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États-Unis : un parti républicain trop à droite, « une stratégie risquée »

La polémique enfle autour des propos anti-avortement du député Todd Akin, notamment au sein du parti républicain. Bernard Genton, professeur de civilisation américaine à Strasbourg, explique les enjeux de ces questions outre-Atlantique.

La polémique enfle autour des propos anti-avortement du député Todd Akin, notamment au sein de son parti. Le parti républicain cherche la meilleure posture vis-à-vis des électeurs. Bernard Genton, professeur de civilisation américaine à Strasbourg, explique les enjeux et subtilités de ces questions outre-Atlantique.

En Europe les propos anti-avortement, comme ceux de Todd Akin dernièrement, choquent souvent, mais quel est exactement l’état du débat aux États-Unis ?

L’avortement est légal aux États-Unis depuis 1973 avec l’arrêt Roe vs. Wade de la Cour Suprême : il est inconstitutionnel d’interdire l’avortement. Mais l’élection de Ronald Reagan en 1981, avec une majorité très conservatrice, marque un grand coup à droite aux États-Unis. Le parti républicain a récupéré les conservateurs sociaux tout en continuant à représenter les classes supérieures, les entrepreneurs et les grands dirigeants. Cela l’a amené à intégrer une fraction extrêmement réactionnaire de l’électorat américain, dont la droite religieuse, qui lutte contre l’homosexualité et l’avortement.

En quoi cela influe-t-il sur la campagne actuelle ?

Mitt Romney qui est plutôt un républicain modéré est obligé de tenir un discours très droitier, et le choix de son colistier Paul Ryan le confirme, parce qu’il doit s’aligner sur des positions sociales extrêmement conservatrices, qu’il ne partage pas nécessairement lui-même. Les déclarations nous paraissent toujours extrêmes, mais une minorité d’Américains est absolument convaincue que l’avortement est un crime. C’est une minorité extrêmement active, engagée et qui fait parler d’elle. Ce sera un des éléments de la campagne : Obama se fera attaquer sur son soutien aux droits des homosexuels et son refus de prendre une position très nette sur l’avortement. Ceci dit, la droite religieuse n’a jamais obtenu que la décision de la Cour Suprême de 1973 soit renversée ou abolie.

Peut-on expliquer les disparités géographiques sur cette question ?

Les électeurs les plus réactionnaires du Sud ne votent plus démocrates comme jadis, mais ont petit à petit rejoint le parti républicain depuis les années 1960 après que Lyndon Johnson a fait adopter au Congrès toute une série de lois progressistes et sur les droits civiques. C’est l’un des grands renversements de la vie politique américaine. Concernant le mariage homosexuel, aux élections de 2004, il y a eu des référendums dans 11 États et l’idée du mariage homosexuel a été rejetée par des majorités de 60 à 80 %. C’est une question très sensible dans les États du Middle West, ruraux ou du Sud. Sur ces questions, les côtes est et ouest sont beaucoup plus libérales.

On en parle peu, mais il y a-t-il aussi des démocrates opposés à l’avortement ?

Il y a tout un électorat populaire catholique démocrate, avec pour certains une sensibilité anti-avortement. Dans beaucoup d’États, obtenir un avortement est extrêmement difficile. Il y a eu des exemples de médecins pratiquant l’avortement qui ont été intimidés, mais ce n’est pas quelque chose de général ; c’est très dispersé dans le pays.

N’est-ce pas contradictoire de la part du parti républicain d’être d’une part très libéral en matière économique et en même temps de vouloir mettre en place beaucoup de règles de vie ?

Ce ne sont pas forcément les mêmes républicains. Il y a de grands industriels puritains et rigoristes, mais les positions anti-avortement ou contre l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution, se rencontrent le plus souvent dans les couches les moins éduquées de l’électorat. Le Tea Party, qui ressemble à un feu de paille politique, avait une base de ce type. Le parti républicain essaye de récupérer ces positions extrêmes et les électeurs qui y croient.

En quoi les sociétés européennes et américaines diffèrent-elles ?

Ce qui est très étonnant aux États-Unis c’est cette hostilité fondamentale, assez largement répandue, à l’idée que l’État puisse avoir un rôle bénéfique dans un certain nombre de domaines, même si Roosevelt, lui, avait réussi à faire passer cette idée avec le New Deal.

Le parti républicain est-il vraiment en phase avec les électeurs ?

Le parti républicain est obligé de se démarquer vis-à-vis d’Obama. Il essaie de le faire passer pour un dangereux gauchiste, ce qu’il n’est pas, bien entendu. Pour ce faire le parti de Romney se positionne très à droite sur un certain nombre de sujets, beaucoup plus à droite que la majorité de la société américaine qui est centriste. Les Américains sont comme tout le monde, ils veulent avoir un emploi et vivre tranquillement. Les questions d’avortement et de mariage homosexuel concernent une minorité. Mais l’Histoire récente montre que chaque fois que le parti républicain a joué un candidat très à droite, il s’est fait battre. Cette stratégie est extrêmement risquée. Seule une minorité se radicalise et malgré une polarisation de la vie politique depuis Reagan, la majorité de la population reste néanmoins modérée.

Jean-François Gérard,L’Express.fr

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