, dominé le monde, marqué la civilisation planétaire.

Vient le temps des bricoleurs au milieu d’une Tour de Babel aux 15 ou 18 langues.

Les peuples européens, souvent plus clairvoyants que leurs dirigeants, sentent bien qu’il n’y a plus de cap

Les quelques ceux, Français et Hollandais, qu’on interroge, rejettent à chaque fois la marche forcée par référendum. Mais ils ne sont pas écoutés. La technocratie européenne infirme, par Traité, la volonté populaire.

Adeptes de la charrue avant les boeufs, les instances européennes, soutenues par les gouvernements nationaux, imposent la monnaie unique, Schengen, la législation européenne supranationale, l’Europe des Régions. Les souverainetés s’effondrent.

Gouverner c’est prévoir. Mais pas en Europe.

L’idée, quasi hérétique, d’une monnaie unique pour 17 économies radicalement différentes ne fait douter ni les technocrates européens, bardés de masters et doctorats en économie, ni leurs maîtres.

Il ne vient à l’idée de personne que l’abandon des frontières intérieures, superbe idée en temps de paix, est impossible en temps de guerre et son cortège d’exilés.

Au fil du temps, l’UE ressemble de plus en plus au Grand Machin onusien (De Gaulle). La superstructure, essentiellement basée à Bruxelles, attire les convoitises des lobbies qui s’installent par milliers dans notre beau pays. De belles retombées économiques pour la pâle capitale d’une Belgique en déliquescence, mais un jeu à qui perd gagne en matière de conflits d’intérêts.

En face, un parlement encore trop croupion qui décide de peu de choses. Un président de la commission européenne coopté par les grandes nations et qui se retrouve être le plus petit dénominateur commun. Des élections européennes alibis. Un déficit démocratique visible.

Très vite, les fragiles constructions de l’UE se lézardent.

La crise de l’euro révèle la tricherie des comptes de la Grèce. Schengen implose sous la poussée des migrants.

Le paquebot prend l’eau de toute part. Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt, Européens tardifs, vocifèrent vainement.Notre ancien premier ministre reconnaît dans son dernier livre (1) que le continent est malade.

Les nationalismes n’ont jamais été si puissants que depuis que l’Europe existe. Un continent construit essentiellement contre les peuples provoque leur scepticisme.

L’idée du Grexit et même du Brexit n’est plus l’apanage d’agités du bocal. Elle se révèle même une solution, au moins pour la Grèce, sous la plume d’éditorialistes des plus sérieux.

Le rétablissement des frontières intérieures (pour les citoyens en tout cas) n’a pris que quelques semaines.

Les Etats-Unis d’Europe sont loin. Inaccessibles.

Le rêve de peser davantage dans le concert des nations se transforme en cauchemar de la relégation économique et sociale devant les puissances émergentes.

La non-gestion des migrants est le dernier avatar d’un manque drastique d’anticipation.

L’Union ne nous protège plus. Et tout d’un coup la peur saisit les citoyens européens.

Avant d’être pris en flagrant délit d’éthylisme par Le Petit Journal de Canal Plus, Jean-Claude Juncker l’avait pressenti : s’il ne réussit pas, il sera le dernier président de la commission européenne de l’histoire…

(1) « De ziekte van Europa (en de herontdekking van het ideaal) ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire