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Espionnage entre alliés : « On a vraiment changé d’échelle »

Le Vif

Les révélations sur le programme mis en place par les États-Unis pour espionner leurs partenaires de l’UE provoquent de vives réactions de ce côté de l’Atlantique. L’analyse de François Heisbourg, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur de Espionnage et renseignement (Odile Jabob).

Pourquoi des alliés espionnent-ils leurs partenaires?

Il peut y avoir un intérêt quand on est en train de conclure un accord, de connaître les positions, les arguments de votre partenaire, comme c’est le cas aujourd’hui pour l’accord de libre-échange en cours de négociation entre Washington et Bruxelles. Également en termes de concurrence industrielle, par exemple entre Boeing et Airbus. Pour des services secrets, la tentation d’espionner existe toujours, mais il n’est pas toujours bon d’y céder. Le coût en termes de réputation peut être très supérieur à l’intérêt pour la récolte d’informations obtenues. À quoi peut bien servir d’avoir les adresses email des collaborateurs de Catherine Ashton, la représentante de la diplomatie européenne?

On a l’impression que les États-Unis ont espionné l’Europe… parce qu’ils en ont les moyens, parce que leur législation en matière d’écoutes est permissive.

Mais l’espionnage entre alliés a toujours existé…

Certes. Mais là, on change vraiment d’échelle. Les chiffres publiés par le Spiegel donnent le vertige. Surveiller entre 15 et 60 millions de connexions par jour en Allemagne, 2 à 3 millions en France, c’est du jamais vu! On a vraiment du mal à comprendre l’utilité d’une telle débauche de moyens. Les Américains se seraient servis des bâtiments de l’OTAN, une organisation multilatérale, pour espionner ceux de l’UE à Bruxelles…

En matière d’espionnage, il y a deux règles: ne pas se faire prendre, et si cela se produit, ne pas mentir. Cette règle était globalement respectée pendant la Guerre froide. Là, les révélations du weekend mettent en porte à faux l’incroyable discours d’Obama il y a quinze jours à Berlin. Le président américain, interrogé sur les informations, alors partielles, révélées par l’ancien consultant américain de la NSA Edward Snowden, s’était justifié en expliquant qu’il s’agissait de lutte contre le terrorisme. Barack Obama essaie (mais jusqu’à quel point était-il au courant?) de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

En quoi espionner une ambassade européenne sert-il l’antiterrorisme? À moins de soupçonner les Européens de terrorisme… L’Allemagne et la France sont traitées au même niveau que la Chine, l’Irak ou l’Arabie saoudite.

Quelles peuvent être les conséquences de cette affaire?

Elles risquent d’être considérables. Les Allemands ont un très mauvais souvenir des périodes de l’histoire où ils ont été sur écoutes. Ils peuvent comprendre qu’ils aient été mis sous surveillance par la Stasi ou la Gestapo. Mais par leur allié américain!

Je ne vois pas comment on peut poursuivre des négociations sur le transfert de données, dans le cadre des pourparlers sur l’accord commercial avec les États-Unis, alors qu’ils sont allègrement en train de piller les données de leurs partenaires.

Catherine Gouëset

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